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Rentrée 2020: les défis qui guettent les finances

7 janvier 2020, 22:30

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Rentrée 2020: les défis qui guettent les finances

Réduire le niveau de la dette publique, élargir la base du produit intérieur brut, dépendant à 75 % de la consommation, donner une nouvelle impulsion pour doper les Foreign Direct Investments, relancer les exportations qui fléchissent face à l’importation Tels sont quelques-uns des défis que les institutions financières, appuyées du ministre des Finances, devront relever en cette nouvelle année.

La trêve politique après les élections du 7 novembre 2019, couplée aux fêtes de fin d’année, a certainement donné du temps au Dr Padayachy pour diagnostiquer dans les moindres détails l’économie mauricienne.

Alors que les opérateurs économiques s’attendent toujours qu’il se livre sur les remèdes aux maux dont souffrent les principaux secteurs – certains sont d’ailleurs sur le point d’être admis à l’Intensive Care Unit –, les priorités de la rentrée économique du locataire du Trésor public s’avèrent une urgence.

Alors même que le «feel good factor» provoqué dans le sillage de la victoire de l’Alliance Morisien commence à s’éroder, projetant une autre réalité peu réjouissante de l’économie mauricienne.

Croissance molle

Une croissance molle de moins de 4 % qui a prévalu pendant une décennie

Tous les spécialistes s’accordent à dire qu’une des priorités du ministre des Finances est de dégripper l’économie et réenclencher la machine. Cela avec, à la clé, une croissance de plus de 4 % en 2020.

Loin de n’être qu’une obsession, un tel taux de croissance permettrait au pays de sortir du piège du revenu intermédiaire (middle income trap) pour franchir un nouveau palier et atteindre le statut d’une économie à revenu élevé. Pour le moment, tous les discours économiques tendant vers cet objectif, d’un gouvernement à l’autre, se sont soldés en échec. Non pas par manque de volonté de ceux au pouvoir, mais plutôt en raison d’une absence de stratégie économique cohérente.

Les dernières statistiques des comptes nationaux publiées le mois dernier par Statistics Mauritius révisent à la baisse le taux de croissance pour 2019 : 3,6 % contre 3,8 % estimé en septembre de la même année, alors que gouvernement sortant de Pravind Jugnauth souhaitait atteindre la barre de 4 %.

Décennie perdue

«Pourquoi malgré les investissements publics à travers des projets majeurs comme le Metro Express, le complexe de Côte-d’Or ou encore les infrastructures routières, couplés à une politique tournée vers la consommation et celle monétaire de la Banque de Maurice, privilégiant la baisse des taux d’intérêts, l’économie n’a pas été boostée et demeure fragile avec une croissance molle à 3,6 % ?» s’interroge Kevin Teeroovengadum, professionnel de la finance, opérant en Afrique du Sud, et directeur indépendant d’une brochette d’entreprises à Maurice.

Après cette décennie perdue, celle qui se pointe (2020- 2029) sera-t-elle la bonne ? L’économiste Eric Ng estime qu’il revient au ministre des Finances de se livrer à un état des lieux des secteurs économiques et de cerner les problèmes structurels et systémiques auxquels ils sont confrontés. «Tous les piliers économiques traditionnels qui, jadis, étaient porteurs de croissance doivent être restructurés pour être en phase avec le nouvel environnement économique et commercial du pays, lui-même tributaire de la conjoncture internationale.» Eric Ng cite le cas du Brexit qui est venu exercer de fortes pressions sur trois importants secteurs à Maurice, nommément le sucre, le textile et, dans une certaine mesure, le tourisme.

Or, aujourd’hui, il est clairement établi que la dépréciation de la livre sterling vis-à-vis de la roupie affectera le tourisme et l’investissement direct, comme indiquaient en septembre dernier les recommandations de deux rapports commandés par l’Economic Development Board (EDB). «Lorsque la roupie s’apprécie face à la livre sterling, le secteur touristique peut en prendre un sérieux coup, vu que la destination mauricienne risque de devenir plus chère pour les touristes britanniques», explique Eric Ng.

D’ailleurs, les rapports de l’EDB remarquent que la perte du pouvoir d’achat des Britanniques affectera également leur pouvoir l’achat, réduisant ainsi leur capacité financière à se procurer des produits, dont ceux des textiles qu’exporte Maurice vers le Royaume-Uni.

Cependant, Maurice peut également tirer profit de cette situation en développant notamment son secteur des services financiers. Plus particulièrement en attirant des opérateurs de la City of London à délocaliser une partie de leurs activités à Maurice. Ce qui fait dire à Azad Jeetun, économiste, que le nouveau ministre a tout intérêt à dégager des stratégies pour exploiter les opportunités que représente Brexit dans tous les cas de figure.

La consommation comme vecteur de croissance ?

Partisan d’un modèle économique axé sur une croissance tirée par la consommation et par l’endettement, le nouveau ministre des Finances, Renganaden Padayachy, compte-t-il poursuivre dans cette voie, convaincu que c’est une politique soutenable dans le temps ? À première vue, il n’a pas intérêt, nous dit-on, de changer une stratégie qui a rapporté des dividendes politiques lors des dernières élections générales en reconduisant l’ancien l’alliance Lepep à un second mandat gouvernemental.

En fait, la stratégie économique défendue, en tant qu’économistes, à la Mauritius Chamber of Commerce and Industry (MCCI) et prônée par la suite par le bâtiment du Trésor il y a quatre ans de cela est simple : utiliser la consommation comme vecteur de croissance. Dans une récente interview de presse, Renganaden Padayachy avait insisté sur le fait que la croissance est la résultante d’un ensemble de facteurs, dont la consommation. D’ajouter qu’au lieu de cher- cher à opposer les facteurs, «il serait plus avisé de concentrer les efforts sur des analyses productives». Et le ministre de citer des recherches démontrant «qu’une hausse d’un point de pourcentage de la consommation augmenterait la croissance économique de 0,56 point». Tant mieux.

