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LGBTQI: sexe, dépistage et prévention

5 mai 2019, 21:00

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LGBTQI: sexe, dépistage et prévention

Mardi, 17 h 30, gare du Nord, Port-Louis se vide progressivement de son public de passage, au fur et à mesure que la lumière du jour baisse. Mais il y a un imperceptible mouvement du côté des toilettes publiques de Trou-Fanfaron.

Ce ne sont pas les fantômes de policiers trépassés hantant les alentours du plus ancien poste de police de l’île et fermé depuis août 2017, à la suite d’un incendie, mais des personnes en chair et en os. Des hommes pour la plupart, qui font halte dans les toilettes publiques ou qui passent en regardant un jeune gars en bermuda et blouson en jean, assis sur le muret en pierre entourant le flamboyant.

C’est avec assurance que ce dernier les aborde pour savoir ce qu’ils cherchent au juste. Dans la ruelle en face est garée une petite camionnette blanche toute proprette. Le jeune qui est si à l’aise à accoster les hommes de passage n’est autre que Rajeev Bundhoo, 24 ans, coordonnateur de la Rainbow Team chez Prévention, Information et Lutte contre le Sida (PILS). Il est épaulé par Saarvesh, 21 ans, Health Care Assistant, et Maël, 21 ans, dont c’est le premier emploi mais qui est qualifié de «crowd puller» par le coordonnateur de l’équipe.

«Ce n’est pas que la communauté LGBTQI qui ne se protège pas. C’est toute la population en general…»

Dans la camionnette blanche, qui a momentanément remplacé la caravane mobile qui a crevé un pneu, se trouve l’infirmier Pooven Vencatasamy, assistant de Soobiraj Gungabissoon, coordonnateur en soins infirmiers chez PILS. Pooven Vencatasamy est chargé de pratiquer des tests de dépistage volontaires gratuits lors des deux interventions hebdomadaires de la Rainbow Team sur le terrain.

Les trois jeunes de la Rainbow Team demandent aux hommes de passage s’ils se protègent lors de leurs rapports sexuels habituels ou occasionnels, s’ils veulent d’un core-pack, enveloppe grise contenant 20 gels lubrifiants, 40 préservatifs masculins, cinq préservatifs féminins «que les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes utilisent parfois comme protection anale», précise Rajeev Bundhoo. Des pamphlets en créole sur le VIH/SIDA et les infections sexuellement transmissibles (IST) figurent aussi dans le petit paquet anonyme.

La Rainbow Team, qui a été constituée le 1er mai 2018, leur propose aussi de se prêter aux tests de dépistage dans la camionnette. Si Rajeev Bundhoo et ses complices ont été formés pour faire de la prévention et répondre aux besoins de la communauté des LGBTQI, ils ciblent surtout les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes et les personnes transgenres car ces publics cibles sont plus à risque de contracter une IST du fait qu’elles ne se protègent pas. Pour prevue, les résultats de l’Integrated Biological and Behaviourial Surveillance, étude menée par PILS en 2017-18 auprès d’environ 300 personnes transgenres et des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes – Men having sex with men (MSM).

«C’est de la stigmatisation et de la discrimination qui incite la communauté LGBTQI à se marginaliser advantage…»

Sondage qui a révélé que 47 % des personnes transgenres souffrent de syphilis et que 30 % à 40 % de personnes dans ce groupe sont séropositives. Cette même étude indique que 10 à 20 % de MSM sont séropositifs et que 25 à 30 % d’entre eux ont la syphilis. «Ce n’est pas que la communauté LGBTQI qui ne se protège pas. C’est toute la population en général qui agit aussi légèrement et c’est beaucoup par manque d’informations car le sexe est encore tabou à Maurice», souligne Rajeev Bundhoo.

