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Journée mondiale Cancer: ce mal qui ronge la médecine locale

3 février 2019, 15:05

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Journée mondiale Cancer: ce mal qui ronge la médecine locale

À l’heure où vous lisez ces lignes, cet homme d’affaires de 59 ans, qui exploitait avec son associé les enseignes de vêtements Laughing Duke, les chaussures Clarks, Pikolinos et autres à First Time et Dockland et de la bagagerie de luxe à Showtime, n’est déjà plus de ce monde.

Il a rendu son dernier soupir le matin du 19 décembre 2018 à Perpignan en France. Sa dépouille a été rapatriée à Maurice le jour de Noël et inhumée au cimetière de Pailles. Avant de partir pour la France en octobre dernier, où il a finalement été accepté dans les essais d’immunothérapie, dernières techniques de soins personnalisés, il avait consenti à nous raconter sa mésaventure entre les mains de médecins mauriciens. Le temps lui a fait défaut, mais avant de rendre l’âme, il a donné des directives à un proche pour que son dossier médical nous soit communiqué.

«Il a revu le même praticien à trois autres reprises. À chaque fois, c’était le même diagnostic de posé : une inflammation.»

Ceux qui ont côtoyé Ismet Clément Elias Duke Hossenbaccus, plus connu comme Duke, né d’une mère française et d’un père mauricien, savaient à quel point il respirait la vie. Il était particulièrement apprécié pour sa joie de vivre, sa simplicité, sa générosité. Sa franchise les heurtait parfois, mais il était d’une grande fidélité en amitié et loyal dans les affaires. Un de ses proches, qui le connaissait depuis plus 30 ans, raconte que jusqu’en juin 2015, Duke Hossenbaccus jouissait d’une santé de fer. Il mangeait sainement, principalement du poisson, des fruits de mer et des légumes et très rarement de la viande. Trois à quatre fois la semaine, il courait dans les champs de canne entourant sa maison. Autrefois, il était volleyeur.

Comme il aimait voyager, il s’accordait régulièrement des vacances. En juin 2015, c’est à Bali qu’il s’est rendu avec des amis. Vers la fin du séjour, il a subitement ressenti de violentes douleurs à l’abdomen. Celles-ci étaient si intenses qu’il ne pouvait même pas se lever du lit. Comme Duke Hossenbaccus devait regagner Maurice dans deux jours, il s’est dit qu’il irait consulter le médecin une fois rentré. Le lendemain, ses douleurs s’étaient envolées comme par enchantement. Il a quitté Bali le 19 juin à destination de Maurice et le 22, il s’est rendu chez un médecin. Celui-ci l’a ausculté, a tâté son abdomen et n’a rien trouvé d’anormal.

«En 14 mois, il a subi cinq protocoles de chimiothérapie en france et à l’hôpital steclothilde à la réunion.»

Duke Hossenbaccus a alors repris le cours de sa vie. Sauf que deux mois plus tard, soit à la fin août 2015, il a remarqué une enflure dans ses parties intimes du côté gauche. Duke Hossenbaccus a alors consulté un spécialiste. Après consultation, ce dernier a parlé d’une inflammation et lui prescrit des anti-inflammatoires, de même que des antibiotiques. Comme l’enflure ne désenflait toujours pas malgré la prise des médicaments prescrits, Duke Hossenbaccus a revu le même praticien à trois autres reprises, soit en octobre, novembre et décembre 2015. À chaque fois, c’était le même diagnostic de posé, à savoir une inflammation. Les prescriptions étaient quasi inchangées sauf que le médecin alternait entre antibiotiques et médicaments pour reflux gastriques et crampes d’estomac. À aucun moment, un scanner ou une Imagerie à Résonance Magnétique ne lui ont été recommandés.

Le 31 décembre 2015, Duke Hossenbaccus a été de nouveau en proie à de vives douleurs à l’abdomen. Cette fois, en se massant le ventre, il a senti une masse sous-cutanée sur son flanc gauche. Il s’est alors rendu chez un radiologue et a demandé une échographie. Cet examen a confirmé la présence d’une grosseur. Comme c’était la période des fêtes de fin d’année, le radiologue lui a conseillé d’attendre le 3 janvier 2016 pour se soumettre à une biopsie en clinique. Cet examen a été pratiqué dans un des établissements du privé le 6 janvier 2016

Quatre prélèvements ont été effectués à partir de la tumeur. Le résultat est tombé le 7 janvier 2016. Dans son rapport, le radiologue a indiqué que les prélèvements montraient une «lésion composée de cellules bénignes», qu’il n’y avait «no evidence of malignancy in the tissue provided». Plus loin dans ses commentaires, le radiologue a ajouté que l’examen d’histopathologie du prélèvement fourni «suggests a Benign Soft Tissue Tumour.»

