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Brésil: l’enquête anticorruption «Lavage express» a du plomb dans l’aile

20 novembre 2019, 13:57

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Brésil: l’enquête anticorruption «Lavage express» a du plomb dans l’aile

Plus grande enquête anticorruption de l’Histoire du Brésil, l’opération «Lava Jato» (Lavage express) a accumulé les revers ces derniers mois, avec des décisions défavorables de la Cour suprême et des soupçons sur l’impartialité de ses procureurs et de l’ex-juge emblématique Sergio Moro.

La défaite la plus cuisante: la libération il y a deux semaines d’une douzaine de détenus condamnés dans le cadre de l’enquête, dont l’ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, prisonnier le plus célèbre du Brésil.

Ces sorties de prison ont été motivées par un arrêt de la Cour suprême qui a jugé anticonstitutionnelle une jurisprudence selon laquelle une personne pouvait être incarcérée dès sa première condamnation en appel.

Des condamnés comme Lula ont donc obtenu le droit de rester en liberté jusqu’à l’épuisement de tous leurs recours auprès d’instances supérieures, ce qui peut prendre des mois, voire des années.

En retardant considérablement la menace d’une incarcération, la haute cour a du même coup mis à mal une autre des principales armes de «Lavage express», les délations récompensées, confessions négociées dans l’espoir d’un aménagement de peine.

«Beaucoup d’accusés finissaient par en dénoncer d’autres pour éviter d’aller en prison», explique à l’AFP Michael Mohallem, professeur de droit de la Fondation Getulio Vargas.

«Revanchards»

L’enquête tentaculaire a débuté en 2014 à Curitiba (sud) en mettant en évidence un gigantesque réseau de versements de pots-de-vin d’entreprises du bâtiment à des dirigeants politiques en vue de l’obtention de marchés publics, notamment avec la compagnie pétrolière d’Etat Petrobras.

Des dizaines de chefs d’entreprise et de personnalités politiques de tous bords ont été écroués.

Ses ramifications se sont considérablement étendues, pratiquement sur tout le territoire brésilien, mais aussi à d’autres pays d’Amérique Latine, notamment le Pérou et l’Equateur.

C’est pourquoi Michael Mohallem ne pense pas que l’enquête soit définitivement condamnée, «même si les dernières décisions de la Cour suprême peuvent donner cette impression».

La haute cour pourrait porter un autre rude coup à «Lavage express», en s’attaquant à sa figure de proue: l’ancien juge Sergio Moro, aujourd’hui ministre de la Justice du président d’extrême droite Jair Bolsonaro.

Quand il était magistrat, c’est lui qui avait condamné Lula en première instance, en juillet 2017.

Depuis, sa nomination au gouvernement Bolsonaro a fait naître des doutes sur son impartialité. Des soupçons renforcés en juin par des révélations explosives du site d’investigation The Intercept Brasil soulevant des soupçons de connivence entre le juge Moro et les procureurs de «Lavage express».

La Cour suprême doit juger prochainement un recours des avocats de Lula visant à faire annuler totalement sa condamnation si la partialité du magistrat était avérée.

Pour Daltan Dallagnol, le principal procureur en charge de l’enquête, les «élites» politiques et économiques qui se sentaient menacées sont en train de se «venger».

«Des personnes revanchardes veulent changer les règles de 'Lavage express' et décapiter ses leaders», a-t-il affirmé à l’AFP fin septembre.

Inquiétude de l’OCDE

«La Cour suprême s’est rendue compte que 'Lavage express' avait trop de pouvoir», explique Manoel Galdino, directeur de l’ONG Transparencia Brasil.

Mais selon lui, son héritage va perdurer. «Il y a beaucoup moins de corruption qu’avant autour de Petrobras et dans le secteur du bâtiment», estime-t-il.

Les détracteurs de l’enquête considèrent qu’elle a mis à mal la présomption d’innocence, favorisé la poussée des extrêmes et la victoire électorale de Bolsonaro et mis des milliers de personnes au chômage en ruinant la réputation d’entreprises publiques ou privées, en pleine crise économique.

Les récents revers de «Lavage express» n’ont pas favorisé que Lula et la gauche.

En juillet, le président de la Cour suprême, José Antonio Dias Toffoli, a décidé de suspendre les enquêtes basées sur des informations sur les transactions financières obtenues sans autorisation de la justice.

Cette décision, très préjudiciable pour l’opération anticorruption, a favorisé le sénateur Flavio Bolsonaro. Le fils aîné du président est soupçonné d’avoir versé des salaires à des employés fictifs pour détourner de l’argent public quand il était député de l’Etat de Rio de Janeiro.

La semaine dernière, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a manifesté son inquiétude face aux «menaces contre l’indépendance et la capacité des autorités publiques à combattre la corruption».