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Aux Seychelles, préserver un paradis du tourisme de masse

15 janvier 2020, 15:35

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Aux Seychelles, préserver un paradis du tourisme de masse

Un poste de radio crache du reggae à l’ombre de quelques arbres sur le sable immaculé d’Anse Bazarca, une plage du sud de l’île de Mahé. Quelques vivaneaux frétillent sur le barbecue et Nareen, Seychelloise de 32 ans, se ressert un verre de rhum coca.

Tradition locale oblige, Nareen et sa famille profitent du weekend sur une des nombreuses plages libres de déchets faisant la réputation de l’archipel. Seuls touristes en vue à une cinquantaine de mètres de là, un couple titille du bout des pieds les eaux turquoises de l’océan Indien.

«On n’a pas de tourisme de masse aux Seychelles et c’est très bien ainsi», sourit la Seychelloise, travaillant elle-même dans le secteur touristique, sur un yacht de luxe, qui contribue à plus de 60% du PIB du seul pays d’Afrique considéré à «haut revenu» par la Banque mondiale.

Paradis du tourisme de luxe, les Seychelles ont accueilli plus de 360.000 visiteurs en 2018, principalement européens, soit deux fois plus que dix ans auparavant, et près de quatre fois la population du pays (95.000 habitants).

«Plus de touristes, c’est mieux pour l’économie, mais il n’y a pas que cela qui rentre en ligne de compte aux Seychelles», souligne Nareen, résumant parfaitement les débats qui animent cet archipel de 115 îles menacé par le réchauffement climatique et chantre d’un tourisme respectueux de l’environnement.
 
Car si les Seychelles, en défaut de paiement au sortir de la crise financière de 2008, ont redressé la barre en s’appuyant sur le tourisme, le pays se pose sérieusement la question du nombre de visiteurs qu’il est en mesure d’accueillir.

En attendant les résultats d’une enquête sur la question, le gouvernement a décrété en 2015 un moratoire sur la construction de grands hôtels sur les trois îles principales, Mahé, Praslin et La Digue, à la fois pour protéger son environnement et promouvoir des établissements plus petits tenus par des Seychellois.

Sur les îles extérieures, les autorités pratiquent une politique baptisée «une île, un resort».

«L’idée, c’est de contrôler le nombre de touristes en contrôlant le nombre de chambres d’hôtel», souligne le ministre du Tourisme, Didier Dogley.

«Notre estimation à l’heure actuelle, c’est que nous pouvons aller jusqu’à 500.000 touristes par an», explique-t-il, en soulignant que le nombre actuel de chambres d’hôtel est de 6.000 et que la construction de 3.000 chambres supplémentaires est prévue dans le cadre de projets approuvés avant l’entrée en vigueur du moratoire.

«Pas les Canaries»

Cette introspection seychelloise peut sembler disproportionnée au vu des problèmes causés par le tourisme de masse en d’autres endroits du globe.

Près de la moitié des 455 km2 du pays est classée zone protégée. La partie protégée de son immense territoire marin - plus de 1,3 million de km2 - atteindra 30% en 2020, dans le cadre d’un programme de rachat d’une partie de la dette publique par des organisations de défense de l’environnement, contre cet engagement.

Deux sites naturels sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco, la vallée de Mai et ses célèbres cocos de mer, ainsi que l’atoll d’Aldabra et ses tortues.

Et à quelques exceptions près, comme la populaire plage de Beau Vallon sur Mahé ou celle d’Anse Source d’Argent sur Praslin, régulièrement citée comme une des plus belles plages du monde, l’absolue quiétude est de mise. De nombreuses plages semblent inviolées et la majorité des hôtels se fondent dans une dense végétation tropicale aux allures de jardin d’Eden.

«Mais tout dépend évidemment des standards que l’on s’impose», analyse Nirmal Shah, directeur exécutif de l’ONG de défense de l’environnement Nature Seychelles, estimant qu’à de nombreux endroits, comme sur La Digue, la capacité maximale a été largement atteinte. Selon lui, les Seychelles «n’ont absolument pas envie» de voir leurs côtes bétonnées comme à certains endroits en Espagne.

Un dimanche de novembre, à Grand Police, quelques kilomètres au sud d’Anse Bazarca, une vingtaine de touristes à peine se partagent une plage de plus de 600 mètres de long.

Un projet d’hôtel y a récemment rencontré une vive opposition de la population, qui a rappelé l’importante biodiversité d’une zone marécageuse avoisinante, sur fond de frustration vis-à-vis des groupes de la région du Golfe contrôlant de nombreux grands hôtels seychellois.

A tel point que le gouvernement a promis de discuter avec les promoteurs afin de déterminer sous quelles conditions ils pourraient abandonner le projet, approuvé avant l’entrée en vigueur du moratoire de 2015.

Tourisme à deux vitesses

Mais si les efforts de protection de l’environnement sont salués à l’international, la marge de progression sur la voie d’un tourisme durable est encore importante.

«Au vu de notre population, le nombre de touristes est énorme, et c’est difficile d’absorber l’empreinte d’autant de visiteurs», estime Nirmal Shah, notant que plus d’un quart de la main d’oeuvre est importée, principalement dans le tourisme et la construction, alors que le pays connaît une situation de plein emploi.

Si les grands groupes hôteliers mettent en oeuvre de nombreuses mesures visant à limiter l’impact sur l’environnement (potagers, réduction du plastique, co-gestion de zones protégées, économies d’énergie), l’empreinte de leurs hôtels de luxe est par définition plus importante.

Malgré des mesures incitatives de l’Etat, les établissements seychellois, plus modestes, n’ont pas toujours les moyens d’investir dans des mesures similaires, souligne-t-il.

De plus, les voeux et les projets du gouvernement ont beau être aussi nombreux que pieux, le petit territoire seychellois, essentiellement montagneux, restreint les productions locales d’un pays qui doit importer plus de 90% de ses biens. Ce sont par ailleurs des générateurs au fuel qui produisent encore la plus grande partie de l’énergie.

«On ne savait pas grand-chose du côté écologique du tourisme aux Seychelles, et ce n’est pas ce qui a motivé notre choix pour cette destination, mais une fois ici, c’est quelque chose qui nous a frappé», souligne Romain Tonda, un touriste français de 28 ans rencontré sur l’île de Cousin, une réserve naturelle, et venu passer sa lune de miel aux Seychelles.

«Ce n’est pas parfait, mais on voit que c’est quelque chose qui est important pour les Seychellois».