Pour se rassurer, Duke Hossenbaccus est resté quatre jours supplémentaires en clinique et s’est soumis à un examen plus poussé, soit la CT Angiography, scan du corps en entier permettant de voir les veines, les artères et autres tissus mous et dont le résultat a indiqué la présence d’une tumeur de près de 11 centimètres compressant l’aorte, la colonne vertébrale et les parties intimes.

Comme ses deux frères sont médecins – un est chirurgien dans la ville de Perigueux et l’autre généraliste à Perpignan en France, Duke Hossenbaccus a opté pour un contre-diagnostic en métropole. Il est parti pour la France le 27 janvier 2016 et a gagné Paris, plus précisément l’hôpital Gustave Roussy. Cet établissement est spécialisé dans le traitement des cancers. Le 3 février 2016, soit presque un mois après sa première biopsie effectué à Maurice, les médecins français lui ont fait une biopsie. Le résultat a été des plus édifiants.

Ils ont évoqué la présence d’une masse de grand axe et sont arrivés à la conclusion que c’était un liposarcome dédifférencié de grade 2. En langage clair, cela signifie une tumeur maligne se développant au niveau des tissus graisseux. C’est un cancer rare dont la prévalence est de un sur 100 000 personnes par an. Le liposarcome affecte l’adulte âgé entre 40 et 60 ans. Sa cause n’est pas établie. Il peut découler d’une anomalie génétique mais aussi d’une exposition à certains produits radioactifs ou chimiques.

De son vivant, Duke Hossenbaccus se plaignait qu’en rentrant chez lui après une journée de travail, sa maison bien que fermée à double tour une journée, empestait les pesticides pulvérisés dans les champs alentours. Il se disait persuadé que ces produits chimiques étaient l’élément déclencheur de son cancer. Toujours est-il qu’en mars 2016, les médecins français l’ont opéré pour enlever la tumeur maligne et les parties du corps avec lesquelles elle était en contact, notamment du rein gauche, du côlon et du petit intestin. Duke Hossenbaccus est resté hospitalisé 27 jours. Juste après l’intervention, il ne pouvait plus marcher. Mais des séances de kinésithérapie l’ont remis sur pied. Il a été autorisé à regagner Maurice à condition de se soumettre à des scans tous les deux mois.

De retour à Maurice, il a connu un répit de neuf mois. Un proche déclare qu’à cette époque, il respirait la forme et avait même repris le sport. Sauf qu’en mars 2017, lors de l’habituel scanner, la présence d’une tâche suspecte sur le poumon gauche a été notée. Duke Hossenbaccus a dû repartir pour la France où les médecins ont privilégié comme traitement la chimiothérapie. Ce traitement aux effets secondaires durs n’a pas fait régresser la tâche. Au contraire, elle a continué à grossir. À tel point que les chirurgiens français ont dû lui enlever le poumon gauche. Duke Hossenbaccus a continué à lutter bravement contre son cancer.

En 14 mois, il a subi cinq protocoles de chimiothérapie en France et à l’hôpital SteClothilde à la Réunion. Traitements qui n’ont eu aucun effet sur son mal qui continuait à gagner du terrain. D’énormes métastases de la taille de la paume de la main sont alors apparues sur son corps. Alors que d’autres auraient abandonné la partie, Duke Hossenbaccus a voulu figurer sur la liste des malades du cancer admis aux essais d’immunothérapie en France. Cette dernière technique de soins consiste à injecter des médicaments aux malades du cancer dans l’espoir de faire réagir leur système immunitaire pour qu’il détruise les cellules cancéreuses.

En octobre 2018 après une longue attente, Duke Hossenbaccus a été accepté et a rejoint à Paris le petit groupe de 30 malades devant expérimenter l’immunothérapie. Après trois séances qui se sont avérées infructueuses dans son cas, les médecins ont préféré tout stopper. «Il s’est alors rendu compte que tout était fini», raconte un autre de ses proches, qui ne comprend pas comment les médecins mauriciens consultés dès l’apparition des premières douleurs abdominales n’ont pas eu la présence d’esprit, à défaut du réflexe médical normal, de l’envoyer faire un scan ou une IRM. «Je ne dis pas que si le liposarcome de Duke avait été décelé plus tôt qu’il aurait été traité et guéri. Mais je suis persuadé que si tel avait été le cas, il aurait gagné une ou deux années de plus et qui sait comment ça se serait passé.»

Pour notre part, nous n’allons pas jouer les avisées après coup. Mais une chose est certaine, la prise de plusieurs avis médicaux n’est jamais de trop….