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Politique: jeux d’alliance et stratégies

2 janvier 2019, 21:30

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Politique: jeux d’alliance et stratégies

Le mandat de l’alliance Lepep, ou plutôt ce qu’il en reste après le départ du PMSD en cours de route, arrive à terme en décembre de cette année. Que les élections aient lieu cette année ou l’année prochaine, 2019 marque le début de la course au prochain gouvernement. Les Law Lords qui se prononceront sur l’affaire MedPoint en seront les juges de départ. Découvrez la stratégie des uns et des autres, leurs options, leurs craintes et leurs atouts...

MSM, ML, MMM ou encore PTr : quelles sont les forces et les faiblesses de chacun ? Avec les élections générales à l’horizon, voici une analyse des différentes stratégies possibles ainsi que les jeux d’alliance…

Quitte ou double pour le MSM Si Pravind Jugnauth est trouvé coupable devant le Privy Council dans le cadre de l’affaire MedPoint, la messe sera quasiment dite pour le parti qui se retrouvera orphelin de son leader. Sir Anerood Jugnauth (SAJ) va sans doute reprendre le fauteuil de Premier ministre. Mais trop vieux pour se porter candidat – il a d’ailleurs annoncé qu’il ne serait pas dans la course aux prochaines élections – SAJ se contentera d’être un Premier ministre de transition en attendant les élections générales. Le Mouvement socialiste militant (MSM) guillotiné et complètement affaibli risquera fort de ne pas s’en remettre.

Mais ce scénario catastrophe n’est pas encore écrit. Pravind Jugnauth peut aussi bien remporter son procès à Londres. Là, c’est une tout autre histoire et c’est sur la suite à donner à cette éventuelle victoire que Pravind Jugnauth dessine sa stratégie.

Pravind Jugnauth lors d’une comparution en cour dans le cadre de l’affaire MedPoint en 2015.

Au-delà d’être revigoré, le MSM aura toutes les cartes en main. C’est lui qui sera maître du calendrier électoral, ce qui constitue un avantage concurrentiel non négligeable. Il sera aussi maître du calendrier législatif avec la loi sur la réforme électorale agissant comme parfait appât pour séduire un éventuel allié, car le MSM en position de force pourra même condamner Ivan Collendavelloo à se tailler à sa juste valeur.

Le discours de Paul Bérenger sur la loi sur la réforme électorale et les oreilles attentives de SAJ ont récemment été des signes d’une période d’apaisement entre les anciens frères Paul et Pravind avant que les deux ne se mettent à s’injurier publiquement. La surenchère a visiblement commencé. Avec un MSM requinqué tout, vraiment tout, est possible. Mais la première question que se posera Pravind Jugnauth après un retour victorieux de Londres c’est celle-ci : seul (avec le ML), sans Bérenger, sans Duval puis-je battre Ramgoolam ? Sa réponse à cette question va déterminer ses actions futures.

Forces

  • L’euphorie d’une victoire éventuelle de Pravind Jugnauth devant le Privy Council.
  • Un feel-good factor post-Jeux des îles
  • Le Metro Express, s’il résout sensiblement le problème des embouteillages
  • L’affaire des coffres-forts qui collent à Navin Ramgoolam
  • Maîtrise du calendrier électoral et législatif
  • Séduire un allié plus fort que le ML est toujours possible

Faiblesses

  • Une éventuelle défaite de Pravind Jugnauth devant le Privy Council
  • Les «family businesses» qui alimenteront la campagne des opposants
  • Une équipe gouvernementale qui traîne des dizaines de casseroles
  • Un Navin Ramgoolam éventuellement innocenté dans l’affaire des coffres-forts ou qui ne sera pas condamné à temps, soit avant les prochaines élections
  • Un Metro Express en retard ou qui n’aura pas d’effets sensibles sur les embouteillages
  • L’usure et le mécontentement populaire

Marge de manoeuvre limitée pour le ML

Le destin du Muvman Liberater (ML) est intimement lié à celui du MSM. Une condamnation de Pravind Jugnauth au Privy Council risque aussi de l’engloutir. Mais il n’est pas sûr de tirer profit d’une éventuelle victoire de Pravind Jugnauth à Londres. Le parti d’Ivan Collendavelloo dispose de très peu de marge de manoeuvre si Pravind Jugnauth se débarrasse de lui comme d’une chaussette. À un moment donné, le parti était cité comme étant l’artisan d’une prochaine alliance MSM-MMM et d’une grande réunification de la famille mauve. Mais on peut se demander si une telle démarche ne serait pas suicidaire pour le ML.

Ivan Collendavelloo a su quitter le navire mauve à temps en 2014.

