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Le combat de Japonais déchus de leur nationalité

23 décembre 2018, 14:10

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Le combat de Japonais déchus de leur nationalité

Au moment de passer l’immigration à l’aéroport de Tokyo, Yuki Shiraishi hésite entre honte et gêne. Tandis que ses parents avancent dans la file des nationaux, elle, coincée au milieu des touristes étrangers, s’efforce de dissimuler son passeport suisse.

Elle ne se sent pas la bienvenue dans sa patrie d’origine, et pour cause: le Japon l’a déchue de sa nationalité pour en avoir acquis une autre.

Le débat sur l’interdiction de la double nationalité a récemment ressurgi avec la soudaine notoriété de la championne de tennis Naomi Osaka, qui court sous les couleurs du drapeau nippon mais a grandi aux Etats-Unis dont elle a acquis la nationalité.

Légalement, elle devra faire un choix avant l’âge de 22 ans, à moins que, compte tenu de son statut, les autorités ne ferment les yeux sur la possession de deux passeports.

Aujourd’hui âgée de 34 ans, Yuki Shiraishi se bat pour changer les choses: elle a déposé en mars, aux côtés de sept autres personnes, une plainte contre le gouvernement japonais.

Ses deux parents travaillant pour des organismes internationaux, Yuki Shiraishi est née et a grandi en Suisse.

Peu avant ses 16 ans, elle prend, sur leurs conseils, la nationalité de son pays de résidence pour faciliter ses démarches de la vie quotidienne. Et ce n’est qu’au moment de se rendre au Japon pour un séjour universitaire, six ans plus tard, que la jeune fille prend conscience de ce que cette décision implique.

- Une loi obsolète -

Avant de rejoindre l’archipel, son père, juriste de profession, lui enjoint de restituer son passeport japonais. «Pour lui, il n’était pas question que je vive cachée, dans l’illégalité par rapport aux lois japonaises, en détenant deux passeports en secret».

«Je me suis rendue toute seule au consulat», se remémore la jeune femme, «et c’est là que j’ai réalisé que, sans vraiment de raison, on me rejetait, on me coupait de mon pays alors que je suis née avec la nationalité japonaise, que mes deux parents sont japonais et que j’ai quand même des liens très concrets avec le Japon», raconte-t-elle avec émotion.

Même au Japon, son nom de famille ne s’écrit plus dès lors en kanji (idéogrammes), mais avec des caractères de syllabaire pour les mots étrangers. «J’ai fait semblant de dire que ce n’était qu’une chose administrative, mais en fait la blessure reste», confie-t-elle.

«Le Japon s’est fermé aux autres nations pendant environ 250 ans, et les législateurs de l’époque n’imaginaient pas que des Japonais iraient un jour travailler à l’étranger», explique Hitoshi Nogawa, le plaignant principal du groupe.

L’homme de 75 ans, qui a perdu sa nationalité japonaise après avoir obtenu un passeport suisse pour les besoins de son travail, fustige aujourd’hui une loi obsolète qui date de 1950, et qui est même basée sur un texte de la fin du 19e siècle.

Le Japon fait partie d’une cinquantaine de pays dans le monde à n’accepter qu’une seule appartenance nationale. En Asie, la Chine et la Corée du Sud sont aussi dans ce cas.

- «Nation d’un seul peuple» -

Contacté par l’AFP, le département chargé des questions portant sur la nationalité au ministère de la Justice n’a pas souhaité faire de commentaires «parce que cela pourrait interférer avec l’affaire en cours». Mais il a tenu à rappeler que cette loi ne constituait pas uniquement une obligation, mais aussi une liberté: celle de pouvoir abandonner la nationalité japonaise.

Shiki Tomimasu, l’avocat du groupe, dénonce une application arbitraire de la loi: «tout repose sur une déclaration personnelle donc, à moins qu’un individu ne déclare qu’il a une double nationalité, le gouvernement ne s’en rendra pas compte», dit-il.

Le texte stipule qu’une personne qui n’a pas choisi sa nationalité dans les temps recevra une notification lui intimant de faire son choix dans un délai d’un mois au risque de se voir retirer d’office sa nationalité japonaise, mais le ministère de la Justice avoue n’avoir jamais envoyé un tel avertissement.

Il évalue à 890.000 le nombre de personnes susceptibles de posséder une double citoyenneté, selon les données consignées dans les livrets familiaux entre 1985 et 2016.

Pour Atsushi Kondo, professeur de droit à l’université de Meijo près de Nagoya, la raison pour laquelle le gouvernement ne souhaite pas changer la loi malgré son incapacité à l’appliquer est que «la majorité de la population veut que la Japon reste la nation d’un seul peuple et cela est peut-être aussi lié à l’idée que nous ne souhaitons pas devenir un pays d’immigration».