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Le Ngbaba, sport centrafricain tombé dans l’oubli, fait son retour

27 août 2019, 20:24

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Le Ngbaba, sport centrafricain tombé dans l’oubli, fait son retour

C’est une scène devenue rare en Centrafrique, sinon dans les mémoires des plus de 20 ans. Deux équipes se font face, armées de bâtons sommairement taillés en crosse. Un palet découpé dans une semelle de tong s’envole dès l’engagement en traçant une grande courbe dans le ciel gris.

Cet après-midi-là, sur le terrain de l’université de Bangui, c’est match de Ngbaba. Un sport qui a bien failli disparaître des rues et des villages centrafricains.

Le but du jeu: éviter que le disque se couche dans sa moitié de terrain… Les joueurs se précipitent vers le point de chute. Raté ! Le palet rebondit puis roule entre les jambes d’un malchanceux qui manque de perdre l’équilibre, devant ses adversaires hilares. In extremis, un coéquipier assène un puissant coup de crosse qui soulève un nuage de poussière, sous les acclamations du public. Retour à l’envoyeur.

«On n’avait pas vu ça depuis tellement d’années !», jubile Terrence, 31 ans, qui s’apprête à entrer en jeu. «Ca rappelle des bons souvenirs à tout le monde ! »

Comme lui, ils sont nombreux dans le public à avoir connu le temps où les portables et réseaux sociaux n’avaient pas encore fait leur apparition dans le quartier. «A l’époque, les jeunes n’avaient que le Ngbaba pour occuper leurs journées», explique Jean, un étudiant qui trépigne en attendant son tour, à l’ombre des manguiers.

«Dès qu’on organise un match, tout le monde veut participer», se réjouit Sonek Langaté, le président de l’association culturelle Baila à l’origine de l’initiative. «Il faut faire revivre ce jeu. Surtout auprès de la nouvelle génération. Nous avons une culture, il faut la valoriser.»

Sport de rue

Le Ngbaba est un jeu qui n’existe qu’en Centrafrique. Mais d’où vient-il exactement ? Ni les joueurs ni les curieux massés autour du terrain n’en ont la moindre idée.

Aux archives du département d’histoire de l’université de Bangui, la question suscite la même perplexité. «Ca existait déjà dans les années 1970», assure Michel, un septuagénaire qui assure le gardiennage des lieux et avance une hypothèse: «quand la télé est apparue ici, les jeunes ont mélangé des sports occidentaux qu’ils voyaient à l’écran».

Possible, puisque le Ngbaba emprunte - de loin - au baseball, au tennis de table et au hockey. Mais ses origines pourraient être beaucoup plus anciennes: les jeux de crosse sont pratiqués depuis l’Antiquité par les peuples de plusieurs continents.

Pour Sonek Langaté, le Ngbaba serait plutôt un héritage de traditions régionales: «Cela faisait partie des rites d’initiation dans certaines tribus et l’on retrouve des variantes en République démocratique du Congo et au Cameroun».

Aujourd’hui, le Ngbaba est d’abord un sport de rue accessible au plus grand nombre. Les crosses en bois de goyavier, trop coûteuses, sont bien souvent remplacées par des bâtons rapidement taillés pour l’occasion. Pas l’idéal pour rattraper ce palet qui occasionne parfois de graves blessures aux yeux en l’absence de protection adaptée.

«Le Ngbaba, c’est pas un sport de faibles», fanfaronne Terrence, ruisselant de sueur au sortir du terrain.

Mais c’est aussi «un moteur de paix et de cohésion sociale», estime Sonek Langaté. Autrefois, «les jeunes allaient régulièrement défier ceux des quartiers voisins, ça leur permettait de s’intégrer et de socialiser.»

 «Interdits d’y jouer»

Au début des années 2000, la Centrafrique sombre dans une spirale de violences. «Au bout d’un moment, on n’osait plus aller dans les autres quartiers», raconte Sonek Langaté. A cause de l’insécurité et des risques de blessures aux yeux, «beaucoup de parents ont interdit à leurs enfants de jouer au Ngbaba».

Le pays est depuis 2013 le théâtre d’une guerre civile dans laquelle s’affrontent des groupes rebelles contrôlant la majorité du territoire et des quartiers de Bangui, mais aussi de combats entre les forces de sécurité et ces milices.

Depuis quelques mois, les routes de Centrafrique et les rues de la capitale connaissent une relative accalmie, dont compte bien profiter l’association Baila pour faire revivre ces matchs entre quartiers. Mais les moyens manquent dans un pays classé parmi les plus pauvres au monde.

«Aujourd’hui, les jeunes préfèrent jouer au foot ou au basket, parce qu’ils peuvent espérer gagner leur vie avec ces sports», déplore Jean, l’étudiant. «Ce qu’il nous faudrait, c’est une fédération professionnelle», songe-t-il.

Un projet sur lequel travaille Joël Nacka, un entrepreneur qui espère ainsi attirer des sponsors et susciter des vocations dans la nouvelle génération. Et pourquoi pas exporter la discipline à l’étranger. Une question de fierté pour ce Centrafricain expatrié en France : «un sport qui vient de chez nous, c’est l’occasion de donner une autre image du pays».