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Vivekanand Ramburun: «L’utilisation d’enfants pour le trafic de drogue est une nouvelle tendance à Maurice»

19 mai 2019, 07:59

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Vivekanand Ramburun: «L’utilisation d’enfants pour le trafic de drogue est une nouvelle tendance à Maurice»

La saisie de subutex dissimulé dans des jouets pour enfants, samedi dernier, interpelle toujours. Deux enfants ont été utilisés comme passeurs. Jusqu’où peuvent aller les trafiquants pour faire transiter leur drogue ? Quelles sont les stratégies de détection qui existent ? Vivekanand Ramburun, directeur des douanes, s’explique.

Comment réagissez-vous après le cas des deux enfants «passeurs» ?

Cette récente saisie démontre l’efficacité du contrôle mis en place par la Mauritius Revenue Authority (MRA) pour des détections sur des passagers suspects. En fait, les douanes disposent d’un protocole bien établi pour le contrôle des diplomates, VIP, mineurs et handicapés. Nous faisons le profilage et le ciblage de passagers selon des indicateurs de risques conçus par la World Customs Organisation et les douanes. La vérification est effectuée avec des équipements comme les scanners, les chiens renifleurs et les autres matériels de détection.

Le recours aux enfants comme passeurs est-il récurrent chez les trafiquants ?

L’utilisation des enfants pour le trafic de drogue est une nouvelle tendance détectée à Maurice. Cela dit, plusieurs rapports internationaux démontrent que les mineurs servent souvent de mules dans divers pays dont le Kenya, le Royaume-Uni, les États-Unis. À ce titre, le rapport de l’United Nations Office for Drugs and Crime (UNODC) pour 2018 démontre que les groupes de crime organisé et les gangs préfèrent recruter des enfants et de jeunes adultes pour deux raisons. En premier lieu, il y a l’insouciance associée à ces catégories plus jeunes, même en situation de confrontation avec la police et les clans rivaux. Deuxièmement : leur obéissance, qui est un facteur déterminant.

«Les trafiquants transgressent même les extrêmes pour parvenir à leurs fins. Et ce, sans le moindre scrupule et encore moins de considération humaine.»

Est-ce à dire que les trafiquants sont prêts à tout et ne lésinent pas sur les moyens pour transporter leur drogue ?

Bien dit. Les trafiquants de drogue disposent de beaucoup de fonds illicites ainsi que des ressources illégales pour mener leurs transactions. D’ailleurs, vous verrez que dans certains pays, ils utilisent des jets privés, des sousmarins et d’autres modes de transport sophistiqués ainsi que des outils de communication de pointe et des mules pour leur trafic. Les récentes saisies de drogue dans la région indiquent un vaste investissement financier pour l’approvisionnement en drogue et son transit. Je pense notamment aux bateaux à interception rapide, au suivi par GPS, au carburant ainsi qu’aux frais d’avion des plus onéreux pour les mules mais aussi aux passeurs qui ingèrent de la drogue.

Quelles méthodes sont utilisées par les douaniers pour détecter la drogue sur les enfants ?

La MRA Customs Anti-Narcotics Section combat le trafic de drogue, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme avec l’appui soutenu du comité et du directeur général de l’établissement. Dans cette optique, nous nous sommes équipés d’équipements à la pointe de la technologie. Par exemple, la MRA dispose de cinq patrouilleurs pour la surveillance et les interventions à l’intérieur et à l’extérieur du port pour les trafics de drogue ainsi que la contrebande.

Un système de Live Vessel Tracking a également été mis sur pied pour récolter des informations relatives à la localisation des embarcations en temps réel, à un meilleur ciblage et l’élaboration d’actions appropriées le cas échéant. Parallèlement, des scanners ont été installés à l’aéroport, à la Parcel Post Office, à l’entrepôt de la Plaisance Air Transport Services, au Mauritius Container Terminal au port et à l’Aurélie Perrine Terminal au Quai D pour la détection.

De plus, les officiers sont formés localement et internationalement par l’Australian Border Force, la US Drug Enforcement Agency, les douanes françaises, l’UNODC, entre autres. Ils peuvent ainsi mieux cibler les embarcations suspectes et monter par conséquent des opérations.

Et quel est l’apport de la technologie dans cette «détection» ?

Plusieurs dispositifs technologiques sont employés. Je pense notamment au Portable Contraband Buster. Celui-ci indique la différence entre un article issu de la contrebande et l’objet dans lequel il est dissimulé. En plus de cela, nous avons le Fibroscope qui détecte les dissimulations à travers le visionnage d’images selon les angles, en temps réel.

Cela s’applique aussi dans les points les plus difficiles d’accès dans les avions, embarcations, entre autres véhicules. Nous avons aussi recours à des drones pour la surveillance et recueillir des informations au niveau du port et des régions moins accessibles. Des détecteurs sont aussi utilisés pour les drogues, les explosifs et les narcotiques.

Comment se fait le profilage de ces jeunes suspects puisque généralement ce sont des adultes qui sont dans le viseur des douaniers ?

Déjà, deux officiers des douanes sont détenteurs d’une licence en psychologie et assistent au profilage des passagers à risque élevé. Ils se fient notamment au comportement humain et au langage corporel. Les risk profiles des adultes sont très spécifiques. Ils se fondent, entre autres, sur le pays de départ, le motif du voyage, l’attitude du passager. Pour les enfants, d’autres facteurs sont pris en considération mais ils ne peuvent être dévoilés publiquement.

Alors que les adultes emploient souvent le double fond des valises, leur corps ou des cavités corporelles pour dissimuler la drogue, quelles astuces sont utilisées sur des enfants mules ?

En fait, les saisies internationales démontrent que la drogue peut être cachée à l’intérieur des objets ou être sujette à dissimulations corporelles. Toutefois, en référence au récent cas détecté à Maurice, l’emballage original de jouets a été privilégié. Nous avons également relevé que les agences de douanes mondiales ont effectué des saisies à l’intérieur des couches, des jouets transportés par des enfants, des poussettes et des boîtes de nourriture pour bébé.

Suivant cela, quelles stratégies sont mises en place pour pallier d’autres cas similaires ? Comme je vous le disais, un protocole de contrôle est déjà en vigueur, notamment pour les mineurs. Les passagers ciblés peuvent d’ailleurs être sujets à des investigations approfondies. Présentement, la MRA procède à l’acquisition de nouveaux équipements et dispositifs tout en mettant l’accent sur la formation relative aux drogues dispensée par des institutions internationales. Dans la même optique, notre unité canine – la K9 – comprend actuellement 16 chiens renifleurs pour la détection de drogues dures et synthétiques, des devises et du tabac. Nous comptons renforcer cet effectif à 24 d’ici l’an 2021.

Existe-t-il de nouveaux axes de transit ou de trafic avec le recours aux enfants mules ?

La récente saisie de drogue sur des mineurs souligne que les trafiquants transgressent même les extrêmes pour parvenir à leurs fins. Et ce, sans le moindre scrupule et encore moins de considération humaine. On note que les trafiquants s’éloignent des routes traditionnelles comme l’Afrique australe ou orientale pour utiliser de nouveaux axes. À la MRA ainsi qu’au niveau d’autres agences de renforcement, nous surveillons ces tendances émergentes pour agir subséquemment. Mais le public peut tout aussi bien nous aider, en particulier en partageant toute information sur les drogues, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.