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L’étrange timing de l’achat des bijoux par Gurib-Fakim

7 août 2019, 13:12

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L’étrange timing de l’achat des bijoux par Gurib-Fakim

Ameenah Gurib-Fakim est retournée en cour Suprême hier, mardi 6 août. Pendant près de deux heures entrecoupées d’une pause-déjeuner, l’ex-présidente de la République a été confrontée à des éléments les uns plus accablants que les autres par le Senior Puisne Judge (SPJ) et président de la commission d’enquête. Ce dernier était assisté de  ses commissaires, les Puisne Judges Nirmala Devat et Gaitree Jugessur-Manna. Nous reproduisons ici cet interrogatoire épique.
 
«You, be careful Mrs Fakim, Madam, because you have to go to cabinet»

Asraf Caunhye (AC): Vous avez retenu les services d’éminents avocats et avoué dont Yousuf Mohamed et Gilbert Noël. Ils disent tous vous avoir informée de l’illégalité d’instituer une commission d’enquête. Est-ce bien l’avis légal que vous avez obtenu ?

Ameenah Gurib-Fakim (AGF): Gilbert Noël m’a dit que le seul moyen de laver mon honneur est d’instituer une commission d’enquête. Quand j’en ai parlé à Me Mohamed, il n’a rien dit. S’il m’avait dit Madame, vous violerez la Constitution, je ne l’aurais pas fait. De plus, il avait envoyé son junior Me Hyderkhan à la State House pour rédiger les attributions de la commission. Gilbert Noël a aussi fait une ébauche et avait échangé avec Me Mohamed par mél.

AC: Monsieur Noël a dit que vous avez été la première à soulever la question de commission d’enquête. Etes-vous d’accord ?

AGF: Non ! (…) Cette question a été soulevée un samedi quand j’ai rencontré Gilbert Noël à déjeuner chez un ami commun. C’est là qu’il a dit que ce sera un moyen de rétablir la vérité.

AC: Ce que nous avons comme éléments de Monsieur Mohamed, c’est que le 14 mars, il vous a dit «You, be careful Mrs Fakim, Madam, be careful because you have to go to cabinet for that purpose. You can’t do it by yourself». Est-ce l’avis qu’il vous a donné ce jour-là?

AGF: Non. Ce n’est pas vrai.

AC: Monsieur Mohamed ne s’est pas arrêté là et a dit que le 15 mars, en apprenant que vous comptez aller de l’avant en retenant les services de sir Hamid Moollan pour présider la commission, il vous a appelé en présence d’autres avocats dont Yanilla Moonshiram, Hervé Duval et Nadeem Hyderkhan pour vous dire « Madam, there is a legal issue about it. Please do not proceed. Hold on» avant de vous dire qu’il doit aller voir sir Hamid Moollan (…)

AGF: J’ai parlé à Me Mohamed le matin du 15 mars et en sus de dépêcher son junior Me Hyderkhan à la State House, il a échangé par mél avec Gilbert Noël sur les attributions de la commission. J’ai aussi dit que je n’émettrai rien sans le feu vert de Me Mohamed. Quand j’ai parlé à ce dernier après sa rencontre avec Me Mollan, il m’a dit et ce sont des mots qu’il a utilisés en présence de témoins et que je ne vais jamais oublier: «Legally you can’t. Tactically you can».

AC: De ce que vous venez de dire, il demeure que l’avis légal est que vous ne pouviez pas aller de l’avant.

AGF: Il m’a dit que tactiquement, je peux et cela venait d’un Senior counsel…

AC: (Le SPJ Caunhye la coupe) Procédons étape par étape. D’abord, Me Mohamed a nié vous avoir conseillé que tactiquement vous le pouvez. Selon vous, ce n’est pas vrai?

AGF: Il a dit cela. Je sais qu’il l’a dit.

AC: Il a aussi dit que légalement vous ne pouvez pas.

AGF: Il y avait tellement de pression sur moi. Je voulais une commission d’enquête…

Alors que l’ex-présidente maintenait n’avoir obtenu aucun avis légal lui disant qu’elle ne pouvait pas procéder avec l’institution de la commission, celle-ci est diplomatiquement sermonnée par le SPJ.

AC: Nous savons combien vous êtes intelligente, brillante. Y a-t-il eu un quelconque avis légal vous disant que vous pouvez instituer cette commission ?

AGF: Le fait que l’avoué Gilbert Noël a rédigé les attributions. Le fait que Me Mohamed est un Senior Counsel…

AC: Votre interprétation importe peu. La question est simple Madame Fakim. Les hommes de loi que vous avez choisis entre le 10 et le 16 mars 2018, vous ont-ils dit que vous pouvez le faire ?

