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Le mystère du vraquier en question

17 août 2020, 21:44

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Le mystère du vraquier en question

Depuis le 25 juillet, l’échouement du «MV Wakashio» à Pointe-d’Esny ne cesse de susciter des interrogations. Comment et surtout pourquoi ce navire est-il arrivé à Maurice ? Que transportait-il ? Pourquoi ne répondait-il pas aux autorités locales une fois arrivées dans nos eaux ? Nous avons tâché de décrypter ces zones d’ombre…

D’où vient le Wakashio?

Le MV Wakashio, qui appartient à la compagnie japonaise Nagashiki Kisen, est un vraquier construit en 2007. Il navigue sous le pavillon du Panama. C’est ce que confirme Nick Roe, porte-parole de la société propriétaire. Celle-ci a institué une cellule d’information. Selon le site marinetraffic.com, le navire a quitté le port d’embarquement de Lianyungang en Chine le 4 juillet 2020, vers 22 h 52. Peu après son départ, il s’est arrêté à Singapour pour se ravitailler avant de reprendre sa route.

Où se rendait-il?

Selon l’itinéraire officiel répertorié sur le site marinetraffic.com et une source proche du dossier, le Wakashio voguait vers Tubarão, un port maritime du Brésil. Sa date d’arrivée était fixée au 13 ou 14 août 2020. Cependant, des questions subsistent sur sa destination finale, souligne Bruneau Laurette, Operation Leader for Anti-Piracy in the horn of Africa. «Ce bateau n’a pas le droit de faire des long charters comme son permis a expiré. Il ne peut pas non plus opérer au Brésil», affirme-til. Cela dit, précise Nick Roe, le Wakashio était sur un «long-term charter» avec Nippon Steel Shipping, sous laquelle le navire opérait avant. Ce long-term charter est terminé, ajoute-t-il. Nagashiki Kisen, propriétaire actuel du Wakashio, a maintenant un «charter agreement» avec l’armateur Mitsui OSK Lines (MOL) qui commercialise le navire, qui, en retour, assure le transport pour le cargo. Selon un article d’Adam Corbett sur le site de TradeWinds, le Wakashio procède à des trajets commerciaux entre l’Australie et le Japon. Et d’après l’Agence France-Presse, des navires de MOL ont été impliqués dans des accidents dans l’océan Indien en 2006 et 2013 respectivement.

Qui était à bord ?

20 personnes composent l’équipage du vraquier. Il comprend le capitaine, le Chief Officer, le chef ingénieur, d’autres ingénieurs, entre autres cadres. Trois sont d’origine indienne, un est SriLankais et 16 sont des Philippins. Selon nos informations, une dizaine d’entre eux est basée à l’hôtel St-Georges après la quarantaine à Belle-Mare. Ils ont commencé à collaborer pour l’enquête maritime du directeur du Shipping. En parallèle, le CCID mène aussi son enquête. Les dix autres membres de l’équipage seront également interrogés. Dans cette affaire, les services de Me Kushal Lobine ont été retenus par l’assureur. Il était également l’avocat du MV Benita qui s’était échoué à Maurice en 2016. 

Quel était le motif du voyage ?

Selon Nick Roe, le bateau transporte généralement des dry bulk commodities autour du monde. «Au moment de l’accident, le navire n’avait pas de cargo à bord», affirmet-il. Et d’après une source des milieux maritimes, le Wakashio allait récupérer des marchandises du Brésil pour les ramener en Chine. Un objectif qui ne convainc pas Bruneau Laurette. «Si le bateau devait rallier le Brésil, il serait passé par le Cap de Bonne Espérance, ce qui implique qu’il allait prendre entre 10 à 15 milles nautiques plus bas», explique-t-il. De plus, selon l’association Clean Artic Alliance, la route choisie par l’équipage était plus longue. Comparativement, des trajets alternatifs, dont celui par le canal du Panama ou le canal de Suez, étaient plus courts et auraient parallèlement réduit les émissions de dioxyde de carbone.

Que transportait le vraquier?

La police indique que le vraquier était «vide», à l’exception de 200 tonnes de diesel et 3 800 tonnes d’huile lourde. Mais à quoi servait donc cette huile ? «Dans les deux réservoirs intacts, c’était du crude oil, ce qui veut dire que cette dernière doit être traitée avant d’être utilisée. Cela pouvait difficilement alimenter les moteurs du Wakashio», déclare Bruneau Laurette. De préciser que la substance déversée dans nos lagons provenait de la cale des moteurs.

Le carburant est-il riqué ?

