Publicité

Conséquences économiques du Covid-19: repenser la mondialisation avec la décroissance

17 avril 2020, 11:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Conséquences économiques du Covid-19: repenser la mondialisation avec la décroissance

Les nouvelles prévisions du Fonds monétaire international (FMI) sont implacables. L’économie mondiale se contractera de 3 % en 2020. L’impact sur Maurice sera catastrophique : une croissance négative de 6,8 %, entraînant dans le rouge d’autres indicateurs comme l’inflation à 8,5 % et le taux de chômage atteignant 17 %. Des voix s’élèvent aujourd’hui sur les limites du modèle économique actuel.

Si on part du postulat que la décroissance est un concept à la fois politique économique et social et qu’elle apporte plus de pauvreté que des richesses à l’humanité, Rajeev Hasnah, économiste, estime que c’est une analyse sans doute simpliste, qui ne répond pas nécessairement à la problématique du moment. La décroissance comme un est-il soutenable dans le temps ? Non, répond-t-il. 

Même s’il est le premier à reconnaître que la mondialisation et le modèle sur lequel elle repose est aujourd’hui à l’origine de la propagation de cette pandémie. «Vu que la Chine est ultra connectée avec le monde, ce virus sur son territoire s’est répandu comme une trainée de poudre. Contrairement à Ebola, localisé en Afrique de l’ouest, donc bien vite maîtrisé. La propagation de cette pandémie résulte de l’effet de la mondialisation et de la posture de la Chine à l’échelle internationale», analyse Rajeev Hasnah.

Pour mieux comprendre ce concept, voici un dessin animé sur le site Dessine moi l’éco:  http://dessinemoileco.com/decroissance-solution-crise/

Obsession du PIB

Certes, la recherche d’une croissance forte du Produit intérieur brut (PIB) est devenue obsessionnelle pour beaucoup de pays. «Le terme croissance est devenu au fil des années la seule référence pour les politiciens, les gouvernements et même les médias comme synonyme de succès économique. Il est bien commode à utiliser car il cache les enjeux plus importants comme le chômage, l’inégalité ou la pauvreté. C’est un terme fourre-tout et en même temps qui ne reflète même pas le succès économique», explique le syndicaliste et homme de gauche, Jack Bizlall (voir plus loin).

Une analyse que partagent les altermondialistes, tant dans le monde qu’à Maurice, estimant que la décroissance, plus qu’un projet écologique, est une politique qui démontre d’abord que l’obsession de la croissance pour la croissance n’est pas soutenable à long terme. «Augmenter constamment la production de biens et services (PIB) ne réduit pas les inégalités. Et ne garantit pas forcément une meilleure qualité de vie pour les populations. En revanche, ce qui est certain, c’est que cette course effrénée vers la croissance conduit inexorablement à un épuisement des ressources naturelles : terres agricoles, pétrole, gaz, bois, poissons», disent-ils. 

D’autres, comme Kugan Parapen, économiste et membre de Rezistans ek Alternativ, ont plus d’une fois souligné dans le passé que «le modèle économique actuel est dépassé et qu’il faut penser autrement qu’en termes de profits destinés à une poignée de conglomérats».

Sécurité alimentaire

Du coup, l’après-coronavirus est vu par certains spécialistes comme l’émergence d’un nouveau monde, d’un modèle économique plus proche des réalités humaines et différent du modèle actuellement. Rajeev Hasnah estime qu’il y a des leçons à tirer de la part des dirigeants du pays. «C’est le modèle de globalisation prôné par Maurice pendant des années pour dépendre de l’importation des produits énergétiques et des strategic goods qu’il faut remettre en cause. Le lockdown du pays a fait le gouvernement réaliser comment il devenu vital aujourd’hui d’élaborer une politique agricole agressive assurant la sécurité alimentaire du pays.» Et de s’interroger s’il est normal que le pays importe «pendant plus de 30 ans la totalité de ses besoins en énergie et dépense presque Rs 31 milliards chaque année et n’a pas jusqu’ici développé une politique énergétique cohérente, pour réduire notre dépendance des énergies fossiles en ayant recours à l’énergie solaire».

Ce qui fait dire à Rajeev Hasnah que le débat entre croissance et décroissance est un faux débat aujourd’hui. Selon lui, la décroissance est le résultat statistique des principaux fondamentaux du pays. Le modèle économique capitaliste demeurera toujours même l’après-coronavirus. 

Mais il sera appelé à évoluer car il est convaincu que le développement économique ne passe pas uniquement par la croissance d’un pays. D’autres variables liés à la viabilité économique, comme le développement durable et la sécurité alimentaire, prendront de l’importance dans la nouvelle architecture économique.

Planète

Pour l’économiste Eric Ng, même si cette crise permet à la planète de respirer et de se régénérer avec moins de pollution de l’industrie et des transports en commun, le pays aura encore besoin d’une croissance économique. «Une petite économie comme Maurice ne croît qu’en participant pleinement aux échanges internationaux de biens (textile) et des services (tourisme, transport et finances).» Il privilégie toutefois une croissance inclusive, dont les fruits sont partagés à l’ensemble de la population.

Reste que la décroissance n’est pas l’apanage des mouvements écologiques ou altermondialistes. Les entreprises s’intéressent également à ce nouveau modèle de développement. A l’instar du groupe bancaire, MCB avec son projet «Lokal is beautiful». Bien avant la crise, le groupe s’inquiétait des conséquences sociales et environnementales si l’économie actuelle reste telle quelle. Il soulignait l’impératif de repenser le modèle de développement pour le rendre inclusif, pour que la prospérité soit bénéfique à l’ensemble du pays.