AGF: Ils ne l’ont jamais dit.
 
«Monsieur Seebah m’a dit que je peux avoir recours à des avocats du privé»

AC: Pourquoi avoir court-circuité Monsieur Seebah (Le secrétaire à la présidence) ? Nous avons vu tout au long de cette commission combien vous dépendez de votre secrétaire à la présidence.

AGF: Monsieur Seebah m’a dit que je peux avoir recours à des avocats du privé puisque le commissaire de police, dans une récente affaire, l’avait fait.

AC: Quand vous a-t-il dit cela ?

AGF: Je ne me rappelle pas.

AC: Il s’agit d’une allégation très sérieuse qu’il vous dise de ne pas recourir au bureau de l’Attorney General (AG).

AGF: Il n’a pas dit que je ne peux pas le faire mais il a dit que je peux solliciter des avocats du privé.

AC: Faites attention. Lui avez-vous parlé de la commission d’enquête que vous vouliez instituer ? Cela n’était nullement lié à la commission d’enquête ?

AGF: Non.

AC: Pourquoi n’avoir pas contacté le bureau de l’AG pour la commission d’enquête ?

AGF: Je faisais face à un cabinet hostile. Ils avaient déjà institué un tribunal et pour la fête de l’indépendance, ils avaient changé le sitting arrangement et personne n’était venu à la garden party.

AC: Rien ne vous empêchait de contacter le Solicitor General  qui n’est ni un membre du cabinet ni un politicien.

AGF: Je subissais beaucoup de pression.

AC: Vous étiez au courant des procédures pour une commission puisque le 14 juillet 2015, une note du Premier ministre d’alors qui vous est adressée sur l’institution de la commission d’enquête sur les drogues que vous avez approuvée, est assez explicite.

AGF: Je l’ai signée. Je l’ai lue mais j’étais en poste depuis un mois seulement. En mars 2018 je ne m’en souvenais plus car je n’ai pas accès aux red files et c’était dedans.
 
AC: Quelle était la principale motivation derrière l’institution d’une commission ?

AGF: Systématiquement, la presse publiait des accusations erronées et insinuait que j’avais influencé les procédures vis-à-vis de l’ex-BOI, de la Financial Services Commission pour l’octroi de permis ou encore que j’étais la confidente d’Alvaro Sobrinho  alors que je n’avais rien à voir avec ça.

AC: Dans votre explication détaillée que vous nous avez remise, votre stand est que la presse a publié des faussetés concernant vos dépenses avec la Platinum Card et rien de ce que vous venez d’expliquer. Et plus important, rien de la sorte ne figure dans le communiqué que vous avez émis le 14 mars par la suite non plus.  L’utilisation alléguée de la carte Platinum était bien la principale motivation ?

AGF: Oui, une des questions. Il y avait plus que ça, la Banking licence, le BOI, des choses fondamentales.

AC: (Le SPJ Caunhye la coupe). Nous n’avons aucune évidence, aucune donnée à ce sujet.

AGF: C’était dans la presse et Dass Appadu en fait mention dans son affidavit.
 
«En votre capacité de présidente de la République, vous avez non seulement influencé la FSC mais le Premier ministre lui-même en faisant un fort lobbying pour Sobrinho»
 

AC: Cette carte Platinum (équivalent à Rs 1 million) devait couvrir vos dépenses travel & logistics à partir de mai 2016 ?

AGF: Oui.

AC: Dans le communiqué que vous avez émis, vous commencez par dire que vos services à Planet Earth Institute (PEI) étaient sur une base pro bono et vous réitérez plus loin que vous n’avez bénéficié d’aucun avantage en espèce ?

AGF: Oui. C’est évident. J’approuve.

(A la demande du SPJ, l’ex-présidente dresse, mois par mois, de septembre 2016 à février 2017,  une liste des dépenses encourues pour les raisons de travel & logistics en relation avec le PEI)

AC: En faisant un vite calcul, cela équivaut à quelques Rs 250 000 sur les Rs 1, 25 million dépensées durant cette période. Ce qui fait Rs 2 millions en shopping uniquement. Vous avez aussi écrit dans votre communiqué que vous avez utilisé la carte Platinum card du PEI inadvertently (par erreur). Est-ce correct ?

AGF: Oui.

AC: Nous connaissons votre degré de précision (…) Si vous le saviez, vous ne l’auriez pas utilisée parce que ce n’est pas approprié d’en faire usage pour vos dépenses personnelles.

