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Prem Saddul: «Les produits issus de la biotechnologie marine peuvent rapporter des milliards»

5 février 2020, 16:26

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Prem Saddul: «Les produits issus de la biotechnologie marine peuvent rapporter des milliards»

Faire de l’économie bleue un pilier de notre économie. Tel est le défi pris par le gouvernement pour ce mandat. Si plusieurs projets sont déjà en cours, plusieurs aspects restent encore à considérer, mais l’optimisme est à son plus haut niveau.

Économie bleue. Le gouvernement souhaite un apport plus conséquent de la biotechnologie marine dans le PIB du pays. À combien estime-t-on cette contribution ?
D’abord, il faut comprendre. Qu’est-ce la biotechnologie marine, aussi connue comme la biotechnologie bleue, qui est un nouveau secteur émergent ? C’est l’utilisation de composés ou procédés biologiques d’origine marine pour une application technologique.

La biotechnologie marine appliquée peut produire une gamme de produits pharmaceutiques, qui est une branche de la biotechnologie, pour traiter des maladies comme le cancer, la malaria, l’Alzheimer, les infections virales, l’hypertension, entre autres. Mais la biotechnologie ne concerne pas que les médicaments. Ce secteur englobe l’agroalimentaire, les bio-carburants, les organes artificiels, la dépollution ou encore les vaccins.

D’après plusieurs rapports, le marché dans ce domaine en Europe et aux États-Unis est très prometteur et l’exportation de Maurice vers ces marchés peut générer des revenus dépassant les six milliards d’euros en 2024.

La biotechnologie marine est encore dans une phase préliminaire à Maurice. Mais ce secteur est porteur de réels espoirs pour le pays. Étant donné que la majeure partie de l’océan est encore inexplorée, il est fortement probable d’en sortir des applications innovantes. Je reste convaincu que ce secteur sera un des piliers de notre économie.

Vous vous donnez combien de temps pour en faire un véritable pilier de l’économie ? 
Différentes barrières existent toujours à Maurice. Celles-ci sont principalement technologiques, liées au processus de découverte coûteux et à la capacité limitée à cultiver les organismes à grande échelle en laboratoire. Les recherches dans ce domaine demandent un certain nombre d’équipements qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Mais les résultats estimés valent le coup. La biotechnologie marine est citée comme un projet phare dans le programme du gouvernement 2020- 2024. On compte beaucoup sur la collaboration avec d’autres institutions internationales pour faire décoller ce secteur clef.

Il y a aussi les aspects juridiques et réglementaires en ce qui concerne l’accès aux ressources marines. Au ministère de l’Économie bleue, des ressources marines, de la pêche et du Shipping, on s’active pour résoudre ces problèmes. Cela va prendre le temps qu’il faudra.

Certes, il nous faut encore travailler le modèle macroéconomique pour chiffrer la contribution de la biotechnologie marine et des autres secteurs dans cette vision de doubler la contribution de l’économie bleue au PIB, mais on sait déjà que la biotechnologie marine est un secteur très prometteur.

«Il est urgent que maurice diversifie son marché d’exportation et exploite le marché asiatique.»

Davantage de mesures sont proposées afin que nous puissions nous-mêmes exploiter nos ressources maritimes. Est-ce un nouveau secteur d’exportation émergent ?
Maurice a un fort potentiel pour développer une industrie aquacole. De par sa position stratégique dans l’océan Indien et vu les enjeux de la hausse de la demande alimentaire mondiale, Maurice à une carte à jouer dans l’exportation des produits de la mer.

On peut accroître considérablement l’industrie aquacole avec l’élevage d’huîtres, la culture de perles, de crabes, de concombres de mer et de poissons en cage. L’exportation de ces produits à valeur ajoutée va définitivement accroître nos revenus. En raison de la superficie restreinte de nos lagons, l’extension devra se faire hors lagon.

Nous sommes préoccupés par les relations commerciales que Maurice pourrait avoir avec le Royaume-Uni après le Brexit, car plus de 22 % de nos produits de la pêche sont des poissons et des préparations de poisson exportés vers le Royaume-Uni. Donc, il est urgent que Maurice diversifie son marché d’exportation et exploite le marché asiatique pour s’éloigner de l’accès préférentiel et passer à la compétitivité mondiale.

D’autres pays étrangers s’intéressent de très près à notre territoire maritime. Comment réduire leur exploitation de notre espace maritime et booster la nôtre ?
Aujourd’hui, nous nous reconnaissons comme un grand État océanique et non pas comme une petite île insulaire. En termes de comparaison, la zone économique exclusive (ZEE) mauricienne couvre une superficie combinée de la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Dans notre ZEE, se concentrent 99 % des ressources naturelles exploitables par Maurice. 

Nous nous sommes engagés dans une transformation de notre économie terrestre vers une économie océanique qui intègre l’espace terrestre, côtier et marin. Donc, notre stratégie est d’investir dans le capital humain nécessaire pour exploiter les avantages en termes d’emplois et de développement d’un investissement dans des secteurs innovants de l’économie bleue. 

À travers des technologies de surveillance moderne et avec l’apport de pays amis, nous pouvons mieux surveiller notre territoire marin. Une surveillance maritime accrue réduira la pêche illégale et fera asseoir la juridiction mauricienne sur ces zones de pêche éloignées.

