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Éducation: on a perdu un an… et des élèves

9 juin 2020, 22:30

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Éducation: on a perdu un an… et des élèves

«Environ 40 % de la population estudiantine ont des difficultés d’apprentissage. Les ‘slow learners’ ont atteint un point de déscolarisation depuis le confinement», constate Munsoo Kurrimbaccus, pédagogue. Il évoque deux raisons à ce phénomène. D’abord, la plupart de ces enfants sont issus de milieux défavorisés et n’ont pas accès à l’apprentissage en ligne. Deuxièmement, ces cours virtuels sont en anglais et français, des langues qui ne sont pas adaptées à leurs besoins. «Les ‘slow learners’ nécessitent des cours en créole. Là, ils sont déjà déscolarisés.»

Ces propos sont rejoints par ceux d’un sociologue, qui compte parallèlement une longue expérience dans l’éducation. «Les programmes scolaires télévisés ne sont pas de haut niveau. L’apprentissage en ligne peut marcher pour les enfants doués. Par contre, pour les enfants en difficulté scolaire, cela creuse davantage l’écart. Le confinement débouche sur un désavantage social à leur égard.»

Car en sus d’être privés de facilités technologiques pour suivre les cours en ligne, l’absence de soutien familial est aussi un problème. Selon notre interlocuteur, ces petits requièrent une attention particulière des enseignants. Ainsi, sans un soutien rapproché de ces derniers, ils n’ont pas la capacité de travailler. «Cela cause un décalage énorme. Il y aura certainement une détérioration de la situation. D’autant plus que les parents ne s’impliquent pas dans leur suivi scolaire. Ces enfants en difficulté d’apprentissage auraient dû être priorisés pour la rentrée.»

«L’écart risque de se creuser»

Pour sa part, Paula Atchia, pédagogue, s’interroge sur le contrôle de la scolarité en ligne durant le confine- ment. «Certains enfants ont eu la chance de suivre ces cours en ligne. Je ne connais pas la valeur de ces formations, mais cela avait l’air d’être inégal. Dans certains cas, c’était assuré par des professeurs qualifiés. Mais dans d’autres, c’était bâclé. C’est vraiment dangereux de faire quelque chose comme ça», déclare-t-elle.

La coordination a-t-elle été bien faite ? Combien d’enfants y ont adhéré en réalité ? Quel contrôle a été effectif sur ces programmes virtuels ? Autant de questions qui restent en suspens. D’ailleurs, précise Paula Atchia, pour les enfants en difficulté scolaire, l’adhésion est plus ardue. Selon elle, plus d’options doivent leur être proposées. Il faut aussi s’as- surer qu’ils les intègrent. Or, maintenant que la rentrée est davantage décalée au mois d’août, l’écart risque de se creuser davantage.

«L’école aurait dû reprendre plus tôt, par exemple vers la mi-juin. On prend trop de temps depuis le dé- confinement. Et les enfants en pâtissent déjà. Au 3 août, cela fera presque cinq mois que ces derniers sont privés d’école. L’État a bien géré le volet santé de la pandémie mais pas celui de l’éducation», rétorque Munsoo Kurrimbaccus. Avec ce prolongement du confinement des enfants et l’interruption imminente des cours virtuels, la déscolarisation des «slow learners» va se perpétuer, ajoute-t-il.

Selon le pédagogue, la scolarité en ligne a aidé une poignée d’élèves, qui sont restés motivés. Mais pour d’autres catégories d’élèves, la stimulation des interactions de classes régulières est indispensable. Par conséquent, l’offre en ligne n’a pas trouvé forcément preneur. Pire encore : ceux en difficulté scolaire risquent de s’enliser davantage dans l’échec, déplore Munsoo Kurrimbaccus.

Comment aider ces enfants à rattraper leur retard ? Ou est-ce trop tard ? «On a perdu une année», lâche Uma Sooben, présidente et fondatrice de l’école spécialisée Joie de Vivre Universelle. Munsoo Kurrimbaccus abonde dans le même sens. «C’est une année de perdue pour ces petits. D’autant plus qu’ils iront à l’école à une fréquence de trois fois par semaine. On dit qu’on fera des classes de rattrapage. Mais étant donné qu’on a été déconnecté pendant tous ces mois, leur réintégration dans le système prendra encore plus de temps», explique le pédagogue.

Néanmoins, Paula Atchia soutient qu’il faut «faire tous les efforts nécessaires pour les aider à rattraper leur retard». Déjà, soutient-elle, il faut bien déterminer à quel moment cette catégorie d’enfants à besoins spéciaux reprend l’école et dans quelles conditions ? «Quelles mesures prendra-t-on pour dynamiser les cours ? Il est impératif que les professeurs travaillent en avance pour étoffer les programmes pour ces petits. Cela demande des efforts supplémentaires», affirme-t-elle.