AGF: Bien sûr. Il s’agit d’une subvention (grant money).

AC: Nous voyons aussi que de septembre 2016 à mars 2017, vous avez utilisé cette carte en 58 occasions. Donc, vous voulez dire que pendant sept mois, vous avez utilisé cette carte par erreur ?

AGF: Oui, j’ai une carte similaire et de la même couleur.

AC: Le plafond de votre carte est de Rs 500 000 et vous l’avez épuisé en octobre 2015.

AGF: J’ai également utilisé ma carte dans divers magasins.

AC: Excusez-moi si je ne suis pas assez explicite. En octobre 2015, vous avez utilisé la carte de PEI à onze reprises pour un montant total de Rs 1,5 million alors que votre carte a un plafond de Rs 500 000. Il est plus qu’évident que vous n’avez pas utilisé votre carte personnelle.

AGF: J’ai un arrangement avec la Barclays pour un top up.

AC: De ce que nous avons comme éléments, à chaque fin de mois, vous recevez un relevé de compte.

AGF: J’ai reçu mais ce n’est qu’en janvier après les différentes activités de fin d’année que je les ai regardés. C’est quand j’ai vu que mes dépenses personnelles n’y paraissaient pas que j’ai demandé à Mauricio Fernandes de me fournir les détails.

AC: Alors, vous n’avez pas regardé vos relevés de compte. Vous avez utilisé la carte de PEI par erreur en 58 occasions et dans votre written statement, vous écrivez avoir eu un problème avec votre carte personnelle en septembre 2016. (Le juge retire ses verres). Là, nous avons un problème. En septembre 2016, vous êtes à Washington. Vous savez que vous avez un problème avec votre carte personnelle et vous continuez à utiliser la carte de PEI par erreur ?

AGF: Non monsieur. Quand j’ai eu ce problème à Washington, j’étais dans un magasin en train d ‘acheter un ordinateur et j’en ai informé le PEI. Une fois à Maurice, la banque a changé ma carte.

AC: Vous avez pris la peine d’appeler Mauricio Fernandez, vous êtes rentrée au pays et avez changé votre carte, il n’empêche que vous avez utilisé la carte de PEI en pas moins de 40 occasions. Pensez-vous toujours l’utiliser par erreur ? Car une carte qui ne fonctionne pas, c’est une explication et utiliser une carte par erreur en est une autre.

AGF: C’est à cause de la ressemblance. Les deux cartes étaient de la même couleur.

AC: Quand est-ce que la presse a commencé à vous connecter au PEI ?

AGF: En mars 2017.

AC: Etes-vous au courant d’un article de l’express daté du 30 novembre 2016 et intitulé PHD Scholarships : promesses non tenues ? Et, une série d’autres articles par la suite sur PEI, Alvaro Sobrinho dont un (Il lit : «Alvaro Sobrinho fait l’objet de plusieurs enquêtes… »). Une pure coïncidence tout cela ? Votre inadvertance a commencé à se dissiper et vous vous êtes intéressée à vos relevés bancaires  pour ensuite rembourser vos dépenses en mars 2017. Toute la question est que vous avez décidé de rembourser quand la presse a commencé à en parler (Le juge pèse ses mots). Vous devez être convaincante car inadvertance est difficile à accepter quand vous saviez que votre carte personnelle ne fonctionnait plus et quand toute cette affaire a été rendue publique dans la presse.

AGF: Des allégations infondées ont été rapportées dans la presse. C’est totalement faux.
 
«L’étrange coïncidence est qu’au lendemain d’un fort lobbying pour Sobrinho dans une lettre au Premier ministre vous avez dépensé près d’un demi-million en bijoux chez Shiv Jewels»
 
AC: Vous avez admis que de septembre 2016 à mars 2017, vous avez fait des dépenses personnelles de Rs 2 millions avec la carte de PEI. Et la carte était fréquemment réalimentée et le montant à chaque fois est frappant. Tout cet argent était utilisé pour financer votre shopping. Réalisez-vous cela en tant que présidente de la République, de cheffe d’Etat ? Nous savons aussi à travers une série de méls qu’avant d’avoir cette carte de PEI, vous avez été briefée par Mauricio Fernandez sur la stratégie pour le Private Investment banking licence d’ASA. Votre déjeuner avec monsieur Kuriachen, l’ancien CEO de la Financial Services Commission (FSC) pour avoir le feu vert de la FSC avant l’arrivée d’Alvaro Sobrinho le 5 avril. Tout cela n’a rien de philanthropique ou de promotion de la science mais la promotion directe des investissements d’ASA à Maurice.