Avec la pire crise économique depuis la Grande Dépression de 1929 aux États-Unis c’est un nouveau paysage économique qui se redessine. Alors que chaque pays cherche à limiter les dégâts, les contours de ce nouveau modèle en devenir nourrissent actuellement les réflexions des dirigeants politiques, économistes et autres adeptes de la décroissance.

 

 

Deux rendez-vous internationaux 

<p>Les débats autour d&rsquo;un mode de développement alternatif capable de se débarrasser des contradictions associées à un système qui ne jure que par la croissance pure ou dure ou, selon une approche moins agressive qui prône la durabilité, va franchir un nouveau palier en mai/juin et en septembre. Les travaux autour de la première conférence se dérouleront à Vienne, en Autriche, du 29 mai au 1er juin. Cette conférence aura pour thème la conception de stratégies susceptibles d&rsquo;occasionner l&rsquo;émergence d&rsquo;une société, fruit d&rsquo;une transformation socio-écologique. Une transformation où scientifiques et acteurs de la société auront leur mot à dire.</p>

<p>Trois mois après, la ville de Manchester, Angleterre, abritera le déroulement d&rsquo;une autre conférence. Le thème ne sera pas moins intéressant que la première. Il s&rsquo;agira pour les participants de cette manifestation intellectuelle d&rsquo;identifier les pistes pouvant potentiellement dégager les moyens alternatifs d&rsquo;existence en temps de crises économiques et politiques.</p>

 

 

 

 

Vassen Kauppaymuthoo: transition vers une économie décarbonée 

<p>Océanographe et ingénieur à l&rsquo;environnement, Vassen Kauppaymuthoo a embrassé une double profession au coeur même de cette approche qui milite en faveur de la possibilité et de la nécessité de traiter la nature et l&rsquo;environnement autrement. Pour lui, l&rsquo;émergence d&rsquo;une situation de vie où la décroissance se vivra au quotidien n&rsquo;est qu&rsquo;une question de temps. Il appuie son argument sur le fait que la croissance de la population mondiale de même que celle de l&rsquo;économie globalisée dans<em> &laquo;le contexte d&rsquo;une planète avec des ressources limitées&raquo;</em> ne pourront continuer de s&rsquo;épanouir comme si de rien n&rsquo;était.<em> &laquo;On prévoit ainsi une décroissance de la population et de l&rsquo;économie dans les décennies à venir et il faut intégrer ce concept qui va prévaloir à l&rsquo;avenir.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p>C&rsquo;est pour cela que certaines entreprises commencent à parler d&rsquo;économie circulaire. Il estime urgente la transition vers une économie décroissante et décarbonée, orientée vers la protection de l&rsquo;environnement et des océans.&nbsp;</p>

<p>Bref, une économie autant écologique que bleue. Il se dit convaincu qu&rsquo;une telle posture est à même de produire des résultats au-delà des espérances.<em> &laquo;C&rsquo;est non seulement une alternative, mais un réel impératif et des opportunités qui verront émerger des entreprises visionnaires et mourir celles qui s&rsquo;accrocheront au vieux modèle de croissance infinie.&raquo;</em></p>

 

 

 

La richesse vue différemment

On jure par le mot «croissance» sans parfois en connaitre le sens ni ses effets sur la vie du citoyen. Constat de Jack Bizlall. Par contre, quand on parle du taux de chômage, de l’inflation, du pouvoir d’achat ou de la qualité de vie, les gens ordinaires comprennent. «Malheureusement, le terme croissance est devenu au fil des ans la seule référence pour les politiciens, les gouvernements et même les médias comme synonyme de succès économique. Il est bien commode à utiliser car il cache les enjeux plus importants comme le chômage, l’inégalité ou la pauvreté. C’est un terme fourre-tout qui, en même temps, ne reflète même pas le succès économique», dit le syndicaliste. 

La croissance est la différence du Produit Intérieur Brut (PIB) d’une année à l’autre. Donc pour comprendre la croissance il faut d’abord comprendre le PIB. En gros, c’est la somme des biens et des services produits par un pays. Pour Jack Bizlall, «le PIB peut cacher des disparités entre les citoyens d’un pays, cette différence variant d’un pays à l’autre». 

Quand on consulte la liste des 15 pays avec les PIB les plus élevés, on y voit certes les États-Unis, le Japon et la Chine. Mais le Brésil est à la 8e place, l’Inde à la 7e et le Mexique à la 15e. Ces pays ne sont pas vraiment des pays riches au sens commun, puisqu’ils renferment de grandes inégalités et beaucoup de pauvreté. Même le PIB par habitant ne montre pas ces inégalités car la richesse peut être inégalement répartie, le PIB par habitant ne fournissant qu’une moyenne. 

Pour Jack Bizlall, le PIB exclut aussi d’autres activités comme le travail à la maison, les légumes que l’on produit chez soi et le bénévolat. De plus, des dégâts énormes causés par une catastrophe naturelle, par exemple, ne sont pas comptabilisés mais les travaux de réparations le sont ! Le syndicaliste attire notre attention aussi sur l’effet de l’inflation, qui pourrait booster le PIB artificiellement. 

Quid de l’environnement ? Le PIB ne tient aucun compte de sa dégradation, encore moins de la qualité de l’eau consommée ni même du manque d’eau, commente Jack Bizlall. Un exemple de l’absurdité de la formule du PIB : plus il y a des embouteillages sur nos routes, plus les automobilistes laissent tourner leur moteur, plus ils gaspillent, plus ils polluent et plus ils perdent du temps, eh bien, mieux c’est pour la croissance ! 

C’est pour cela que certains disent qu’ils ne veulent pas de ce genre de PIB, ni de croissance. Ils prônent donc la décroissance pour réduire les inégalités, le chômage, la dette et le tort à l’environnement qui impactent directement sur la qualité de la vie.