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Musée de l’esclavage: «Time for action»

16 septembre 2019, 13:10

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Musée de l’esclavage: «Time for action»

Un «soft launch» du musée de l’esclavage serait prévu pour novembre. Des travaux de rénovation de l’ex-hôpital militaire vont démarrer cette semaine. Cela semble bouger pour ce projet, recommandé par la Commission Justice et Vérité depuis 2011. Est-ce que cela signifie que vendredi et samedi, l’université de Maurice a accueilli le dernier atelier de travail consacré à la mise en oeuvre du musée intercontinental de l’esclavage ? C’est ce qu’a souhaité Vijaya Teelock, historienne, présidente du comité scientifique du projet Unesco La Route de l’Esclave. «It is time for action», a-t-elle lancé, dans le cadre de la Semaine de l’Histoire.

Vijaya Teelock, historienne
«Que le musée soit dirigé par des universitaires»

Deux principes de base. D’abord, le musée de l’esclavage «doit être dirigé par des universitaires, des spécialistes qui maîtrisent le sujet». Ensuite, «la communauté doit aussi avoir son mot à dire. Elle doit être impliquée dans toutes les étapes de la réalisation du projet. C’est vrai que l’esclavage fait partie de l’Histoire, mais il faut aussi parler de ses conséquences, qui sont ressenties jusqu’aujourd’hui».

Ces principes, l’historienne Vijaya Teelock, présidente du comité scientifique du projet Unesco La Route de l’esclave, également responsable du Centre for Research on Slavery and Indenture à l’université de Maurice, a tenu à les rappeler. Elle intervenait vendredi à l’ouverture de deux jours de travaux consacrés aux «enjeux et défis de la représentation de l’esclavage dans les musées». Ces deux jours d’atelier de travail ont clôturé la Semaine de l’Histoire.

«J’espère que ce sera le dernier atelier de travail sur le musée de l’esclavage. It is time for action», a-t-elle lancé. Avant de rappeler que c’est en 2016 que le premier atelier de travail consacré au musée de l’esclavage a été lancé. Mais l’histoire de ce musée remonte à 2011. Il fait partie des recommandations de la Commission Justice et Vérité. Huit ans plus tard, l’historienne note que deux des quatre commissaires, Benjamin Moutou et Jacques David, sont décédés. Alex Boraine, qui avait présidé la CJV, est mort l’an dernier.

Benigna Zimba, historienne du Mozambique
«Cela prendra le temps qu’il faudra»

Benigna Zimba est l’un des membres fondateurs du projet de musée de l’esclavage. Associate professor de l’Eduardo Mondlane University au Mozambique, elle faisait partie de l’équipe de la Commission Justice et Vérité qui a recommandé la création du musée. C’était en 2011.

Huit ans plus tard, Benigna Zimba se présente comme la «soeur jumelle» de l’historienne Vijaya Teelock. Sa «compagne d’arme» qui, en plaisantant, lance qu’un de ces jours, elle va demander la nationalité mauricienne. Ce sont des paroles d’espoir qu’elle a adressées à l’auditoire. Elle a rappelé que le pape François vient de visiter Maurice ainsi que le Mozambique. «Au sens religieux, il n’y a pas de temps long, il n’y a pas de temps court. Huit ans ce n’est pas trop. Le musée prendra le temps qu’il faudra pour voir le jour. Même si cela prend 20 ans, nous serons toujours là.»

Pour elle, ce n’était pas un énième atelier de travail, mais il correspondait à une étape dans la mise en place du musée. «Nous sommes arrivés au point crucial où il faut décider de ce qu’il y aura dans ce musée. Quels types d’artefact ?»

Mary Elliott, curator National Museum of African American History & Culture
«Choisir quelles vérités dire»

Le National Museum of African American History & Culture à Washington est considéré comme LA référence en matière de musée traitant de l’esclavage. Il présente le dernier cri en termes d’utilisation des nouvelles technologies, pour une expérience immersive. Mais aussi en termes de façon d’aborder de douloureuses questions. Il a été inauguré, en 2016, par le président américain, Barack Obama.

Mary Elliott, curator American slavery, venue de ce musée américain, faisait partie des intervenants à l’université de Maurice. Réagissant à une question sur «combien de vérité et et est-ce que la vérité sera dite sur l’esclavage dans ce musée ?», la spécialiste a affirmé «it is also about what truths you are going to tell ? Vous allez certainement dire des vérités, mais il y en a tellement. Donc, en fin de compte, il faudra choisir lesquelles dire».