AGF: PEI est le CSR d’une société. Il faut des fonds, des investissements avant tout, pour le PASET program par exemple. Je n’ai pas influencé la FSC. J’étais tenue informée des développements.

AC: En votre capacité de présidente de la République, vous avez non seulement influencé la FSC mais le Premier ministre (PM) lui-même en faisant un fort lobbying dans une lettre  datée du 27 octobre 2016 pour faire la promotion des investissements de Sobrinho dans les services financiers. C’est un strong case que vous avez fait pour ASA et monsieur Sobrinho et vous demandez au PM de considérer leurs demandes.

AGF: Je l’ai fait comme je l’ai fait pour d’autres hommes d’affaires.

AC: Pouvez-vous nous fournir une liste de vos interventions et les dates ?

AGF: Oui.

AC: L’étrange coïncidence est que vous avez écrit cette lettre au PM le 27 octobre 2016 et le lendemain, 28 octobre, vous avez dépensé près d’un demi-million en bijoux chez Shiv Jewels. Maintenez-vous que c’est correct ?

AGF: Ma perception…

AC: Vos valeurs ne nous intéressent pas (…) Il n’y a pas eu que l’argent pompé sur cette carte par le PEI mais aussi un compte spécial de Rs 3,7 millions crédité par PEI et ouvert le 2 octobre 2016. Un argent utilisé essentiellement pour vos billets d’avion et ceux de votre délégation et les per diem. C’était plus qu’assez pour couvrir les travel & logistics durant ces missions.

AGF: J’ai été mise au courant de ce compte spécial le jour où il a été fermé par Madame Ghoorah.

AC: Vous étiez en train de toucher de grosses sommes en termes de per diem. Rs 3 millions dépensées en six mois. ..

AGF: Le gouvernement a approuvé.

AC: Nous allons jouer cartes sur table. Ce qui importe c’est qu’en tant que présidente de la République, vous avez fait un fort lobby pour Sobrinho et ASA et vous avez utilisé à plat leur carte Platinum. (…) Retournons à votre communiqué, mention n’est pas faite du compte spécial de Rs 3,7 millions.  Vous parlez uniquement du remboursement concernant la carte Platinum alors que c’est aussi de l’argent de PEI que vous avez bénéficié. Pourquoi n’avoir pas remboursé ?

AGF: Je ne peux pas rembourser. Ce sont des missions pour le PEI.

Premhans Jhugroo et Hans Mariette entendus

<p style="text-align: justify;">Avant Ameenah Gurib-Fakim, l&rsquo;ex-haut-fonctionnaire au bureau du Premier ministre Premhans Jhugroo ainsi que Hans Mariette, senior manager chez Blue Sky Travel avaient été également appelés à la barre des témoins. Le premier nommé a été interrogé sur des accès et facilités au VIP Lounge et l&rsquo;intervention de l&rsquo;ex-présidente. Hans Mariette, a pour sa part été interrogé sur deux paiements effectués le 26 décembre pour l&rsquo;achat de billets d&rsquo;avion. Un premier paiement de quelque Rs 71 000, pour l&rsquo;achat d&rsquo;un billet d&rsquo;avion sur British Airways Londres-Rome-Londres, au nom du passager est Adam Fakim. Et, un second paiement de quelque Rs 21 000 le même jour pour un billet d&rsquo;avion pour Imaan Fakim sur Air Mauritius pour Londres.</p>

Les attributions de la commission Caunhye

<p style="text-align: justify;">Rappelons que la commission Caunhye a pour objectif d&rsquo;enquêter sur les circonstances derrière l&rsquo;institution par Ameenah Gurib-Fakim de la commission Moollan, le 16 mars 2018, sur l&rsquo;affaire Platinum card/Alvaro Sobrinho et de statuer si l&rsquo;ex-présidente de la République a violé ou pas la Constitution ou toute autre loi, ou s&rsquo;il y a eu usurpation des prérogatives de l&rsquo;exécutif ainsi faisant. Mais aussi, d&rsquo;investiguer sur l&rsquo;implication, directe ou indirecte, d&rsquo;hommes de loi dans cette affaire, de se pencher sur le<em> &laquo;unlawful, improper or indecorous use of the Office of the President&raquo;,</em> ayant mené à la démission d&rsquo;Ameenah Gurib-Fakim le vendredi 23 mars 2018 et faire des recommandations sur l&rsquo;immunité dont jouissent le président et le vice-président de la République.</p>