Publicité

Aurore Rouzzi: «C’est une démarche difficile de faire de l’agriculture bio à Maurice»

14 mai 2019, 09:43

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Aurore Rouzzi: «C’est une démarche difficile de faire de l’agriculture bio à Maurice»

Vert Deux Mains, entreprise fondée par Aurore Rouzzi de Sensibio, Ravi Rambujoo de Farm Basket et Anya Benoit, diététicienne et nutritionniste du sport, a lancé en début d’année la certification BioLokal. Aurore Rouzzi répond à nos questions et nous parle de cette certification.

L’entreprise Vert Deux Mains a lancé la certification BioLokal en début d’année. En quoi consiste-t-elle ?
BioLokal est reconnue par l’International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM – Organics International), une institution agricole mondiale. Elle n’est toutefois pas reconnue par le gouvernement mauricien. Les démarches ont été un peu longues et ce n’est qu’en début d’année que la certification a été officialisée. Pour l’instant nous avons quatre planteurs qui sont certifiés. Il s’agit d’une certification d’agriculture biologique qui assure que les règles spécifiques à la production biologique soient respectées.

Pour cela nous faisons trois visites par an chez l’agriculteur. Nous faisons un suivi et un accompagnement des planteurs. Des formations professionnelles leur sont également prodiguées. Il y a une visite qui est organisée par moi, une autre où les planteurs vont se visiter entre eux, où ils peuvent partager leurs connaissances et discuter de leurs problématiques. Et la troisième visite est un contrôle surprise. Nous avons décidé de faire trois visites pour mieux rassurer le consommateur. La plupart des grands labels ne font qu’une visite par an et encore c’est une visite annoncée. BioLokal est un modèle participatif où chaque proposition est discutée avec les planteurs.

Pourquoi avoir voulu mettre en place cette certification ?
Tout simplement parce qu’il n’y a pas de certification locale à Maurice. D’autres pays, à l’instar de l’Inde,l’Australie et Madagascar, ont leur certification. Une certification locale prend en compte les problématiques locales et elle travaille avec les agriculteurs. C’est une démarche difficile de faire de l’agriculture bio et c’est une manière d’encourager les agriculteurs. Et puis, il s’agit également de répondre à une demande. Actuellement on cherche moins de déchets, du local, du sain, du bio. Finalement, à quoi cela sert-il d’importer des produits s’ils viennent de loin et qu’ils soient certifiés par des structures qui ne vivent pas le contexte mauricien ?

Est-ce que les produits de vos agriculteurs sont testés ?
Nous sommes encore très jeunes et actuellement nous sommes encore en train de chercher des laboratoires qui pourraient nous faire des analystes de terre et de légumes à prix raisonnable. Les planteurs mauriciens reçoivent très peu d’aide et ils n’ont pas les moyens de se payer des analyses qui coûtent très cher. À titre d’exemple une analyste de compost coûte autour de Rs 16 000.

Nous sommes actuellement en train de chercher à l’extérieur du pays parce que nous souhaitons avoir des partenariats avec des analyses complètes avec une liste de tests de molécules de résidus de pesticides dans les légumes qui soit conséquente, c’est-à-dire que s’il n’y a que dix molécules qui sont testées alors qu’il en existe 150 sur le marché cela ne vaut pas le coût. Il faut qu’on soit sûr que le maximum de molécules ont été testées, y compris celles qui sont interdites. Si on fait une analyse de terre on doit pouvoir savoir s’il y a des résidus de pesticides ou autres produits chimiques et quand on les a utilisés. Donc on préfère prendre notre temps et chercher des laboratoires qui nous proposeront des analyses optimales.

À Maurice n’y a-t-il pas de laboratoires qui pourraient vous aider ?
Outre d’être très cher, les laboratoires ne testent pas beaucoup de molécules. En plus, la liste des molécules testées est connue. Donc si un agriculteur veut tricher, il peut choisir d’utiliser une molécule qui ne se trouve pas dans la liste de contrôle. Je ne parle pas de planteurs qui l’ont fait, mais cette possibilité existe.

Qui sont ceux qui peuvent faire partie de cette certification ?
L’agriculteur qui en a envie et qui comprend que c’est une démarche participative. Il doit comprendre qu’on fait trois visites et quatre réunions par an pour parler de tout ce qui est modification. Il doit s’agir d’une personne qui est vraiment convaincue de l’agriculture biologique. Je reçois parfois des appels de planteurs qui me disent qu’ils veulent faire du bio, mais qu’ils doivent nettoyer leur terrain avant. Et quand je leur demande comment ils comptent le nettoyer, ils me répondent en utilisant des herbicides!

