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Sabordage: où et comment ?

20 août 2020, 20:41

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Sabordage: où et comment ?

La décision de saborder le vraquier ne fait l’unanimité. D’autant plus qu’aucune information n’avait encore été communiquée, à hier…

Depuis que la nouvelle de l’option possible du sabordage du MV Wakashio à huit milles nautiques (près de 15 km) de la limite extérieure du récif et à 2 000 mètres de profondeur s’est propagée, une vague de colère, d’indignation et de perplexité habite de nombreux Mauriciens, qui ne cessent d’inonder les réseaux sociaux de leurs messages. Comme l’a indiqué le ministre de l’Économie bleue, des ressources marines, de la pêche et de la navigation, Sudheer Maudhoo, au Parlement mardi, des tests effectués dans les endroits les plus affectés par la propagation du fioul ont révélé que les animaux marins ont dans l’organisme un taux élevé de métaux et d’hydrocarbures.

Des propos qui ont accentué la peur chez les amoureux de la mer. Et lorsqu’ils ont entendu parler d’un éventuel sabordage de l’épave, ils craignent que les baleines, cachalots et dauphins, qui viennent frayer dans cette partie de nos eaux, n’en souffrent également. Mais faire couler la proue du Wakashio sera-t-il vraiment bénéfique à ces animaux marins ou aurait-il mieux valu remorquer le vraquier ? Owen Griffiths, scientifique à la Mauritius Marine Conservation Society (MMCS), explique que le sabordage est mieux. «Il y a un dicton anglais qui dit : ‘Don’t let the perfect be the ennemy of the good.’ Dans le contexte actuel, c’est le cas. Dans un monde parfait, on aurait fait remorquer, évacuer, disparaître cette partie du MV Wakashio mais c’est impossible. Le mieux à faire par rapport à la proue de l’épave, c’est de le saborder. Dans quelques années, il deviendra un récif artificiel qui accueillera plusieurs vies.»

Selon des chercheurs français, la zone C4 est privilégiée par les baleines à bosse pour se reproduire. Hier soir, les remorqueurs du «Wakashio» se trouvaient dans cette région.

Et pour ce qui est de la frayeur des Mauriciens qui craignent des répercussions sur les animaux marins, Owen Griffiths affirme qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir à ce propos. «Il faut savoir que toute la toxicité d’un navire se trouve à la poupe, soit la partie arrière de l’épave, c’est-à-dire le morceau qui est coincé sur nos récifs en ce moment. La partie avant, la proue, qu’elle soit nettoyée ou pas, est généralement la partie free of electronics.»

Des propos soutenus par le chargé de cours de l’université de Maurice Nadeem Nazurally. Il ajoute que «kan bato-la ti pé koulé, li ti pé amenn polian é li ti déza pé afekté lanvironma ek so bann émision. Li pli gran linpak ki pou éna lor nursing ground whale. Si trenn li pou bizin plis bato, donk plis lésans é pou servi plis lémision.»

Cela signifie-t-il que nos baleines sont sans danger ? Selon le scientifique Yann Von Arnim, vice-président de la Mauritius Marine Conservation Society, le sabordage à l’endroit susmentionné n’importunera pas les baleines. Même si c’est la saison de la venue des baleines à bosse dans ces eaux. «Si on va suffisamment au large et loin des côtes, l’épave ne dérangera pas les baleines. Tout d’abord, il faut savoir que les baleines ne vont pas à des milliers de mètres de profondeur.»

Tout en s’alignant sur l’opinion de son collègue Owen Griffiths à l’effet que dans quelques années, la partie sabordée du MV Wakashio deviendra un habitat artificiel pour les animaux marins, Yann Von Arnim ajoute qu’il y a déjà 20 bateaux autour de Maurice qui ont été sabordés pour en faire des récifs artificiels. «Le plus gros est La Carpe à 75 mètres de profondeur au large du Morne. Il y en a aussi à Trou-aux-Biches, Flic-en-Flac, au Coin-de-Mire, entre autres. Aujourd’hui, ces épaves sont devenues des récifs artificiels, qui hébergent énormément de vies.»

