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Agriculture: King Sugar est mort, vive la canne

26 septembre 2018, 23:42

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Agriculture: King Sugar est mort, vive la canne

La survie de l’industrie sucrière est-elle menacée ? À terme, faut-il mettre une croix sur son existence ? La question fait débat actuellement après le constat dressé par des experts de ce secteur et l’état des lieux réalisé par le comité conjoint gouvernement/secteur privé du tandem Raj Makoond/Vishnu Condeah. C’est un nouveau modèle qui se dessine. Le King Sugar est visiblement mort…

À Rs 9 700 la tonne en 2018, c’est carrément la crise pour les sucriers, plus particulièrement les petits planteurs qui ne savent pas à quel saint se vouer (voir texte plus loin).«Ce prix est le plus bas enregistré depuis la grande réforme sucrière de 2009. De Rs 15 500 la tonne en 2016, le prix a chuté à Rs 10 717 l’année dernière. Une situation à mettre sur le compte des distorsions de prix sur le marché européen et un renchérissement des coûts de production localement», analyse Heymant Sonoo, gros planteur et nouveau président du Syndicat des sucres.

En fait, les spécialistes sont catégoriques. C’est la libéralisation des quotas en Europe qui a dopé la production de sucre sur ce marché, exerçant une forte pression sur le prix. Avec pour résultat qu’il est devenu difficile pour Maurice de décrocher un meilleur deal pour la vente de son sucre. Une situation qui s’ajoute à l’étroitesse du marché domestique qui ne représente que 10 % de sa production.

Les différents partenaires réclament une série de mesures permettant à ce secteur d’être plus compétitif et de pouvoir s’adapter à un marché en pleine mutation. «Il nous faut non seulement valoriser le sucre, mais aussi ses sous-produits»,

laissent entendre les producteurs. Qui se demandent si ce n’est pas l’heure de chercher de nouveaux marchés. Ils s’appuient sur le fait que Maurice fait partie de deux groupes économiques régionaux importants, la SADC et le COMESA, où les produits peuvent être exportés sans restrictions tarifaires.

Jacques d’Unienville, CEO du groupe Omnicane, partage cet avis, soulignant qu’il existe un marché pour le sucre blanc qui est confronté à des nouveaux défis sur le marché européen. «En Europe, il y a encore des marchés porteurs pour les sucres spéciaux alors que dans la région il existe un manque de sucre blanc. Toutefois, dans des pays de la région, il y a des barrières tarifaires qui rendent difficile l’accès à ces marchés qu’il faudra régler.»

Et d’ajouter que le problème qu’on rencontre à Maurice est qu’on exporte plus de 90 % de la production sucrière, un marché sur lequel le pays n’a pas de contrôle. «Or, nous n’avons pas de filet de protection car notre marché domestique est tellement petit qu’on ne peut en dépendre pour sa survie. Ce qui n’est pas le cas pour les gros producteurs sucriers, qui ont d’immenses marchés domestiques.»

Une alternative pour soulager financièrement les petits planteurs serait d’augmenter la rémunération de la bagasse utilisée pour la production d’électricité à un prix équivalant à celui du charbon (voir hors texte). Comme la distillerie d’Omnicane qui peut produire jusqu’à 24 millions de litres de bioéthanol par an, dépendant du volume de mélasse traité.

En 2016, la distillerie a produit 18,6 millions de litres de bioéthanol à partir de 70 693 tonnes de mélasse. Celui-ci est destiné majoritairement au marché sud-africain.

Aujourd’hui comme hier, l’industrie sucrière est confrontée à d’énormes défis et où, après 50 ans d’indépendance, le King Sugar qu’on a connu dans les années 70 et 80 n’est plus. Il a été détrôné au profit de l’émergence d’autres piliers économiques. Le CEO du Syndicat des sucres, Devesh Dukhira, qui se livre dans une interview (voir plus loin) sur les nouveaux enjeux de ce secteur, reconnaît l’apport de cette industrie au développement économique et social du pays. Il a évolué, dit-il, avec son temps et a connu plusieurs phases de restructuration. «Cette industrie a aujourd’hui une configuration qui lui permet de vivre et de subir la concurrence internationale dans de meilleures conditions.»

