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Karl Lamarque: «Des malfrats utilisent des skippers comme prête-noms»

2 février 2019, 22:26

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Karl Lamarque: «Des malfrats utilisent des skippers comme prête-noms»

Vingt et un skippers, refusant de «travailler gratuitement» pour un établissement hôtelier, ont été suspendus. Que s’est-il passé au juste ?
Le vendredi 25 janvier 2019, 20 d’entre eux devaient passer devant un comité disciplinaire. Mais la réunion a été reportée et est maintenant prévue au 13 février d’après les skippers. Ce problème est survenu alors qu’ils travaillaient pour la boathouse de l’hôtel Le Paradis, gérée par La Goélette Ltée. Parallèlement, le Dinarobin, qui fait partie du même groupe hôtelier, disposait également d’une boathouse. Cette unité a cessé ses opérations et dirigé ses clients pour les activités nautiques vers celle du Paradis. Par conséquent, les employés de Dinarobin y ont été transférés et le volume de travail a considérablement augmenté.

Mais avec la fin des opérations de la «boathouse» du «Dinarobin » et le transfert des skippers, n’est-ce pas plutôt une bonne nouvelle en termes d’emploi ?
Ils ne refusent pas de travailler. Ils ont demandé une augmentation depuis un certain temps, en vain. Figurez- vous qu’en dépit de la fermeture de la boathouse du Dinarobin, l’allocation est reversée à celle du Paradis. Et d’après mes informations, ce contrat vaut environ Rs 400 000. Du coup, cela se rajoute au cachet que touchait déjà la boathouse du Paradis.

L’augmentation salariale de Rs 6 500 revendiquée par les skippers est-elle justifiée ?
Comparé à ce que cela rapporte à la boathouse en question, j’estime que cette demande est justifiée…

Parallèlement, l’employeur, lui, voulait offrir plus d’une centaine de roupies…
J’ai entendu Rs 300. Vous imaginez comme c’est vraiment minime. Cette somme est vraiment très choquante. Je ne veux pas faire le jugement de quiconque dans cette affaire. Mais les skippers sont des professionnels dotés d’expérience et font la publicité de l’hôtel. Beaucoup de clients reviennent grâce à leur service. C’est un drame humain. Les skippers ont sacrifié leur vie pour ce métier. D’ailleurs, 16 d’entre eux sont des habitants de La Gaulette, village pour lequel je suis conseiller. Je les connais. Il faudrait négocier, couper la poire en deux et trouver un consensus pour l’augmentation. Sur une base humanitaire, on pourrait réintégrer les skippers à leur poste.

Pourquoi seulement un employé sur 21 s’en est allé en grève ?
Les 21 skippers ont tous été suspendus depuis le 10 décembre 2018. Ils pensaient tous qu’ils seraient convoqués le même jour par le comité disciplinaire. Or, Vidianand Jeewajee a été appelé et licencié avant. C’est pour cela qu’il a entamé une grève de la faim le mardi 22 janvier. Je ne sais pas pourquoi cela s’est passé ainsi. Mais il y a eu beaucoup de soutien des syndicats et des collègues qui étaient prêts à le rejoindre dans la cause s’ils sont eux aussi renvoyés. Vidianand Jeewajee a suspendu sa grève le vendredi 25 janvier suite au report de la convocation devant le comité disciplinaire pour les 20 autres skippers. Les skippers licenciés souhaiteraient que le ministère du Travail intervienne dans cette affaire pour trouver une solution.

Pourtant, en mer, les skippers «font la loi» sur les passagers, les excès de vitesse et les tarifs ?
Vous n’êtes donc pas si mal lotis… Quand je présidais le syndicat, on avait milité pour une bonne augmentation. Aujourd’hui, le salaire se situe entre Rs 9 000 et Rs 14 000 dépendant du temps de service. Moi, je suis en mer depuis une trentaine d’années. Il y a bien quelques brebis galeuses dans la profession, mais c’est très peu… D’ailleurs, regardez le nombre d’accidents en mer. Le taux est faible comparé au nombre d’accidents de la route…

Ne prêchez-vous pas votre propre paroisse là ?
Pas du tout. Je me base sur les faits. Ce n’est pas parce qu’il y a une ou deux pommes d’amour pourries dans un panier qu’il faut faire l’amalgame et dire que tous les légumes sont à jeter. Nous avons aussi des brebis galeuses sur terre comme en mer. La plupart des skippers respectent la restriction pour le nombre de passagers. D’autant qu’ils savent que des sanctions très sévères sont applicables aussi bien pour l’employé que pour le propriétaire du bateau.

