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Pertes de Rs 1 milliard: pourquoi Air Mauritius pique du nez

24 février 2019, 22:00

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Pertes de Rs 1 milliard: pourquoi Air Mauritius pique du nez

La compagnie d’aviation nationale a du plomb dans l’aile. En effet, depuis le 1er avril au 31 décembre 2018, elle voit rouge avec une perte massive d’un milliard de roupies. Pourtant, en 2017, Air Mauritius volait haut avec Rs 410 millions de bénéfices. Pourquoi la note est si salée ? Le point.

C ’est la compagnie qui valait un milliard… mais de dettes. Le chiffre fait jaser à perte de vue. «Ils font trop de gaspillages», scandent les uns. «Il n’y a sans doute pas un bon pilote pour assurer les commandes de la compagnie elle-même», critiquent les autres. Qu’en est-il des vraies raisons ? Embarqués sur cette piste, nous avons atterri sur divers facteurs.

Premièrement, et Air Mauritius est la première à le dire, les opérations sont frappées par une féroce concurrence. Résultat : 5 000 sièges de moins, soit 610 480 sièges au total sur les vols d’MK, d’octobre à décembre 2018. En revanche, les lignes internationales ont augmenté leur capacité de sièges à raison de 2,88 millions par an. Du coup, Air Mauritius transportait 6 393 passagers en moins.

Qui sont donc ces fameux concurrents d’MK ? Selon nos informations, 22 lignes internationales opèrent sous nos cieux. Les plus gros sont notamment Emirates Airlines, Turkish Airlines et Alitalia entre autres. Sollicitées, les deux premières compagnies n’ont pas fait de déclaration. Pour sa part, Umarfarooq Omarjee, d’Alitalia, apporte un certain éclairage : «Emirates Airlines, Turkish Airlines sont des hub-based airlines. Elles recueillent les passagers partout et redistribuent sur Dubayy, Istanbul vers Paris, l’Amérique, entre autres destinations. C’est du yield management», confie-t-il. Pour Alitalia, il soutient que beaucoup de voyageurs préfèrent des vols directs pour éviter le transit. «Nous emmenons beaucoup plus d’Italiens vers Maurice et ne pratiquons pas d’unethical competition. Et depuis l’arrivée d’Alitalia le 27 octobre 2018, nous avons recensé une progression de 75% pour les Italiens qui viennent à Maurice.»

Parlons prix justement. En effet, les compétiteurs sont sur le pied de guerre et les cassent à volonté. Chez Turkish Airlines, des vols vers le Canada coûtent actuellement Rs 38 000. Sur Air Mauritius, cela peut coûter le triple. Et pour Chennai, alors qu’Emirates propose un vol à Rs 15 600, le ticket d’Air Mauritius coûte Rs 17 500. Et durant les périodes de fête, les vols low-costs font également un malheur, plombant les bonnes affaires d’MK. «Il y a une sorte de déconnexion entre les attentes des voyageurs et les prestations réelles. Par exemple, de plus en plus de Mauriciens voyagent en famille, notamment avec des bébés et enfants en bas âge. Air Mauritius doit considérer ces nouvelles tendances. Tant pour les offres de sièges que de repas, cela n’a pas évolué», déclare un responsable d’agence.

D’autant que certains passagers n’hésitent pas à débourser plus pour de meilleures prestations de service chez les concurrents. À cela se rajoutent les annulations et rééchelonnements trop fréquents des vols d’Air Mauritius, ajoute-t-il. Un trop plein de facteurs conduisant les voyageurs à d’autres opérateurs. Parallèlement, les coûts constituent un autre coup dur aux finances d’MK. Rien que pour le carburant, les prix ont grimpé de 38% d’avril à décembre 2018 comparé à 2017. L’impact ? 16,3% de plus sur les frais généraux. Et lorsque l’on passe ce taux au scanner, on détecte 29% de plus sur le carburant, 21% sur l’approvisionnement en avions et 15% pour le personnel.

Étudions le cas du carburant. Comme les variations dépendent des fournisseurs étrangers, Maurice ne pourrait rien y faire a priori. Mais était-ce mieux au temps du hedging ? «Avec le hedging, on gagne parfois et d’autres fois, on perd. Il faut trouver les moyens de se prémunir contre le risque, en sachant comment bien y procéder», indique Pierre Dinan, économiste.

Dans la même veine, la modernisation de la flotte a aussi plombé les ailes d’MK. Comme l’explique un ancien directeur d’Air Mauritius, six avions devaient venir remplacer des A340, coûtant chacun 300,000 de dollars américains mensuellement. Et pour passer au modèle supérieur, Air Mauritius devait débourser 1,2 million de dollars mensuellement. Par appareil, bien sûr. Des frais bien trop faramineux et que la compagnie ne pourra jamais se permettre, déclare-t-il. À côté, des «largesses» ont été observées, notamment en termes de détériorations de relations industrielles.

«Des grèves par-ci, des go-slows par-là ont généré une perte en productivité. Tout cela a un coût significatif», souligne-t-il. Pierre Dinan abonde dans le même sens : «Je crois qu’il y a trop d’employés. On m’a toujours dit que cela pouvait être très excessif.» Le directeur d’agence va plus loin, égratignant la fermeture de certaines branches, le lancement prématuré suivi de l’annulation de Bangkok et les restructurations internes. Bien qu’elles aient mobilisé énormément d’énergie, ces démarches n’ont pu décoller.

«Les compétiteurs sont sur le pied de guerre et cassent les prix à volonté. »

D’autres anomalies figurent également au banc des accusés. L’actionnariat, détenu majoritairement par l’État, est ainsi décrié par l’ancien directeur d’Air Mauritius : «Le gouvernement croit qu’il a plus de droit que les autres. Or, 18% sont des actions cotées en bourse.» Par conséquent, il ne devrait pas y avoir d’ingérence politique sous le couvert de cette majorité. «Ceci a pour incidence d’offrir des services même si ce n’est pas rentable. Si tel pays ne nous rapporte pas de revenus, il faut réduire ou cesser le service. Il faut libérer Air Mauritius de ces obligations nationales», souligne l’économiste.

D’ailleurs, la rentabilité de certaines dessertes est sérieusement remise en question. Plusieurs sont des échecs, notamment la Chine, Dar Es Salaam, Maputo, Guangzhou etc., soutient le responsable d’agence. «Sur trois vols, Air Mauritius peut en opérer deux à plein régime et avoir un troisième vide. Il faut mieux gérer et s’aligner vers les destinations plus profitables», affirme un autre directeur d’agence. Et en cas de difficultés, des subventions devraient être la bienvenue, recommande Pierre Dinan. Une plus grande liberté d’action serait requise pour qu’Air Mauritius puisse reprendre son envol, avancent nos interlocuteurs. Tout comme une meilleure coordination et communication avec les agences, représentant 75% des revenus de la compagnie d’aviation nationale. «Hélas, fort de ces manquements, les agences préfèrent promouvoir des lignes aériennes alternatives qui proposent de meilleures conditions», conclut le responsable d’agence.