Certes, en 50 ans, ce secteur a connu une transformation complète. En 1968, l’industrie sucrière employait directement et indirectement 45,3 % de la population active. La culture de la canne s’étalait, de son côté, sur une superficie de 85 895 hectares alors que la production sucrière était assurée par plus d’une vingtaine d’usines réparties à travers le pays. La contribution du sucre au PIB représentait quelque 27,6 %. Aujourd’hui, son poids économique est de 0,72 % au PIB et sa main-d’œuvre en nette baisse à environ 13 800.

Il faudra remonter aux années 70 pour être le témoin d’un accroissement de surface et de production lié à une augmentation des cours du sucre sur le marché mondial.

Cette période connue comme le boom sucrier connaîtra un pic de production de 720 000 tonnes en 1973. Une situation qui contraste singulièrement avec celle d’aujourd’hui où la production de 2017/2018 s’élevait à 354 782 tonnes de sucre pour 3,71 mil- lions de tonnes de canne broyées. Un chiffre qui vient confirmer la baisse de la production au fil des années, notamment un abandon inquiétant de la culture de la canne par des petits et moyens planteurs en nombre grandissant. La superficie s’est rétrécie d’ailleurs de 1 000 hectares. Quinze ans plus tôt, elle s’élevait à 75 000 hectares.

«Pour maintenir notre niveau de production et assurer la viabilité des quatre principaux groupes sucriers, il faut une masse critique en termes de tonnage de canne. Or, une superficie de 50 000 hectares représentant un tiers de la surface des terres du pays et assurant une production de 400 000 tonnes métriques n’est pas négligeable par rapport à notre taille», soutient le patron de l’unique institution chargée du marketing du sucre à Maurice.

La chute des cours du sucre sur le marché mondial, la réduction de la récolte et des surfaces sous culture de la canne sont autant de défis qui demeurent d’actualité et que l’ensemble des stakeholders doit confronter et prendre des mesures concrètes, laissant de côté les vieux clichés et les réflexes archaïques et dépassés.

 

Gunraj Maharahaje abandonne 12 arpents de canne

<p style="text-align: justify;">Cela fait plus de 50 ans qu&rsquo;il s&rsquo;occupe des champs de canne. C&rsquo;est un business familial mais qui meurt à petit feu. Gunraj Maharahaje ne veut plus poursuivre la culture de la canne. Cette année, il a décidé de laisser à l&rsquo;abandon ses 12 arpents situés à Camp-des-Embrevades. C&rsquo;est environ 400 tonnes de canne qui sont à l&rsquo;abandon à Pamplemousses. S&rsquo;il poursuit avec la récolte, c&rsquo;est de sa poche qu&rsquo;il doit tirer l&rsquo;argent, car la canne n&rsquo;est plus viable, dit-il. &laquo;Kifer mo bizin al tir kas dan mo pos, vo mié mo less li dan karo.&raquo; Si autrefois cet habitant de Quatre-Bornes venait rendre visite à ses champs de canne au moins quatre fois par semaine, aujourd&rsquo;hui, il ne s&rsquo;y rend qu&rsquo;une fois par quinzaine ou une fois toutes les trois semaines. Gunraj Maharahaje nous détaille ce qu&rsquo;il faut investir sur un arpent sous culture de la canne aujourd&rsquo;hui.</p>

Préparer la terre avec l’aide de la Mauritius Cane Industry Authority (machine louée à Rs 600/ heure) : Rs 12 000

<p style="text-align: justify;">Préparer les fossés : Rs 6 000</p>

<p style="text-align: justify;">Fertilisants au début : Rs 7 000</p>

<p style="text-align: justify;">Herbicide : Rs 6 000 Dépaillage : Rs 6 000</p>

<p style="text-align: justify;">Récolte incluant transport : Rs 18 000 (pour environ 35 tonnes de canne, soit 2,25 tonnes de sucre)</p>

<p style="text-align: justify;">Le coût total s&rsquo;élève à Rs 55 000, sans oublier le paiement d&rsquo;une prime d&rsquo;assurance</p>

