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Le dilemme Air Mauritius

14 mai 2020, 09:34

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Le dilemme Air Mauritius

Certains commentateurs m’ont demandé, avec cynisme, d’écrire la nécrologie d’Air Mauritius. Je vais les décevoir. Air Mauritius n’est pas morte. Juste très mal en point. Réduite à sa plus simple expression.

Réduite à la nécessite de faire un inventaire sans complaisance de ses atouts (ou actifs) et de ses boulets (ou passifs). Et de tenter de ramener cette équation à un équilibre plus durable.

Du côté des actifs, la compagnie repose sur :

1. Une destination touristique de renom, mais dont la fréquentation s’annonce considérablement réduite alors que le monde bascule dans une nouvelle réalité. Il y a encore quelques années, l’International Air Transport Association (IATA) anticipait un doublement du trafic aérien en 2035. Des anticipations construites sur une certaine vision du monde de demain. Une vision sans aucun aynt un lien direct avec la réalité physique du monde. Or, il faut du pétrole pour faire voler des avions. Le pic de la production pétrolière est en voie d’être passé. Le pic aérien le sera aussi. D’ailleurs, l’IATA ne communique plus aucun chiffre dans la conjoncture actuelle…

2. Des équipes et des compétences construites sur 50 années d’opérations.

3. Des avionsdot certains sont plus utiles que d’autres.

Du côté des passifs, il y a :

1. Évidemment, la montagne de dettes et d’engagements financiers.

2. Une gouvernance longtemps décriée, propulsée par des technocrates politisés qui croient que l’île Maurice est le poumon commercial et financier de l’océan Indien, pas en la réalité du monde (c’est vrai que là, l’IATA ne les y a pas aidés).

3. Un secteur hôtelier en surcapacité, confiant, il n’y a pas si longtemps, de ses aptitudes à gérer la sur-surcapacité ; un secteur qui mise davantage sur la confiance en lui-même qu’en la réalité du monde. Et qui courtise Air Mauritius pour mieux inviter ses concurrents.

Bref, dans tout cela, il faudra faire le tri. Ce qui est mort, ce n’est pas la compagnie. Ce sont les idées qui l’ont menée à sa perte. C’est une vision du monde déconnectée du réel. Ce qui reste est la possibilité de faire voler des avions dans un environnement de pragmatisme brutal. Dans un environnement où chaque touriste est une ressource rare, susceptible de ne pas revenir. Ce qui reste est un secteur dont le ralentissement imminent et le déclin doit être géré avec courage plutôt subi avec un pessimisme grincheux.

Dès lors, l’actionnaire majoritaire, qui est le gouvernement, devra faire un choix de vision. Un choix d’idées. Chaque touriste qui arrive à Maurice contribuera-t-il à soutenir l’indépendance économique des Mauriciens dans leur ensemble ? Soutenir une vision du monde en plein essor qui pourrait ne pas se matérialiser ? Ou soutenir les intérêts des hôteliers ?

Malgré les beaux discours, les hôteliers n’ont pas (ou à peine) besoin d’Air Mauritius. Grand nombre de compagnies aériennes ne vont pas se priver de l’opportunité de desservir une destination tant qu’elle est capable de vendre ses hôtels. Il y aura toujours un accès aérien sur Maurice. Faut-il, pour cela, sauver Air Mauritius ?

Décider du sort d’Air Mauritius est un acte politique. Il demande de privilégier la gestion d’une ressource rare par une entreprise d’État, et par ricochet, placer l’avenir du secteur touristique entre les mains de cette entreprise. Ou placer sa foi dans les marchés et laisser le plus fort desservir la destination. Dans lequel cas, Air Mauritius risque de ne pas peser très lourde dans l’équation.

Sauver Air Mauritius demandera que la gestion des entreprises d’État s’élève à de nouveaux défis. Air Mauritius, aura besoin de gestionnaires de grand calibre, certes. Mais aussi proches du gouvernement. Très proches du gouvernement. L’idée du super-gestionnaire technocrate loin du pouvoir est un leurre. Dans la situation, le bon gestionnaire devra se révéler capable d’influencer à la fois la gestion de la compagnie et celle des grandes décisions économiques du pays. Capables de faire valoir l’intérêt général sur l’intérêt des lobbies, qu’ils soient partisans ou économiques. Toutes ces compétences vont de pair.

Des gestionnaires politisés du fait même de leur nomination, mais dont le seul destin est de réussir. De réussir tout à fait, pas à peu près. Et en très peu de temps.