«On ne sait pas à quel type de produits nous avons affaire. Est-ce radioactif ou cancérigène ? Aucune analyse n’a été réalisée pour déterminer les composants de l’huile lourde en question», souligne Bruneau Laurette. Il s’interroge sur tout risque de contamination, en particulier face au grand nombre de volontaires à pied d’œuvre. Il soutient qu’il faut voir le broker, déterminer qui a payé pour le fioul et comment s’est ef- fectuée la transaction.

Où sont passés les débris repérés la veille du naufrage ?

En vacances avec sa famille, le Dr Kovila Parsuramen affirme avoir aperçu des débris qui pourraient venir du bateau. «On est sorti vers 7 h 30 pour faire une marche sur la plage le samedi 25 juillet. Vers 8 heures, nous avons aperçu un siège bleu, plusieurs gilets de sauvetage neufs dans des sacs en plastique et une sangle», confie-t-elle. Vers 8 h 19, elle rentre à son hébergement et avertit les garde-côtes. Elle soutient également avoir conservé la sangle pour la remettre comme évidence à la police par la suite. Son beau-frère, qui s’y connaît en bateaux, estime que ces débris proviennent d’un navire. Mais sur l’horizon, à ce moment-là, aucun bateau n’était visible. «On s’est dit qu’il y avait sans doute quelqu’un en détresse en mer, d’où notre appel aux garde-côtes», explique le Dr Kovila Parsuramen. Une trentaine de minutes plus tard, elle retourne sur la plage pour photographier les débris. Mais il n’y en avait plus la moindre trace. Qui les a enlevés ? Rien n’est sûr, estime-t-elle.

«C’est en découvrant le Wakashio sur les récifs le soir que nous avons fait le lien. Après ma notification aux garde-côtes, je n’ai eu aucun suivi. Par contre, dans une vidéo en ligne, un des effectifs de cette unité disait que c’est après mon alerte qu’ils sont allés faire des recherches. Cela les a alors poussés à vérifier les radars. Il dit avoir contacté le capitaine du Wakashio, en vain.» Hélas, la fameuse vidéo a disparu des réseaux sociaux.

Comment le bateau s’est-il échoué ? 

Le Wakashio naviguait à 11 nœuds, une vitesse normale, selon les sites maritimes. Cependant, en approchant de l’impact le 25 juillet, celle-ci n’a pas été réduite. Parallèlement, la trajectoire n’a non plus pas été déviée. Résultat: le navire s’est échoué sur nos côtes à Pointe-d’Esny. Comment ? «En regardant la position, la façon dont le Wakashio s’est incrustée indique que les moteurs étaient toujours en propulsion. Si le bateau dérivait, il allait être sur le flanc. De plus, toutes les cinq ancres sont toujours en haut, ce qui démontre qu’il est impossible qu’il y ait eu une panne de moteur», fait ressortir Bruneau Laurette.

Comment a-t-il pu entrer à Maurice sans autorisation ? 

Dans sa conférence de presse mardi dernier, Pravind Jugnauth a affirmé que l’équipage n’a pas répondu aux appels des autorités une fois que le bateau est entré dans notre zone maritime. Comment a-t-il pu le faire ? Déjà, ceci n’est pas autorisé, af- firme Bruneau Laurette. Citant l’exemple d’une maison clôturée sujette à une intrusion, il soutient que le contrevenant commet l’offense de rogue and vagabond. Idem pour le Wakashio qui se risque à un «acte de guerre». Élément qu’il a dénoncé lors d’une dépo- sition au Central Crime Investigation Department, le jeudi 13 août. «Le devoir des autorités mauriciennes était d’aller vérifier sur place en l’absence de communication. Des directives auraient dû être données pour cette ins- pection. Car s’il y avait des terroristes ou des pirates, cela aurait constitué un danger», soutient l’Operation Leader for Anti-Piracy in the Horn of Africa.

Pourquoi l’assistance au vraquier a tant tardé ? 

«Dès qu’un navire fait naufrage, un Wreck Receiver est nommé. C’est le Director of Shipping qui assume ce rôle automatiquement. Il peut nommer un Salvage Manager. L’État dit qu’il fallait attendre la consigne de ce dernier», explique Bruneau Laurette. D’où le retard pour l’intervention du pompage. À ce propos, les autorités ont déclaré que les conditions météorologiques étaient défavorables. Aussi, plusieurs navires tels que le MV Tresta Star d’Inde n’ont pas commencé à pomper le fioul plus tôt. Idem pour d’autres bateaux, dont le Stanford Hawk qui intrigue Bruneau Laurette. «Pendant la nuit du 4 août, ce navire est descendu vers le MV Wakashio déjà échoué. Puis, il est remonté vers l’île de la Passe. Qu’est-il venu faire là ? Venait-il vraiment secourir le Wakashio ou le tirer, ce qui aurait causé la fuite ?» se demande-t-il.