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Robert Chaudenson, Gran Neg Kreol
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Robert Chaudenson, Gran Neg Kreol

J’ai rencontré Robert Chaudenson pour la première fois en 1975 au Centre universitaire de La Réunion alors que je commençais ma carrière à la direction des Études françaises et dialogue des cultures de l’AUPELF (Association des universités partiellement ou entièrement de langue française, devenue par la suite l’Agence universitaire de la Francophonie). Sachant que j’étais Mauricien et créolophone, le secrétaire général de l’Association, Jean-Marc Léger, m’avait confié, entre autre, le mandat de développer un projet concernant les langues et les cultures créoles en réunissant les chercheurs et spécialistes en études créoles des institutions membres de l’AUPELF, voire au-delà.
Ma rencontre avec Robert Chaudenson - je découvris alors un géant extrêmement direct et fort décontracté - déclencha la création d’un Comité scientifique provisoire des créolistes en février 1976. Bénéficiant du bienveillant appui de Robert Chaudenson et de son leadership incontesté, j’assurai le secrétariat du comité. Il comprenait également les professeurs Alain Bentolila (Université René Descartes-Paris V), Jean Bernabé (Centre universitaire Antilles-Guyane), Guy Hazaël-Massieux (Université de Provence- Aix Marseille I), Pradel Pompilus (Université d’État d’Haïti) et Albert Valdman (Université d’Indiana).
Le comité provisoire décida de la tenue d’un premier grand colloque international, qui se déroula du 14 au 18 novembre 1976 au Centre universitaire méditerranéen de l’Université de Nice, consacré aux études sur les parlers créoles à base lexicale française. Quelque quatre-vingts chercheurs d’une quinzaine de pays y participèrent, aussi bien de la Caraïbe que de l’océan Indien, d’Europe, des États-Unis et de l’Océanie. Au terme du colloque, le Comité international des études créoles (CIEC) fut constitué et chargé de mettre en oeuvre les résolutions de l’assemblée. Robert Chaudenson fut élu président du Comité à l’unanimité et je me retrouvai élu secrétaire, siégeant aux côtés des treize autres chercheurs créolistes d’horizons et de disciplines diverses.
Sous l’impulsion agissante de Robert Chaudenson – qui lui valut des querelles épiques et moult inimitiés –, ainsi qu’à son étonnante capacité « à faire bouger les lignes», le CIEC allait très vite devenir une référence dans le domaine des études créoles, avec la tenue de colloques réguliers dans les aires créolophones mais aussi par la publication de la revue spécialisée et interdisciplinaire Études créoles qui fut fondée en 1978.
Au-delà de mes propres souvenirs de Robert Chaudenson, des nombreux échanges personnels jusqu’à fort récemment, des divers projets universitaires voire des « combats » menés en commun (notamment pour le développement pluridisciplinaire des études créoles mais aussi en francophonie concernant la prise en compte des langues africaines, arabes et créoles), je garde le souvenir d’un universitaire et d’un chercheur hors norme, d’un polémiste redoutable (j’en ai même fait les frais lors de la création de Bannzil Kreol !), d’un vrai « kamrad » selon ses propres termes. N’étant point linguiste, je me garderai de juger les arguments pour ou contre les thèses et affirmations de Robert Chaudenson et de ses pairs. Je me suis d’ailleurs toujours tenu loin de cela, ma profession me liant à un devoir de réserve. Mais en qualité de témoin de la première heure, je puis affirmer que les études créoles constituaient presqu’un désert dans les universités francophones dans les années 1970, la plupart des travaux étant alors entrepris par les chercheurs caraïbéens anglophones, américains voire allemands. Qui plus est, les études créoles avaient mauvaise presse et étaient malvenues dans les aires créolophones et francophones.
L’immense tâche entreprise par Robert Chaudenson au cours de nombreuses années à la tête du Comité international des études créoles, son pouvoir de conviction auprès des autorités gouvernementales et académiques françaises, son implication au sein du conseil d’administration de l’AUPELF ou en qualité d’expert auprès de l’ACCT (Agence de coopération culturelle et technique devenue l’Organisation internationale de la Francophonie) et de l’Unesco, lié au soutien que lui apportaient des pays créoles comme les Seychelles ou Haïti au sein de ces instances, auront grandement contribué à ouvrir des champs scientifiques aux langues et études créoles, à leur conférer leur légitimité, à former de nombreux étudiants et chercheurs et à donner une certaine reconnaissance aux cultures créoles.
À la manière haïtienne je dis : Ochan* pou Gran Neg Robert Chaudenson. Oner ! Respé !
Jean Claude Castelain
Agence universitaire de la Francophonie (1973-2007)
*Salutation en créole haïtien
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