Cependant, Ivan Collendavelloo n’est pas dupe. Il a su quitter le navire du MMM à temps en 2014, ce qui l’a conduit aujourd’hui au poste de n° 2 du gouvernement. Sa stratégie en 2019 devrait consister à creuser l’antagonisme entre le MSM et les autres. Mais pas sûr, quoi qu’il arrive, qu’il parvienne à négocier un nombre sensible de tickets auprès de son allié du jour.

Forces

  • Le ML dispose d’une assise au sein des instances comme le CEB et la CWA
  • Le Metro Express sera lancé dans la circonscription du leader. Si cela marche et si Metro Express Ltd recrute massivement dans la circonscription n° 19, cela peut être un «game-changer»
  • Tous les partis sont farouchement opposés à son allié. Ce qui fait de lui, un choix «faute d’autre». Ce qui n’est pas si mal pour un parti qui n’existait pas avant 2014.

Faiblesses

  • Faible pouvoir de négociation
  • Les casseroles Sobrinho et Sumputh
  • La présence de Paul Bérenger au n° 19, circonscription qui a vu l’élection de Collendavelloo en 2014
  • Ravi Rutnah

Le wagon PMSD

Xavier Duval sait que le temps n’est pas encore venu pour lui d’être la locomotive d’une alliance. Il se contentera en 2019 d’être un wagon qui n’est pas trop loin derrière. Mais la course aux wagons est aussi très dense. Le Mouvement patriotique, le ML, mais surtout le MMM sont ses principaux adversaires dans cette course de «karapat» (Ndlr, les tiques n’ont que les chiens comme moyens de locomotion. Cette métaphore est utilisée par les observateurs politiques pour comparer les «petits» partis (tiques) aux grandes locomotives (chiens).

Le parti de Xavier-Luc Duval a subi une défaite dans la circonscription de son leader.

Le Parti mauricien social démocrate (PMSD) ne s’épuisera donc pas à travailler sur une liste de 60 candidats pour les prochaines législatives. Il devra démontrer à sa «locomotive» que la dizaine – vingtaine dans le meilleur des cas – de candidats qu’il propose vont tous se faire élire. Ce n’est pas acquis, surtout que le PMSD s’est fait écraser à la partielle du n° 18 (circonscription de son leader) en 2017.

Reste à présent à trouver la locomotive. L’option PTr est la plus évidente. Mais «don’t write off» le MSM.

Forces

  • La bonne relation PTr-PMSD. Si Ramgoolam cherche un allié qui ne lui causera pas de problèmes, il regardera en direction de Duval
  • Grâce à son poste actuel de leader de l’opposition, Xavier Duval est constamment présent sur la scène politique
  • Dispose d’une certaine assise électorale dans les circonscriptions nos. 17 et 18.
  • A récemment, avec ses révélations sur la fraude au SIFB gagné la sympathie de la communauté des planteurs

Faiblesses

  • La lourde défaite à la partielle du n° 18 réduit son pouvoir de négociation
  • Semble condamné à s’allier au PTr, ce qui réduit aussi son pouvoir de négociation
  • La présence sur l’échiquier d’autres partis (MP) qui cherchent des locomotives
  • Perçu comme peu capable d’élire seul des candidats (autres qu’aux nos17 et 18)

Le paradoxe MMM

L’année 2018 a été difficile pour le Mouvement militant mauricien (MMM). L’hémorragie chez les Mauves se poursuit. Mais, paradoxalement, le MMM est peut-être dans une position idéale. Historiquement, quand le MSM et le PTr sont autant à couteaux tirés, c’est le MMM qui en profite. Paul Bérenger en est bien conscient et quand il dit à chaque coin de rue que le parti ira seul aux prochaines législatives, ce n’est peut-être pas si faux. Le MMM est peut-être le seul parti sur la scène politique actuellement à se positionner comme un joker post-électoral (pourvu que le MSM et le PTr s’entretuent).

Les Mauves ont célébré leur dîner de fin d’année le 27 décembre à Flic-en-Flac.

Avec 20 élus (très possible selon des militants qui utilisent 2010 comme référence), le MMM pourrait faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre après les élections. Le hic, c’est que le PTr et le MSM savent aussi que la «nuisance value» d’un MMM seul dans une élection où le PTr et le MSM s’affrontent sanguinairement est trop importante. Voilà pourquoi le PTr et le MSM n’ont pas encore abandonné l’idée de s’allier avec Paul Bérenger. Ce dernier en 2019 fera preuve de patience. Il ne va certainement pas contracter d’alliance avant le jugement du Privy Council dans l’affaire MedPoint. Mais être trop patient, au risque de se faire dépasser par une alliance PTr-PMSD ou MSM-PMSD, par exemple pourrait aussi être fatal à Paul Bérenger.