La plongeuse et opérateur touristique Marine Ferrat a déjà plongé là où se trouvent des épaves autour de Maurice, notamment à Trou-aux Biches où le navire japonais Stella Maru a été sabordé à 26 mètres de profondeur (voir photo). Elle affirme qu’il y a une vie marine animale très riche autour de ces récifs artificiels. Mais par rapport au sabordage du MV Wakashio à 2 000 mètres de profondeur, elle reste perplexe. «Les épaves que j’ai vues lorsque j’ai plongé ne se trouvent pas à des milliers de mètres de profondeur. Elles sont assez rapprochées de la côte, raison pour laquelle il y a autant de vie. Mais à la profondeur à laquelle on va faire couler le MV Wakashio, je suis perplexe car je ne sais pas si les créatures marines auront besoin de cette épave.»

Cependant, Yann Von Arnim ajoute que «c’est sûr qu’à 1 000 à 2 000 mètres de profondeur, il n’y aura pas de coraux qui pousseront sur l’épave du MV Wakashio mais les animaux utilisent le fer pour se nourrir en profondeur. On l’a vu avec le Titanic.» En effet, les relevés effectués sur l’épave du fameux Titanic en 1996 et des expériences qui ont suivi indiquent que le fer situé dans le navire contient 24 à 36 % d’oxydes ferreux complexes et des sous-produits résultant du processus d’oxydation.

Le microbiologiste Denis Roy Cullimore du Canada a déduit que les bactéries et les champignons qui font partie de la faune marine consomment ce fer et que cela favorise la création de récifs artificiels. Au large des Bahamas, par exemple, des épaves immergées à faible profondeur se sont transformées en récifs coralliens. Le site était au départ pratiquement stérile mais l’endroit attire désormais une faune et flore abondantes.

Les conditions de la mer déterminantes

Dans un communiqué émis hier, le National Crisis Committee (NCC) affirme avoir validé les recommandations du comité technique, présidé par le directeur du Shipping, Alain Donat, sur la question du sabordage de la proue (partie avant) du MV Wakashio. Le vraquier qui était drossé sur les récifs de Pointe-d’Esny depuis le 25 juillet s’est finalement disloqué samedi. Le comité de crise dit avoir pris en considération les opinions de tous les experts et les différentes organisations non gouvernementales présentes dans le comité, y compris la Marine Mammal Observers and Marine Mega Fauna Conservation. Les conditions sous lesquelles l’exercice de sabordage sera entrepris ont également été discutées afin qu’il n’y ait pas de pollution en mer ou d’interférence avec la ligne maritime. Finalement, le moment opportun pour cet exercice sera décidé par le Chief Salvage Master de SMIT Salvage, en fonction des conditions de la mer. «La position et les conditions de sabordage sont conformes aux conseils des experts français présents à Maurice», fait ressortir le communiqué, sans toutefois apporter de réponse aux nombreuses questions. Quant à la partie arrière du navire, elle se trouve toujours sur les récifs. De l’huile restante sera pompée du vraquier par les salvors de SMIT demain, lorsque les conditions de mer devraient s’améliorer. Par ailleurs, des Brand Marine Consultants ont été mandatés par le Japan P&I Club pour réaliser un appel d’offres international pour la sélection d’un entrepreneur chargé d’en- lever la poupe (partie arrière) des récifs. À noter que le déploiement des barrages anti-pollution flottants se poursuit. 200 mètres de booms absorbants ont aussi été installés sur le rivage, près de l’hôtel Preskil.

Le sanctuaire baleinier de l’océan indien

En 1979, la Commission baleinière internationale (CBI), qui est l’organisme responsable de la préservation des populations de baleines, a établi le sanctuaire baleinier de l’océan Indien. C’est une zone où les baleines viennent se reproduire, mettre bas et allaitent leurs petits et où la chasse commerciale est interdite. Le sanctuaire couvre un territoire délimité, comme l’indique la carte. Couler les navires n’est pas interdit mais l’essentiel est de débarrasser l’épave de tous ses polluants. Or, dans le cas du Wakashio, tel n’a pas été le cas. Une deuxième carte a été établie en janvier 2013 par les chercheurs français. La Zone C4 montre la région où les baleines à bosse se regroupent pour se reproduire. C’est justement cette région qui serait privilégiée pour couler la proue du Wakashio, comme l’indique le magazine économique américain Forbes, ce qui explique la colère de nombreux inter- nautes. Sur son compte Twitter, le Dr Zouberr Joomaye a d’ailleurs confirmé que cette option est proposée par les «experts».