Selon elle, si on veut que ce musée à tous les publics, il est temps d’«appeler les gens à faire dons d’objets. C’est l’une des façons de s’assurer que son histoire fait partie de ce musée».

Pradeep Roopun, ministre des Arts et de la culture
Des «pressions pour dénaturer l’histoire»

Mise en garde. Celle de Pradeep Roopun, ministre des Arts et de la culture. Lors de son discours de circonstance, vendredi, à l’université de Maurice, il a affirmé que le «gros défi» du musée de l’esclavage est de «montrer l’histoire telle qu’elle était». Il a plaidé en faveur d’un «consensus aussi large que possible». Si, selon lui, le musée doit servir à montrer une part très triste de notre histoire, «en même temps, on se rend compte qu’il peut y avoir des pressions pour dénaturer l’histoire. C’est là que le travail des universitaires sera vital».

Pradeep Roopun a reconnu qu’il y a «beaucoup de pression, pour ne pas dire d’impatience de la communauté, pour que ce musée voie le jour au plus vite. Le Premier ministre s’y est engagé».

Le ministre des Arts et de la culture a confirmé que le concept committee du musée de l’esclavage a déjà soumis son rapport. Mais surtout que la semaine dernière, une «working session» de haut niveau a eu lieu, concernant le musée. «Je vais très prochainement présenter les recommandations du concept committee au Conseil des ministres». Avant d’affirmer que «nous allons procéder par phases».

Ex-hôpital militaire : la rénovation
va être lancée

Jean Maxy Simonet, Secretary for Public Service et président du concept committee du musée intercontinental de l’esclavage, a affirmé que les travaux de rénovation de l’ex-hôpital militaire démarrent cette semaine. Il intervenait à l’ouverture de l’atelier de travail sur les enjeux du musée, à l’université de Maurice.

Jean Maxy Simonet a précisé qu’il s’agit d’une première phase de travaux. Cette année, le Budget a accordé Rs 20 millions (sous le Lotto Fund) pour ce musée, qui doit voir le jour à la route du Quai, à deux pas de l’Aapravasi Ghat. Une première phase qui devrait s’achever en novembre.

À noter que Jean Maxy Simonet a confié qu’il avait été le premier surpris d’avoir été désigné pour présider ce comité. «Je n’avais jamais travaillé sur ce sujet avant.»

Il est revenu sur sa naissance à Coteau-Raffin, au pied du Morne. Et sur ses responsabilités professionnelles qui l’ont conduit à travailler sur des grands projets d’infrastructure, dont le Metro Express.

Nelly Schmidt du (CNRS) France
«Cela va coûter très cher»

Pragmatique, Nelly Schmidt, directeur de recherches au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) France, a souligné à propos des ambitions intercontinentales du musée : «Cela va coûter très cher.» Avant de se demander si «tous les partenariats privés et publics ont été explorés ? C’est une ambition qui nécessitera d’importants moyens». Elle a plusieurs fois exhorté la partie mauricienne à se mettre en réseau avec un maximum d’autres musées de l’esclavage, que ce soit sur le plan régional ou international.

Elle a aussi souligné «la part perdue», toutes les choses que l’on ne saura jamais sur ce que c’était qu’être esclave.

National v/s Intercontinental

La dimension de la «communauté locale». Celle dont les ancêtres ont subi l’esclavage. Celle qui souffre toujours des séquelles de l’esclavage. Alain Romaine, prêtre, chercheur indépendant au Centre of Research on Slavery and Indenture à l’université de Maurice, a estimé qu’il est impératif que cet aspect se retrouve dans le musée. «Il faudrait que les membres de cette communauté puissent se retrouver quand ils rentrent dans le musée. Qu’ils trouvent des réponses au silence entourant ce crime contre l’humanité.»

L’un des aspects du musée, qui est revenu plusieurs fois au cours des deux jours de débats, c’est comment
y réconcilier l’histoire locale, avec la dimension intercontinentale. Car officiellement, il s’agit bien d’un musée
intercontinental de l’esclavage que Maurice ambitionne de créer.

La définition d’«intercontinental» proposée par Benigna Zimba, Associate professor de l’Eduardo Mondlane
University du Mozambique : «Ce sont les éléments culturels, tangible et intangible venant de tous les continents. La mémoire est la chose la plus difficile à montrer dans un musée. Comment représenter l’histoire d’une femme qui a été capturée, violée, qui a eu des enfants et qui a vécu comme esclave, alors que tout ce qu’elle nous a laissé c’est un ustensile cassé ou un outil ? C’est cela le défi.»