Forces

  • La quasi-certitude qu’il n’y aura pas d’alliance PTr-MSM
  • La base militante est certes amplement effritée, mais un vote de «sympathie» peut faire du MMM un joker post-électoral
  • A déjà présenté 60 candidats en 2010 et possède déjà la machinerie pour récidiver
  • Courtisé par le PTr et le MSM

Faiblesses

  • Le parti s’est affaibli avec les démissions de ces dernières années
  • Si le match PTr vs MSM est trop serré, le MMM risque d’être «boycotté» par les électeurs à cause de l’enjeu, annulant ainsi les éventuels votes de «sympathie»
  • Si le match PTr vs MSM est trop facile pour l’un comme pour l’autre, son rôle de joker serait caduc
  • Une alliance avec le PTr réveillerait les démons de 2014
  • Le PMSD et des anciens du MMM (Mouvement patriotique) comme concurrents dans la quête d’un partenaire
  • La crédibilité de Paul Bérenger dans les jeux d’alliance

Le PTr requinqué

Depuis le gouffre de 2015 quand éclate l’affaire des coffres-forts de Navin Ramgoolam, le PTr s’est peu à peu repris. Son leader fait certes toujours face à la justice, mais il donne l’impression d’être requinqué. Évincer les Jugnauth du pouvoir semble être devenu une obsession et 2019 sera pour lui une année critique dans sa stratégie.

Comme un chat échaudé qui craint l’eau froide, Navin Ramgoolam sait qu’aucune élection n’est jamais gagnée d’avance. Il craindrait même les effets domino d’une victoire éventuelle de Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint à Londres. Dans son message de fin d’année publié hier sur les réseaux sociaux, Navin Ramgoolam n’a même pas effleuré le sujet.. Cela démontre sa prudence. Tout en sachant qu’une condamnation éventuelle de Pravind Jugnauth lui ouvrirait une voie royale vers la reconquête du pouvoir, il sait que le revers de la médaille serait l’euphorie d’une victoire londonienne pour le MSM et le risque même que Pravind Jugnauth soit tenté par une «snap election».

Navin Ramgoolam enchaîne les comparutions en cour dans l’affaire Roches-Noires.

En fin tacticien et pour ne pas se faire surprendre, Navin Ramgoolam évalue ces jours-ci les chances du PTr dans toutes les circonscriptions, les unes après les autres. Le résultat de cette évaluation dictera son choix d’allié (le PMSD est favori, mais malgré l’amertume de 2014, le MMM l’est aussi). Affronter seul l’électorat est aussi une option pour les rouges.

Électoralement, sa promesse de «politique de rupture» n’a pas encore été expliquée et Navin Ramgoolam peut lui-même être une «liability» pour le parti. Cette année, le challenge de Navin Ramgoolam est de démontrer à la population que le PTr de 2019 n’a rien à voir avec celui de 2010 à 2014. Ce n’est pas gagné. Faute de pouvoir convaincre l’électorat, Ramgoolam risque même de se faire des adversaires au sein de son propre parti et la menace d’un coup d’État à l’intérieur même du PTr, certes moins évidente qu’en 2015, est toujours présente.

Forces

  • Donné pour mort en 2015, le parti et son leader se sont peu à peu requinqués, avec pour couronner le tout, une écrasante victoire à la partielle du n° 18.
  • Opposant direct au MSM
  • Une défaite de Pravind Jugnauth devant le Privy Council à Londres ouvrirait une voie royale vers le PMO au Parti travailliste
  • Le pire scénario (une condamnation de Navin Ramgoolam dans l’affaire des coffres-forts) ne devrait pas intervenir avant la tenue des élections générales.
  • Perçu comme pouvant présenter 60 candidats, ce qui va forcément réduire l’appétit de ses futurs alliés en termes d’investitures
  • Tout ce que l’on retrouve dans la section «faiblesses» du MSM

Faiblesses

  • N’a pas encore convaincu avec sa politique de «rupture» annoncée mais pas expliquée
  • Les casseroles Roches-Noires et les coffres-forts du leader
  • Le traumatisme de 2014 est toujours présent. Le PTr hésite ainsi à se jeter dans les bras du MMM
  • Le PTr n’est pas à l’abri de la conclusion d’une alliance MSM-MMM, ou MSM-PMSD
  • Le risque que devant la perception que son leader est une «liability», le parti connaisse des démissions et qu’une fronde s’organise
  • Tout ce que l’on retrouve dans la section «forces» du MSM
  • Navin Ramgoolam a fait de sa guerre contre les Jugnauth, une affaire personnelle. Les émotions dans une guerre sont souvent nuisibles à la stratégie.