Le ministre à des idées très précises concernant le développement de la pêche semi- industrielle et industrielle en accord avec des compagnies de pêche afin d’exploiter au maximum et d’une façon durable nos ressources dans notre territoire marin.

Changement climatique, pollution... N’est-ce pas une contrainte au développement de l’économie bleue ?
Les pays membres des Nations unies ont mis en place les objectifs de développement durable. Ces objectifs sont toujours pris en compte lors de l’élaboration de projets futurs. Par contre, le changement climatique est quelque chose que l’on ne peut contrôler étant donné notre faible apport en dioxyde de carbone atmosphérique. De ce fait, l’Institut d’océanographie de Maurice développe des projets pour s’adapter aux changements climatiques. À l’institut, nous avons plusieurs projets de recherche et applications qui nous aident à comprendre la pollution en mer et à en déduire les origines. Nous travaillons aussi sur la culture de coraux pour réhabiliter les lagons de Maurice qui sont affectés par le changement climatique. On a aussi mis en place un système de surveillance de paramètres océanographiques au large d’Albion qui nous indiquent l’état général de nos eaux océaniques.

Le changement climatique réchauffe les eaux de surface et la hausse des températures entraîne l’élévation du niveau de la mer. Si nul ne peut prévoir les conséquences pour les écosystèmes marins, nous avons déjà constaté une modification des modes de répartition des espèces et l’épuisement de certaines ressources qui, comme les coraux, ne se sont toujours pas remis des effets de phénomènes météorologiques extrêmes survenus il y a une vingtaine d’années.

Les États membres de la COI contrôlent plus de 5,5 millions de km² de zones économiques exclusives. Ils partagent une même géographie, insulaire et océanique, et surtout ils font face aux mêmes défis. Le plan d’action sur l’économie bleue identifie ainsi des axes concrets d’actions.

La pollution marine est non seulement un défi écologique mais elle représente également un enjeu économique, sanitaire et social particulièrement préoccupant dans les îles. Cette initiative vise notamment à promouvoir les principes et les bonnes pratiques de l’économie circulaire et à assurer des synergies positives entre les différentes initiatives de la COI et des États membres contre la pollution plastique en mer.

Pour relever ces défis, nous devons revoir totalement notre manière de gérer la santé physique, chimique, biologique et économique de notre océan, en nous appuyant sur des instruments de financement innovants et surtout refuser le statu quo.

«Nous devons revoir totalement notre manière de gérer la santé physique, chimique, biologique et économique de notre océan.»

L’énergie renouvelable reste un créneau porteur à travers le monde. Arrivons-nous à attirer l’investissement privé ou étranger dans ce secteur ?
Les îles de l’Indian océanie restent encore très dépendantes des importations de ressources fossiles pour les besoins énergétiques. Or, il y a un potentiel remarquable pour l’exploration de l’énergie bleue dans la région. Cette initiative visera donc à évaluer les opportunités de développement d’énergies propres en lien avec l’océan.

L’Institut d’océanographie a créé un système pour convertir l’énergie des vagues en énergie électrique. Le prototype est protégé par un brevet. Il est nécessaire de continuer les essais dans différentes conditions en mer. Cette initiative dans une grande mesure visera à atteindre l’objectif du gouvernement dans le contexte de l’énergie renouvelable.

Maurice est géographiquement bien positionné pour exploiter l’énergie éolienne offshore, celle à partir des vagues (houlomotrice), ou encore l’énergie thermique des mers. Ces énergies renouvelables peuvent contribuer considérablement à réduire notre dépendance des importations de fioul. 

Concernant l’énergie éolienne, un appel à manifestation d’intérêts pour une ferme offshore de 10 à 20 mégawatts est en voie de rédaction actuellement. L’Institut d’océanographie a également développé une base régionale de données marémotrices. Un projet pilote devrait voir le jour avant la fin de l’année. Développer l’énergie bleue demande des technologies nouvelles, des collaborations et des financements. La MARE-NA a pris des mesures pour attirer l’investissement privé ou étranger dans ce secteur.

Sortir de la recherche à l’offre commerciale, la biotechnologie marine est-elle prête pour être rentable ?
Les chercheurs de l’Institut d’océanographie ont toute ma confiance pour mener à bien l’exploration et le développement de notre zone maritime. Nous aurons très bientôt un navire de recherche qui sera un atout considérable pour des expéditions en mer avec nos scientifiques à bord. Des scientifiques mauriciens participent aussi régulièrement à des projets de recherche à bord de navires étrangers. 

Le gouvernement est déterminé à mettre en place les fondations pour construire l’avenir de notre pays et de faire de Maurice un centre de biotechnologie marine par excellence pour la région de l’océan Indien. Quand on parle de biotechnologie marine, il y a recherches et applications qui riment avec développement. On veut planter les graines maintenant pour en récolter les fruits dans le futur.

Avons-nous les compétences et une main-d’œuvre qualifiée pour développer cette vaste zone maritime ?
Le ministre a eu plusieurs séances de travail avec des institutions tertiaires et polytechniques afin de dispenser des cours pour préparer la main-d’œuvre de demain dans plusieurs domaines. De plus, on compte recruter plus de chercheurs à l’Institut d’océanographie dans les années à venir. Les collaborations internationales avec des centres d’océanographie bien établis seront aussi importantes. Cela permettra un échange du personnel scientifique et contribuera à une formation en continu.

La coopération publique et privée sera renforcée pour une meilleure coordination de la recherche et de l’enseignement supérieur en biotechnologie marine.