
Il y a eu le coronavirus. Et le chiffre d’affaires s’en est à peine remis. Mais voilà qu’ont débarqué, sans crier gare, le «Wakashio» et la marée noire. Dans le sud du pays, commerçants et planteurs, notamment, ont le blues.
Ils pensaient qu’il ne pouvait pas y avoir pire que le Covid-19 pour leurs chiffres d’affaires. Mais ils se sont trompés. Des commerçants qui opèrent dans le sud-est du pays ont tous la même inquiétude. Qu’ils soient gérants de villas, propriétaires de restaurants, pêcheurs, marchands de rôti, planteurs ou éleveurs, ils ont tous vu leur espoir, de voir le bout du tunnel, se briser en même temps que le Wakashio.

«Depuis le mois de mars on ne travaille presque pas. On pouvait avoir quelques clients mauriciens mais depuis que le Wakashio s’est échoué à Pointe-d’Esny, nous n’avons pas travaillé du tout. Même pas un client», confie Maryline Lamarque, gérante d’une supérette et d’un restaurant à Blue-Bay. «Nous avons 90 000 roupies de loyer à payer par mois. 40 000 pour la supérette et 50 000 pour le restaurant sans compter la taxe. Comment est-ce nous allons faire ?»se lamente la quinquagénaire d’une voix tremblante.
Comme elle, ils sont plusieurs à être dans le même bateau, qui coule doucement. Les belles plages qui d’habitude sont noires de monde sont presque devenues des «villes fantôme», ce qui hante chaque jour leur quotidien de plus en plus angoissant. En effet, impossible de savoir comment s’en sortir. Ramdass Rajcumar, confie que sa famille et lui sont même en train de tomber malade à cause du stress. «Nou éna loan pou payé. Nou pa pé kapav zwenn lé dé bout. Toulézour nou pé alé nou pé ziss al asizé dan nou stand. Mo Madam pa pé dormi ditou aswar. Mari stress sa mo tansion pé monté.»

Comme Ramdass, ceux qui vendent de la nourriture sur la plage ne font plus de profits. Ils ne rentrent même plus dans leurs frais et doivent puiser dans leurs maigres économies, histoire de continuer à faire bouillir la marmite. «Toute la nourriture que nous devions servir dans le restaurant, toutes les provisions qui remplissent les rayons de la supérette, ne trouvent plus preneur. Certains sont périmés et nous avons été obligés d’en jeter. Nous avons investi pour finalement rouler à perte», renchérit Maryline, au bout du rouleau.
Les gérants des maisons d’hôte et villas vivent le même calvaire. «Depuis la fermeture des frontières, nous avons baissé les prix pour attirer les Mauriciens. Mais là, avec cette histoire de Wakashio, même les Mauriciens sont en train d’annuler leurs réservations», confie Dave Nadan, gérant d’une maison d’hôtes. Sans compter qu’il appréhende également le futur. «Même si on rouvre les frontières, qui sont ces touristes qui voudront venir dans un endroit où ils ne pourront pas profiter de la plage ?»
Autres victimes collatérales du naufrage du Wakashio et non des moindres: les pêcheurs et les poissonniers. Ces derniers ne peuvent plus travailler et malgré la compensation de Rs 10 200 que leur a promis le gouvernement, ils peinent à garder la tête hors de l’eau. À l’instar de Jossica Nobin, femme pêcheur à Bois-des-Amourettes. «Dépi mo tipti mo lapess mo vann pwason. La ki pou fer la ? Konpansasyon oussi mo pa pé gagné akoz mo pa anrezistré. Koumma mo pou nouri mo zanfan ?» Le gouvernement a promis de «régulariser» la situation des pêcheurs qui n’ont pas encore le permis mais les procédures et autres démarches sont fastidieuses et prennent du temps, dit-elle.
Comme si l’inquiétude de ces hommes et femmes de la mer ne suffisait pas, voilà que des planteurs et éleveurs se retrouvent eux aussi embarqués dans la galère. Pour cause, depuis quelques jours, certains habitants du sud-est disent avoir constaté des traces noires, comme des petits points, sur leurs légumes. Un phénomène qui ne s’était jamais produit jusqu’ici selon eux. Ce qui a poussé certains à contacter l’Association des petits planteurs. Kreepaloo Sunghoon, qui en est le président, explique qu’il y a urgence. «Bann planter pé trakassé paski lavenir insertin ek zot pé per zot plantation osi inn afekté ek tousala.»
Eric Mangar, agronome de formation, est allé sur place pour constater les dégâts. Il est d’avis que les traces noires sont visibles dans les champs qui se trouvent à proximité des côtes. «Il faut savoir que la plupart des plantations de la côte sont irriguées par de l’eau saumâtre, c’est-à-dire de l’eau de la mer qui est filtrée. Les pâturages où paissent les animaux aussi. Ces éleveurs et planteurs sont vraiment inquiets.» Des échantillons d’eau et de quelques légumes tachetées de noir ont été envoyés au Food and Agricultural Research and Extension Institute pour y être analysés.
Nous avons tenté de contacter le ministère du Commerce et de la protection des consommateurs, Yogida Sawminaden, pour savoir si les commerçants, planteurs, éleveurs et autres auront droit à une compensation. Il est resté injoignable.
Le 26 juillet, les habitants de Pointe d’Esny se réveillent avec une triste image: l’épave du MV Wakashio drossée sur les récifs. Le navire japonais battant pavillon panaméen s’est échoué la nuit précédente. 12 jours après, il déverse son contenu dans nos lagons, causant une marée noire. Sans perdre de temps, les Mauriciens, main dans la main, s’activent pour limiter les dégâts. Retour sur la pire catastrophe écologique du pays…