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JIOI 2019 - Christine Duvergé: «C’est ma première victoire importante, mon premier tour d’honneur»

6 mai 2019, 21:34

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JIOI 2019 - Christine Duvergé: «C’est ma première victoire importante, mon premier tour d’honneur»

 

«Je me souviens toujours de ce qui s’est passé avant et après mes courses, mais jamais pendant. Avant, il y a le trac, les nerfs, le cœur qui s’affole, le doute aussi : serai-je à la hauteur ? Vais-je pouvoir terminer la course ? Et après, il y a le soulagement, les muscles qui se détendent après l’effort, la déception et la joie aussi. Pendant, c’est le vide, le silence. C’est moi contre moi.

En août 1985, j’avais quinze ans, et je suis sélectionnée pour représenter mon pays aux Jeux des îles. C’est ma première grande compétition. Or, je ne comprends pas tout à fait la signification d’être une déléguée de mon pays. Tout a changé le dernier jour des compétitions d’athlétisme au stade de Réduit.

Nous sommes en finale du relais 4x400 mètres. Ce jour-là, les gradins sont plus bondés, plus bruyants, ce qui amplifie mon anxiété. Je m’échauffe, fais des étirements, essaie de visualiser ce tour de piste. On présente les relayeuses. Le public hurle, applaudit, compte sur nous pour une victoire. Là, j’ai vraiment peur, peur de ne pas être à la hauteur de l’attente de mon peuple, peur de laisser tomber le témoin, peur de ne pas pouvoir terminer ce tour de souffrance.

Je ne me souviens pas du tout de cette finale. Peut-être était-ce un rêve ? Mais non puisqu’on me parle encore de cette course magnifique, qui nous a rendues légendaires et qui a électrifié le pays entier. C’est à travers leurs récits que je revis ce relais que nous avons gagné, et cela fait palpiter mon cœur.

C’est ma première victoire importante, mon premier tour d’honneur. Dans les gradins, mes compatriotes, entassés les uns sur les autres, font un bruit énorme. Leurs applaudissements et cris de joie m’encensent, leur haleine adoucit les douleurs musculaires causées par l’effort. Je trottine en saluant la foule, mes pointes touchent à peine la surface de la piste tellement je me sens légère. Dans les gradins : visages baignés de larmes, bouches grandes ouvertes qui hurlent nos noms, figures radieuses de fierté, nombre de drapeaux nationaux dansant, valsant contre le ciel bleu.

À présent, je suis debout sur le faîte du podium, le cou orné d’or. La gorge nouée d’émotion, je regarde grimper mon drapeau en remuant mes lèvres aux paroles de Mère Patrie. Ma conscience de patriote a dû naître ce jour-là. Avant, les 12 mars se limitaient à des spectacles à l’école, aux pâtisseries et sodas que le gouvernement nous offrait après avoir chanté l’hymne national. C’était jour de fête. Mais j’ignorais ce que nous célébrions.

La cérémonie de clôture des compétitions d’athlétisme des Jeux des îles de 1985 demeure le point le plus fort de toute ma carrière sportive, tant et si bien que je l’ai décrite dans mon deuxième roman L’Essoufflée (Pamplemousses Éditions, 2017).

«La piste se couvre d’athlètes. Certains se tiennent par la main. D’autres portent le maillot d’une équipe adverse. Un air de musique éclate, emplit le stade. Ensuite, Lionel Ritchie se met à chanter : “There comes a time when we need a certain call When the world come together as one.” Stevie Wonder et Paul Simon enchaînent : “There are people dying, oh, and it’s time to lend a hand to life The greatest gift of all.” Les athlètes se tiennent sur la piste et la pelouse. La nuit est tombée. Les lumières du stade nous éclairent. Le public se lève. Nous nous mettons à chanter. Nous tanguons à gauche et à droite, le bras sur l’épaule ou autour de la taille de nos camarades. Nous chantons fort, à l’unisson : “We are the world, We are the children, We are the ones who make a brighter day So let’s start givin’.” Nous sommes les enfants du monde et les étoiles de la planète, les sportifs et les porteurs de lumière. »

Sans aucun doute, la majorité de mes coéquipiers ne se serait jamais côtoyée si ce n’était grâce au sport. Sur la piste, la différence de race, de classe et de religion n’importait pas. Nous portions le même uniforme, avions la même mission de vaincre, parlions la même langue de champions. Nous étions les ambassadeurs de notre pays. Nous étions simplement des Mauriciens.»