Dépendant de l’importation

Certes, en augmentant le pouvoir d’achat des travailleurs, avec l’introduction du salaire minimum et l’impôt négatif, et celui des seniors du pays, avec l’augmentation de la pension aux personnes âgées à Rs 9 000 en décembre 2019, ce sont des grandes surfaces commerciales qui en ont principalement bénéficié, avec des dépenses en hausse liées à la consommation. D’ailleurs, rien que pour le mois de décembre, c’est une masse monétaire de Rs 43 milliards qui a été injectée dans le circuit, dont entre 15 % et 16 % revient aux dépenses liées à la consommation.

Kevin Teeroovengadum estime qu’une stratégie tirée par les consommateurs n’est certainement pas la meilleure option pour une économie, où plus de 75 % des produits consommés proviennent de l’étranger, donc de l’importation. Du coup, selon lui, «banking on increased consumption might be a quick fix but not one reliable for long term sustainable growth».

D’ailleurs, avec les importations se chiffrant à Rs 269,7 milliards contre les exportations de Rs 197 milliards, le pays se retrouve avec un déficit estimé à Rs 72,7 milliards en 2019, ce qui représente 14 % du pro- duit intérieur brut (PIB) pour la même période.

Or, les économistes estiment qu’un PIB de Rs 500 milliards tiré à 75 % par la consommation n’est pas économiquement sain. Car une crise réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs pourrait le fragiliser. Il faut viser, disent-ils, au contraire un PIB à base élargie, dopé par les exportations, les investissements et la consommation. Ce qui n’est pour l’instant pas le cas et qui présente une tâche à laquelle le nouveau ministre des Finances doit s’atteler.

Attirer les investissements pour relancer les exportations

D’une année à l’autre, l’immobilier attire le gros des investissements directs étrangers à Maurice. C’était d’ailleurs le cas l’année dernière. Sur les Rs 10,6 milliards d’investissements étrangers directs recensés par la Banque de Maurice au premier semestre de 2019, le gros, soit au moins 80 % sont injectés dans l’immobilier et le foncier. Alors que dans la manufacture et d’autres secteurs productifs, les investissements étrangers sont négligeables.

L’EDB n’a pas pu réussir jusqu’ici à renverser la vapeur, même sous la direction de François Guibert, qui a dû prendre la porte de sortie en novembre dernier après un constat d’échec quant à son bilan et, ce, après 15 mois passés à la tête de cette institution. Celle-là même qui se voulait un «think tank» auprès du gouvernement en réfléchissant en bonne intelligence à l’orientation et la stratégie économiques.

Tombant sous la tutelle du ministère des Finances, l’EBD connaîtra-t-il en 2020 une nouvelle impulsion pour doper les FDI (Foreign Direct Investments) et relancer les exportations ? Tous les spécialistes diront que les exportations souffrent d’une faible croissance, + 2,6 % estimée en 2019 contre +0,7 % en 2018, selon Statistics Mauritius. Certes, c’est une tendance qui perdure depuis au moins cinq ans.

Or, l’EDB n’a pas été en mesure de relancer les exportations à travers des campagnes de promotion en s’appuyant sur des études de «market intelligence» que la défunte Enterprise Mauritius, intégrée au sein du Board, avait effectuées.

Jusqu’où l’EDB poursuivra-t-il sa stratégie de privilégier des investissements dans l’immobilier, qui ne sont pas productifs et qui n’ont aucune incidence sur la croissance ? Mais qui, au contraire, relancent la spéculation foncière…

L’endettement public

Le niveau de la dette publique demeure une autre priorité de Renganaden Padayachy. Au 30 septembre dernier, elle s’élevait à Rs 325 milliards, soit 65 % du PIB. Le ministre des Finances aura à définir sa stratégie face à cette problématique, notamment sa réduction à 60 % du PIB d’ici juin 2021.

Et quid de la décision budgétaire de Pravind Jugnauth en juin 2019 de rembourser avant terme la dette publique, soit avant juin 2021 ? Et ce en puisant du Special Reserve Fund de la Banque de Maurice. Se propose-t-il d’aller de l’avant avec cette décision qui avait, rappelons-le, provoqué une grande polémique dans les milieux politiques et financiers, ou a-t-elle été tout bonnement gelée ? Une question à laquelle Renganaden Padayachy aura à répondre pour dissiper toute confusion en ce début d’année.

Le gouvernement définit trois axes prioritaires

Officiellement, le ministère des Finances a choisi trois axes prioritaires pour générer la croissance en 2019. Il s’agit de la Business Facilitation, l’infrastructure et l’innovation, considérées comme trois leviers de compétitivité pour propulser l’économie mauricienne vers une nouvelle dynamique de croissance.

Selon l’analyse du Trésor public, l’économie «maintient son rythme de progression tandis que le chômage continue de reculer». Alors que «le taux de progression de l’économie pour l’année 2019 est estimé à 3,6 %». L’embellie sur le marché du travail se poursuit avec un taux de chômage projeté à 6,7 %, contre 6,9 % en 2018. Le taux était de 7,8 % en 2014.

Le ministère des Finances rappelle, par ailleurs, que le Budget national 2019-2020, présenté en juin 2019, par le Premier ministre et ministre des Finances d’alors, Pravind Jugnauth, «est venu apporter un coup d’accélérateur décisif au turn-around de l’économie, entamé durant la dernière législature (fin 2014 - 2019)». Et d’ajouter que 119 mesures budgétaires ont déjà été complétées durant les six premiers mois de l’année fiscale 2019-2020.