Dans cette lignée, les écoles spécialisées prennent les initiatives pour éviter que la déscolarisation ne s’aggrave. «On a formé les parents avec les thérapeutes pour un programme en ligne et des suivis à distance avec les enfants atteints de déficience mentale. Bien sûr, on doit aller au rythme de l’enfant. Pour les slow learners, on a fait le suivi par WhatsApp. Mais l’inconvénient, c’est que les parents n’ont pas les moyens techno- logiques. La reprise est longue. On devra tout reprendre à zéro», déclare Uma Sooben. Face au retard cumulé, il faut mettre les bouchées doubles, tout en respectant la capacité de l’enfant. Car toute précipitation peut avoir des effets adverses et le faire régresser, estime-t-elle.

Ayant aussi conçu un programme personnalisé avec des vidéos entre autres outils virtuels, Géraldine Aliphon, directrice d’Autisme Maurice, confie ne pas s’être fiée aux ressources télévisées. «Àla rentrée des classes, certains enfants vont continuer en ligne. Mais pour ceux éprouvant plus de difficultés à suivre les programmes sur vidéo, etc., on entame des visites à domicile dès cette semaine. Les éducateurs feront des interventions directement avec eux», précise-t-elle.

Cette méthode est aussi privilégiée par Marie-Noëlle Ramdeen, responsable de Future Hope, qui encadre 120 enfants de 5 à 18 ans, sujets à des difficultés scolaires. L’association assure d’ailleurs l’accompagnement pédagogique. «Durant le confinement, les enfants ont perdu énormément en scolarité. Ils ne pouvaient pas se connecter. Ils éprouvent d’extrêmes difficultés et ne comprennent rien à la télévision. Ce sont des jeunes de 12 ans qui ont un niveau très bas. La seule solution est de leur donner des devoirs et assurer le suivi sur le terrain», indique-t-elle. Aussi, grâce à leurs Work Access Permits (WAP), les éducateurs ont pu intervenir à domicile pour les faire travailler et impliquer les parents dans leur scolarité.

Ce passage obligé est vital pour ne pas les perdre. «Depuis le confinement, on a essayé de maintenir le fil. Il le faut. Sinon, ces petits seront complètement déconnectés», avance Marie-Noëlle Ramdeen. Cependant, elle avoue qu’il «sera très difficile pour que ces enfants reprennent». Beaucoup de parents lui demandent si on pourra tout rattraper. «La situation est complexe. On ne sait ce qu’il adviendra de nos enfants demain…»

Flou autour des cours en ligne après le 14 juillet

Du lundi 15 juin au mardi 14 juillet, les élèves auront droit à un «break». Cela, après neuf semaines de cours en ligne lors du confi- nement lié au Covid-19. Mais une question taraude des en- seignants et élèves : qu’adviendra-t-il des cours en ligne après ce «break» ?

Plusieurs recteurs ont eu une rencontre avec la ministre de l’Éducation, hier matin. «La question a été posée ce matin (NdlR, hier matin) à la ministre car nous voulions avoir plus d’éclaircissements. Mais nous sommes restés sans réponse», soutient le directeur d’un collège situé dans la capitale.

Yann Jhugroo-Cangy, Head Boy et élève en Grade 13 au collège John Kennedy, est lui aussi dans le flou. «Les enseignants devront, à partir du 15 juillet, retourner à l’école pour préparer la rentrée. Entretemps, est-ce que nous continuerons à suivre des cours en ligne ? Ce n’est pas clair», souligne-t-il. «Certains de mes ca- marades me demandent si on aura au final plus de jours de congé que prévu…»

Question d’organisation

Un enseignant en édu- cation physique, qui travaille dans un établissement privé dans le centre, quant à lui, fait ressortir que cette semaine sera la dernière semaine des cours en ligne. «Les enfants ont eux aussi réalisé qu’il ne reste plus beaucoup de classes avant la reprise et ils ont tous été présents en ligne aujourd’hui», constate-t-il. Toutefois, il se dit également dans le flou. «Vu que l’annonce a été faite il y a quelques jours, la direction de l’école n’a encore rien avancé concernant la continuité des cours en ligne après les vacances. Mais le fait que nous allons devoir reprendre le chemin de l’école dès le 15 juillet explique tout. Il ne nous reste que quelques jours de classe et les enfants auront plus de jours de vacances.»

Sollicitée au sujet des cours en ligne après le 14 juillet, une source au sein du ministère de l’Éducation avance que ce sera une question de réorganisation. «Lorsque les enseignants reprendront le chemin de l’école, ils devront s’organiser avec la direction pour avoir un temps libre durant la journée pour communiquer avec leurs élèves. Ce sera à eux de s’organiser entre les préparatifs administratifs pour la rentrée et le maintien du contact avec leurs élèves», indique-telle. De faire ressortir que «le degré d’activité en ligne ne sera pas le même que ces dernières semaines, mais l’idée est de garder «ENVIRON 40 % de la der le contact avec les enfants».