Mais le rôle de la Rainbow Team ne s’arrête pas là. Les trois hommes ont été formés pour accompagner leurs publics cibles dans les huit Day Care Centres for Immunosuppressed People après que les tests de dépistage ont été réactifs mais aussi dans les hôpitaux de l’île, à la Mauritius Family Planning Welfare Association et chez les endocrinologues pour qu’ils prescrivent des hormones de transition sexuelle aux personnes transgenres voulant démarrer leur transition ou chez les chirurgiens du privé pour celles qui veulent se faire poser des implants mammaires. Parmi la population transgenre touchée par la Rainbow Team, seules trois personnes ont pu changer totalement de sexe en allant se faire opérer en Thaïlande.

La Rainbow Team fait aussi de l’accompagnement pour le Pre-Exposure Prophylaxis (PREP), traitement antirétroviral qu’une personne ayant eu une relation sexuelle non protégée peut prendre après le rapport en question ou qu’une personne qui a régulièrement des rapports à risque peut prendre de façon continue, les deux modes de posologie étant de lui éviter une infection au VIH. Mais comme le souligne Rajeev Bundhoo, le PREP ne protège pas contre les autres IST.

Comment les trois compères arrivent-ils à contacter leurs publics cibles ? «À travers les réseaux sociaux, notamment sur notre page Facebook et sur les sites de rencontres comme Grindr, Tinder, Badoo, Planète Roméo, nous les informons que nous serons présents à tel ou tel endroit de l’île pour du counselling, des dépistages gratuits et une distribution de core-packs.»

Entre le 1er mai et la fin décembre 2018, la Rainbow Team a pu avoir contact avec environ 800 MSM et 150 personnes transgenres. «Nos deux interventions hebdomadaires sont bien planifiées de sorte que nous faisons le tour de Maurice. Et si nous avons raté quelqu’un, dans chaque district nous avons un point focal. Nous travaillons aussi avec le Collectif Arc en Ciel de qui PILS a pris la relève du counselling et du dépistage, avec la Young Queer Alliance.»

Appelé à dire si les problématiques des MSM et des personnes transgenres sont les mêmes, Rajeev Bundhoo déclare que les lesbiennes approchent rarement la Rainbow Team. «Depuis que nous existons, peut-être qu’il y a eu une ou deux lesbiennes à s’être tournées vers nous», raconte-t-il. Bien que les trois quarts des MSM que la Rainbow Team a vus n’aient pas fait ouvertement leur coming out, «ils le vivent en cachette, leurs parents ne se doutant de rien, les plus incompris sont les personnes transgenres car elles sont visibles. Elles s’habillent en femmes et ne s’en cachent pas et leurs parents n’acceptent pas que ces personnes se travestissent. Elles sont souvent méprisées et rejetés».

Le coordonnateur de la Rainbow Team précise toutefois que les deux groupes subissent la discrimination institutionnelle. «Quand ils vont à l’hôpital, le préposé rigole et dit tout haut : «Ah, ou éna sifilis!» Et tout le monde autour est au courant. Il y a des infirmiers et infirmières qui se moquent d’eux en disant : ‘Twa kinn rod sa. To pa kapav abiy bien?’, ‘To bizin mars kouma enn zom, kifer to mars kouma enn fam’.»

Rajeev Bundhoo poursuit : «Une personne transgenre a voulu être officiellement identifiée en femme et changer de nom en conséquence auprès de l’état civil et du bureau du passeport. Cela lui a été platement refusé. On lui a dit de revenir habillé en homme. C’est de la stigmatisation et de la discrimination qui incite la communauté LGBTQI à se marginaliser davantage et à ne pas se protéger. En sus d’écouter leurs besoins, le message de la Rainbow Team à toutes les personnes ayant une orientation et identité sexuelles autres est Protégez-vous lors de rapports sexuels.»

Témoignages

Lucas souffre de ne pouvoir aborder son homosexualité avec sa famille

Si c’est depuis le début de l’année que Lucas, tout juste 20 ans, va à la rencontre de la Rainbow Team à Trou-Fanfaron, il s’avère qu’il est en contact avec l’équipe depuis un an. Son visage a conservé certaines de ses rondeurs d’enfance.

