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Charles Mercier-Guyon: il faut une loi intégrée qui pousse les gens à se soigner afin d’assurer la conduite

20 septembre 2019, 21:30

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Charles Mercier-Guyon: il faut une loi intégrée qui pousse les gens à se soigner afin d’assurer la conduite

A Maurice en octobre, Charles Mercier-Guyon, medecin legiste francais, chapeaute une formation en marge de la legislation pour les conducteurs âgés. En quoi une telle loi est‐elle necessaire ? Quels risques represente cette categorie d’usagers ?

Vous serez bientôt à Maurice pour la législation sur la conduite des personnes âgées. Comment intervenez- vous au juste ?
Cela fait une quinzaine d’années que je collabore avec le gouvernement mauricien sur le problème de sécurité routière. Celle-ci comprend en particulier deux axes : l’aptitude médicale à la conduite et le dépistage de drogue au volant. Je serai en mission à Maurice le 7 octobre.

Pendant une semaine, je serai chargé de former plus d’une vingtaine de médecins et d’assister le Forensic Science Laboratory (FSL) pour la législation de détection de drogue au volant et celle sur la conduite des séniors.

À ce sujet, il existe déjà des décisions mises en place pour la réglementation. Il faut notamment avoir un nombre de médecins compétents pour déterminer l’aptitude à conduire. Cela doit se faire progressivement selon deux catégories précises…

Lesquelles ?
D’abord, le contrôle médical doit se faire pour les conducteurs possédant des permis lourds pour le transport des passagers comme les autobus, poids lourds, taxis, etc. puis pour les conducteurs âgés au volant des motocyclettes et voitures. Par exemple, une visite médicale devrait être passée pour obtenir ces permis.

Ensuite, un contrôle périodique suivrait selon l’âge. En France, par exemple, cela se fait à intervalle de cinq ans pour les détenteurs de permis lourds. Après 60 ans, le contrôle se fait à chaque tranche de deux ans. À Maurice, nous formerons ces médecins référents qui devront apprendre et maîtriser la loi en question.

Combien ces missions de formation coûtent-elles ?
Je fais ces interventions bénévolement, en tant qu’ancien membre de la Prévention routière française, une association à but non lucratif et non gouvernementale. Seul mon déplacement est pris en charge ainsi que l’hébergement pour les seules journées de ma mission.

Pourquoi êtes-vous souvent sélectionné pour ces interventions à Maurice ? Avez-vous des relations privilégiées avec l’État ?
Le fait que le gouvernement fasse appel à moi est lié probablement à mon registre «large» de possibilités d’intervention sur des thématiques diverses «et à mon «pedigree». Mes relations ont toujours été excellentes avec les autorités mauriciennes depuis le début des années 2000, à la suite d’une rencontre à La Réunion avec le viceconsul de Maurice lors d’un congrès où j’intervenais. Il m’avait invité à rencontrer les autorités à Maurice.

Où en est-on avec le dépistage des drogues au volant ?
Les équipements existent à Maurice. Le FSL répond d’ailleurs déjà largement aux standards sur l’océan Indien. Il faut encadrer les forces de l’ordre avec l’équipement choisi par le gouvernement et assurer la partie technique de terrain. Je serai impliqué aux côtés du FSL dans cette optique.

Quelle est la nécessité d’une loi pour les conducteurs séniors à Maurice ?
À tout moment, n’importe quel chauffeur peut être sujet à des risques. Par exemple, à l’international, on peut exercer plus de contrôle sur les détenteurs de permis lourds, surtout ceux ayant déjà une mauvaise vue à 20 ans. Dans ce cas, ils ne peuvent conduire qu’avec des lunettes.

À Maurice maintenant, il est évident que les transports en commun ne sont pas sujets à des accidents fréquents. Mais quand cela se produit, c’est très spectaculaire. Bien sûr, on ne veut être conduit par un chauffeur qui risque un malaise au volant. Il faut un règlement sur le comportement, l’alcool, la ceinture de sécurité, etc. pour diminuer les risques d’accidents et de mortalité dans l’île. Maurice a besoin d’une loi intégrée de sorte à pousser les gens à se soigner afin d’assurer la conduite.