Souvent, les skippers conduisent en état d’ivresse et d’autres utilisent leurs hors-bord pour du trafic de drogue. Pourquoi ce manque de contrôle ?
C’est un fait déplorable. À mon sens, le personnel de la National Coast Guard n’est pas professionnel. Il ne s’applique pas et ne démontre aucune performance. Déjà sur la plage, on voit beaucoup de personnes horsla- loi. Les excès de vitesse ne sont pas juste imputables aux plaisanciers locaux. Beaucoup d’opérateurs étrangers commettent ces infractions et rien n’est fait à cause de cette absence de contrôle. Pour la pêche, c’est pire. Il y a des pillages la nuit ou au petit matin. Où sont les agents ? Pourquoi n’interviennent-ils pas ?

Et les radars ?
Je ne sais même pas s’ils fonctionnent.

Les plaisanciers ne devaient pas en être équipés comme prévu dans le Budget ?
À ce stade, je n’ai rien vu venir…

 Depuis des années, l’échec aux examens de skippers est décrié. La situation s’est-elle améliorée ?
Je ne sais pas exactement quels sont les taux actuels. Cependant, il faut comprendre que les skippers sont essentiellement issus de familles de pêcheurs. Et vous savez que cette profession n’a guère d’avenir avec la diminution des poissons. Les jeunes essaient donc de devenir plaisanciers. Mais cela nécessite de gros investissements. Par exemple, il faut être millionnaire pour opérer un bateau de plaisance…

Mais on a récemment vu un jeune de 21 ans le faire. À cet âge, est-on capable d’assurer une telle fonction en toute sécurité et responsabilité ?
Il est bien difficile qu’un jeune trouve de tels moyens financiers… À moins que de père en fils, ils soient riches…

Ou qu’il fasse du trafic de drogue, un juteux filon sur mer ?
Oui, cela arrive aussi. La drogue sévit partout. Certains succombent à la tentation liée au trafic de drogue et au blanchiment d’argent. Notre secteur n’est pas épargné. Les trafiquants peuvent infiltrer ce domaine. Quant aux jeunes, ils peuvent être plus vulnérables et ne résistent pas à l’argent facile. Il y a aussi des malfrats qui utilisent des skippers comme prête-noms pour acheter un bateau et faire les basses besognes.

D’ailleurs, l’axe Maurice- Réunion semble être des plus sollicités par ces trafiquants…
La voie maritime est vaste et truffée de bateaux rapides. Les radars, encore faut-il qu’ils fonctionnent, devraient détecter ces transactions illicites. Mais si devant sa propre porte, que ce soit les plages et le lagon, la National Coast Guard ne peut agir, comment va-t-elle contrôler un océan ? Il faudrait surveiller les entrées et sorties, avoir du matériel sophistiqué et un personnel vraiment dédié. À ce jour, tel n’est pas le cas. Par conséquent, la mer constitue un passage aisé pour la drogue.

Revenons aux examens. Sont-ils adaptés aux «enfants de pêcheurs» ?
Au départ, il y avait un consensus avec la Tourism Authority pour que les examens soient adaptés. Par exemple, il y a des cours en créole. Maintenant, on essaie de les rendre plus accessibles. Mais le programme a été révisé. C’est plus difficile pour une personne de passer cet examen sans formation scolaire au préalable. C’est comme si vous disiez à quelqu’un d’apprendre le code de la route. Sur le terrain, il y a d’autres exigences. Il faut que ces jeunes puissent maîtriser la notion maritime. L’expérience de la mer, cela prend des années.

Votre bras de fer avec la Tourism Authority est-il toujours en cours ?
L’injonction contre les réglementations du Pleasure Craft Management System est toujours en cours. Le cas sera entendu de nouveau en Cour suprême ce mois-ci. Nous avons juré des affidavits. La Tourism Authority a aussi répondu. Tout dernièrement, le ministère du Tourisme a également énoncé ses arguments. Notre prochaine étape est la réfutation.

 

Bio express

<p style="text-align: justify;">Karl Lamarque compte plus de 30 ans au service de la mer. Président de l&rsquo;Association des pêcheurs professionnels et de plaisance, il est parallèlement secrétaire de la <em>Federation of Pleasure Craft Operators. </em>Karl Lamarque est aussi conseiller au village de La Gaulette.</p>