Depuis qu’il est scolarisé, il fait l’objet de railleries des autres enfants. On le traite de «gros pé…» et de «gros pi…» et on critique sa démarche un peu féminine.

Il s’est toujours senti attiré vers des hommes et a même eu une relation sérieuse, qui a toutefois mal tourné. S’il peut évoquer de nombreux sujets en famille, il doit taire son homosexualité car «mes parents trouveraient ça anormal. Je leur raconte tout, sauf cet aspect de ma vie. Mes soeurs sont au courant. La plus grande me juge et à des moments, elle me dit des choses blessantes. Mes cousins et mes amis me comprennent. Mais je souffre d’avoir à me taire et d’être incompris dans ma cellule familiale.»

S’il vient au point de rencontre de Trou-Fanfaron, c’est parce que l’équipe de la Rainbow Team «est très ouverte et que je peux aborder n’importe quel sujet avec elle».

De quoi discutent-ils ? Question idiote ! «Des garçons. On regarde aussi les garçons qui passent et on se dit : ‘celui-ci ou celui-là est beau’.» Cela lui arrive aussi de draguer un inconnu qu’il croise. Cela se termine «par juste une petite pipe et c’est tout» car Lucas rêve du grand amour.

Ce qui le gêne et qui le blesse encore aujourd’hui, c’est le regard des autres sur lui. «Le regard des gens c’est ce qui est plus difficile à supporter. Ils vous font vous sentir différent alors que vous n’êtes pas différent d’eux.

Je suis un humain comme eux.» Rencontrer hebdomadairement les membres de la Rainbow Team est l’équivalent d’une bouffée d’oxygène. «Ils me transmettent leur joie de vivre, m’apprennent mes droits et à me protéger. Je suis assurément plus mature depuis que je les ai rencontrés.»

Adi élargit ses connaissances

C’est en passant devant les membres de la Rainbow Team à Trou-Fanfaron un jour qu’Adi, célibataire de 30 ans qui se définit comme hétérosexuel, s’est vu proposer des tests de dépistage gratuits. Il s’est arrêté pour en savoir plus et depuis, une amitié s’est nouée entre l’équipe et lui. «Ils m’ont appris des tas de choses que je ne connaissais pas, notamment à propos des IST comme l’hépatite C et la syphilis. Ils m’ont donné un pack et je l’ai pris. Mes connaissances en matière de santé se sont élargies. Mo’nn konn boukou zafer. Vo mié nou koné ki nou pa koné. Pa kapav res toulétan dan pakoné. Li danzéré. Cela m’a permis de sensibiliser d’autres personnes sur ces sujets de santé sexuelle.»

Jean-Claude s’est informé pour mieux prévenir ses proches

Cet homme de 42 ans, marié et père de deux adolescents, qui passait à Trou-Fanfaron, s’est vu offrir la possibilité de se faire dépister au VIH/SIDA, à l’hépatite C et à la syphilis. Il s’y est plié de bonne grâce. «J’avais un peu peur. Dieu merci, bann test-la pa finn reaktif.»

C’est au contact de la Rainbow Team qu’il a réalisé à quel point il ignorait des choses en matière de santé sexuelle. Il a même pris un pack qu’il a ramené à la maison car sa femme ne peut prendre des contraceptifs en raison de soucis de santé. De plus, il a pu partager ses nouvelles connaissances en matière de santé sexuelle avec ses enfants adolescents.

«Zanfan zordi zot brit. Mo dir zot fer atansion, protez zot. Je ne les encourage pas à être sexuellement actifs mais je leur dis qu’au cas où, il vaut mieux se protéger.» Sa femme trouve étrange qu’il en sache autant sur le sujet. Il préfère lui dire qu’il a appris ces choses d’un ami. «Mo pa dir li ki sé Rainbow Team parski li zalou.»