Je pense qu’il y a un problème de sensibilisation et puis il y a le côté facilité. Beaucoup croient, à tort, que c’est beaucoup plus simple d’utiliser des herbicides qu’une débroussailleuse. Les herbicides vont polluer et l’herbe finira par repousser, tandis qu’avec la débroussailleuse cela ne pollue pas le sol et les herbes coupées peuvent servir à faire du paillage.

Au fait, mettre de l’herbicide et aussi fatiguant que de se servir de la débroussailleuse, c’est cela que les gens ne comprennent pas. Si on découvre que de l’insecticide ou de l’herbicide a été utilisé dans une culture, on ne laissera pas passer. Il faut aussi savoir que ce n’est pas moi qui prends la décision d’accorder la certification ou pas. Je fais deux audits dans l’année, mais c’est un comité composé de professionnels qui se réunit et qui prend cette décision après avoir consulté le rapport.

Lors des visites comment pouvez-vous êtes sûre qu’un agriculteur est bio ?
Vous savez, quand il y a quelque chose qui n’est pas bon, cela se sent toujours un peu. On le détectera durant la discussion avec le planteur. Puis, il faut savoir reconnaître une herbe brûlée aux pesticides. C’est très localisé et cela ne trompe pas. Nous vérifions également les graines. Si elles ont été traitées elles seront colorées et sous la certification BioLokal l’utilisation de ces graines est interdite. On vérifie également le stockage pour voir si les produits sont aux normes. Après, si quelqu’un veut vraiment tricher il peut y arriver s’il le veut. Il le peut pour toutes les certifications.

La question qui revient c’est, est-ce que le bio existe vraiment à Maurice quand on sait que l’utilisation de produits chimiques a été intensive et que l’air autant que les nappes phréatiques ont probablement été infectés ?
Effectivement cette question revient souvent. Alors l’agriculture biologique dans le monde entier n’est quasiment plus possible. C’est la problématique un peu partout dans le monde. À Maurice une vaste superficie de terres a été polluée. L’air, l’eau sont pollués. Ceux qui utilisent les produits chimiques ne savent pas comment et quand le faire. Ils ne respectent pas les conditions météorologiques, ni les doses. C’est compliqué.

À un moment donné, quand on parle d’agriculture biologique, c’est que le planteur lui même ne va pas mettre des produits chimiques dans ses plantations. Maurice n’est pas non plus un grand pays avec des tonnes de terre à acheter. Trouver des terres c’est déjà compliqué. Donc l’agriculteur, quand il a un terrain, même s’il y a eu la canne avant, il va planter. On est dans une situation où on n’a pas trop le choix.

Au niveau des graines également c’est compliqué d’en trouver bio. Il y en a très peu et la plupart sont des herbes aromatiques et ce n’est pas ce qui séduit les planteurs. C’est pour cela qu’on se tourne vers des graines non traitées. Puis, il y a des produits bio qui arrivent sur le marché, à l’instar de fertilisants, c’est une bonne chose, mais cela a un coût. Donc, le défi c’est de faire le mieux possible dans le contexte mauricien et de respecter son sol, ne pas mettre de produits chimiques et que le planteur soit respecté et valorisé.

 

Aurore Rouzzi en bref

<div style="text-align:center">
	<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="533" src="/sites/lexpress/files/images/article/aurore_rouzzi.jpg" width="400" />
		<figcaption>Aurore Rouzzi, formatrice en agriculture bio.</figcaption>
	</figure>
</div>

<p style="text-align: justify;">La Française Aurore Rouzzi est arrivée chez nous il y a trois ans et n&rsquo;est jamais repartie. Formatrice en agriculture biologique, elle a fondé il y a un peu plus de deux ans Sensibio. Cet organisme a pour but de promouvoir la production agricole biologique à Maurice. Au sein de Sensibio elle propose plusieurs ateliers pour petits et grands autour de l&rsquo;agriculture bio. Aurore Rouzzi a fait des études en environnement et s&rsquo;est spécialisée dans l&rsquo;agriculture biologique. Avant de venir à Maurice elle a, entre autres, dispensé une formation au Bénin et réhabilité un potager à La Réunion.</p>