Quels sont les risques de la conduite avec l’âge ?
Plus il avance en âge, plus le conducteur peut s’exposer à des risques pathologiques. Il est important de corriger certains aspects. Par exemple, si une mauvaise vue demeure impossible à changer, il faut cesser de conduire. Il faut également corriger des pathologies comme de fréquents malaises et l’incapacité mentale comme la maladie d’Alzheimer. À plus de 65 ans, les usagers de la route deviennent plus fragiles.

La prévalence d’accidents chez les séniors n’est pas plus forte que celle des jeunes conducteurs alcoolisés. Toutefois, ces personnes âgées ont aussi besoin d’autonomie et de mobilité. D’ailleurs, une étude canadienne révèle que la suppression du permis aux plus de 65 ans accroît leur risque d’accident puisqu’ils devront traverser la route à pied ou être véhiculés par des jeunes ne maîtrisant pas la conduite.

Jusqu’à présent, les personnes âgées mauriciennes refusent souvent de se soumettre à des examens de santé. Comment la loi pourrait-elle y remédier ?
Ce sera une réglementation progressive. Dans n’importe quel domaine, personne n’accepte de loi de gaieté de coeur. Mais cette mesure est une nécessité pour améliorer la sécurité routière. En fait, il faut rééduquer la conduite et inciter au recyclage des connaissances. Souvent, l’obtention du permis remonte à 50 ans. Il faut réactiver les bons réflexes du conducteur âgé après tout ce temps.

Quelles sont les infractions routières communes aux séniors ?
À 75 ans, un conducteur ne commet pas d’excès de vitesse et grille encore moins un feu rouge. Par contre, les accidents typiques sont liés au manque de champ visuel. Certains chauffeurs séniors ont en particulier tendance à tourner alors qu’il y a un motocycliste qui les double. D’autres prennent le mauvais côté sur la double voie.

D’après le dernier rapport de Statistics Mauritius, Maurice recense 16,2 % d’accidents de plus de janvier à juin 2019, comparativement à 2018. Pourquoi estce que cette hausse perdure ?
C’est un phénomène qu’on connaît bien. Dans tout pays sujet à un développement économique, une vie active et du tourisme, le nombre de voitures augmente, tout comme le kilométrage. Aussi les accidents augmentent-ils. On a vu cela dans les ex-pays de l’Est. Idem pour le Brésil où la circulation s’accélère. À cela sont introduites des mesures pour contrôler l’alcool et d’autres règlements pour casser cette courbe d’accidents.

Revenant à Maurice, le développement économique a crû. Il faudrait que les infrastructures suivent. On sait bien que dans l’île, les cyclistes ne sont guère visibles la nuit. D’ailleurs, il faut améliorer cela pour d’autres conducteurs. Le soir, par exemple, on a du mal à voir les signalisations, les trottoirs, etc. Le port de la ceinture de sécurité est aléatoire. La sécurité routière doit être prioritaire. Vous avez bien sûr les forces de l’ordre mais il faut faire appliquer la loi. Le contrôle technique des véhicules et une politique intégrée de la sécurité routière sont impératifs.

Les statistiques démontrent une plus grande prévalence au sein des tranches d’âge : les 15 à 29 ans, les 30 à 44 ans et ceux de 60 ans et plus. Pourquoi ?
Cette courbe est pratiquement la même partout. Dans la première catégorie, nous avons les jeunes novices qui prennent des risques. Dans la dernière, vous avez les séniors qui ne sont pas forcément responsables mais plus victimes des accidents. Pour le groupe intermédiaire, c’est le côté sûr de soi qui compte. Celui-ci surestime sa capacité de conduite. Ceci est calqué sur le modèle méditerranéen du sud de la France, l’Italie et l’Espagne. En somme, ils croient qu’ils peuvent mieux conduire que les jeunes.