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Footballeuses en herbe: aux Comores, passion et émancipation au FC Mamans

26 avril 2019, 16:30

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Footballeuses en herbe: aux Comores, passion et émancipation au FC Mamans

Au bord de la pelouse, pieds aux ongles vernis, elle a enfilé ses chaussettes et serré les lacets de ses chaussures à crampons. Puis elle a délicatement plié et enfoui au fond de son sac à dos le voile bariolé qui lui recouvrait la tête.

L’orage tropical gronde au-dessus du stade municipal de Moroni mais qu’importe. C’est jour d’entraînement au FC Mamans, le club de football féminin de la capitale comorienne, et Armelle Sylva n’a pas l’intention d’y renoncer pour cause de météo. 

A petites foulées, elle a rejoint une poignée de jeunes femmes sur le terrain, désormais noyé sous des trombes d’eau.

Passes, contrôles et petits jeux de ballon sous la baguette de leur entraîneur, Stéphane Aboutoihi. «Pied droit, pied gauche, maîtrise technique... Allez les filles, on y va !»

Les mains sur les hanches, Armelle Sylva reprend son souffle. Ses cheveux dégoulinent de pluie mais elle est ravie.

Courir, sauter, taper dans la balle, la jeune femme ne peut plus s’en passer. «C’est une passion dans laquelle je suis tombée toute petite», explique l’attaquante de 23 ans. «Quand on joue, on est comme une famille. Peu importe le village, la religion, qu’on soit riche ou pauvre, on est simplement heureuses.»

Pour entrer dans la «famille» du foot, Armelle Sylva a dû batailler ferme. Une fille en short dans un pays musulman où la plupart ne sortent que voilées ? Presqu’une provocation.

«On m’a dit +t’es une fille, t’es pas là pour jouer au foot, t’es là pour rester à la maison et t’occuper des enfants+», confie-t-elle. «Ca m’a valu des embrouilles avec ma famille et mes oncles mais j’ai insisté et j’y suis arrivée.»

Contre mon père

Haïriat Abdourahmane, 24 ans, a elle aussi dû s’affranchir des tabous religieux et des réticences familiales pour revêtir le maillot vert de l’équipe nationale comorienne. Avant-centre et capitaine, ses coéquipières la surnomment «Maradona».

Sa hargne et son obstination transpirent de chacun des tirs qu’elle expédie vers les buts, gardés ce jour-là par un homme.

«Mon père ne voulait pas que je joue», se souvient l’infirmière. «Il a fini par accepter depuis que je suis dans l’équipe nationale. Il ne vient pas me voir jouer mais je sais qu’il écoute les matches diffusés à la radio et qu’il entend mon nom».

Parti de rien il y a quinze ans, le football féminin s’est fait une petite place au soleil étouffant du petit archipel de l’océan Indien.

Tout premier club créé, dès 2003, le FC Mamans a depuis été rejoint par 17 autres, qui se disputent chaque année un championnat et une coupe d’un niveau appréciable. Le Onze national vient d’être sacré champion de l’océan Indien.

«Le foot féminin a beaucoup évolué aux Comores. Il y a une équipe qui représente le pays. Aux yeux des hommes, c’est devenu une affaire sérieuse», se réjouit le président du club, et patron de la fédération de basket, Sultan Saïd Ali.

Grâce à l’argent déversé par la Fédération internationale (Fifa), les autorités sportives ont même commencé à former des arbitres, des entraîneurs, des bénévoles.

Plus de filles

«L’idée, c’est de développer tout ça», s’enthousiasme M. Sultan, «les filles méritent d’être aidées, ce sont des passionnées».

Dirigeants et joueuses misent désormais sur la prochaine Coupe du monde en France, en juin, pour passer à la vitesse supérieure.

«C’est une occasion en or. Ca va montrer à tous que les filles peuvent jouer aussi bien que les garçons», se félicite l’entraîneur du FC Mamans et directeur technique national, Stéphane Aboutoihi. «Il faut que plus de filles nous rejoignent».

«Je vais regarder la Coupe du monde à la télévision, bien sûr», lance Haïriat Abdourahmane, les yeux plein d’envie. «Je rêve de la jouer moi aussi un jour mais ce sera difficile, nous manquons encore de moyens».

Dans les gradins, quelques spectateurs observent l’entraînement de ces dames. Parmi eux un homme, Assoumani Ben Amise, qui lui aussi promet de s’intéresser à «leur» Coupe du monde.

«Avant, c’était très lent, très hésitant, ça manquait d’engagement. Maintenant, elles jouent très technique», reconnaît l’amateur. Mieux que les garçons ? «Non, ça, c’est pas possible», lâche-t-il sans l’ombre d’une hésitation.

Toute ouïe, Armelle Sylva délace ses chaussures en grommelant. «On essaie de faire avancer la notion d’égalité entre hommes et femmes dans ce pays mais c’est dur», soupire la militante associative. «Le foot est un bon moyen de faire avancer notre combat mais il reste encore tant à faire...»