<p style="text-align: justify;">Recettes obtenues : environ Rs 35 000. Il est vrai que pour cultiver la canne sur une plus longue période il faut déduire les premières dépenses, comme la préparation des terres.</p>

<p style="text-align: justify;">Gunraj Maharahaje explique qu&rsquo;il y a aussi le problème de main-d&rsquo;œuvre. &laquo;Même pour offrir Rs 250 par tonne de canne, on ne trouve pas des coupeurs.&raquo;</p>

Recettes sucrières

<p style="text-align: justify;">2014 : 404 713 tonnes Rs 9,136 milliards</p>

<p style="text-align: justify;">2015 : 400 173 tonnes Rs 6,668 milliards</p>

<p style="text-align: justify;">2015 : 366 070 tonnes Rs 6,994 milliards</p>

<p style="text-align: justify;">2016 : 386 277 tonnes Rs 9,075 milliards</p>

<p style="text-align: justify;">2018 : 354 000 tonnes Rs 7 milliards (estimation).</p>

Un saut quantique est nécessaire, selon René Leclézio du groupe Médine

<p style="text-align: justify;">&laquo;La seule façon d&rsquo;avancer est d&rsquo;avoir une compagnie nationale, le &lsquo;Mauritius Sugar&rsquo;&raquo;, soutient René Leclézio dans le rapport annuel de 2017 du groupe Médine. &laquo;Mauritius Sugar appartiendrait au Sugar Investment Trust à hauteur de 20 %, le reste des actions étant détenues par Terra, Omnicane, Alteo et Médine. La culture de la canne est trop importante à Maurice pour la préservation de l&rsquo;environnement. Un saut quantique est nécessaire pour transformer cette industrie compliquée&raquo;, dit-il.</p>

La canne et ses sous-produits

<p style="text-align: justify;">Sous culture : 50 000 hectares</p>

<p style="text-align: justify;">Cannes : 4 000 000 tonnes</p>

<p style="text-align: justify;">Sucre : 400 000 tonnes</p>

<p style="text-align: justify;">Bagasse : 1,2 million tonnes</p>

<p style="text-align: justify;">Mélasse : 133 000 tonnes</p>

<p style="text-align: justify;">Planteurs : 13 000 représentent 20 % de la production cannière. Chaque année on prévoit une réduction d&rsquo;un millier d&rsquo;hectares.</p>

 

Propositions

<h3 style="text-align: justify;">Salil Roy : &laquo;Encore viable&raquo;</h3>

<p style="text-align: justify;">Président de la Planters Reform Association (PRA), Salil Roy estime que la culture de la canne est encore rentable. Mais il faut une redistribution concernant les recettes obtenues des sous-produits. Il ajoute que la canne produit de l&rsquo;énergie propre et que la plantation est un atout pour notre écosystème. Avec la canne, dit-il, rien n&rsquo;est jeté et avec la paille on peut même produire du plastique. Avec la décision de la Chine d&rsquo;acquérir 50 000 tonnes de sucres spéciaux, l&rsquo;avenir est plutôt bon, estime Salil Roy. &laquo;Mais avec une réforme en profondeur et surtout une révision des prix</p>

<p style="text-align: justify;">accordés aux sous-produits, la culture de la canne a encore de l&rsquo;avenir.&raquo;</p>

<p style="text-align: justify;">&nbsp;</p>

<p style="text-align: justify;">Kailash Ramdharry : &laquo;Revoir le paiement des sous-produits&raquo;Kailash Ramdharry, président des coopératives de Grand-Sable, demande au gouvernement de revoir le mécanisme de paiement des sous-produits de la canne. Il dit ne pas comprendre comment les planteurs obtiennent Rs 2 147 par tonne de mélasse alors qu&rsquo;une compagnie trouve moyen d&rsquo;obtenir Rs 8 000 pour la vente de la mélasse à l&rsquo;étranger. Concernant la bagasse, il explique que le gouvernement vient d&rsquo;accorder une somme de Rs 2 500 par tonne de sucre. Or, dit-il si on tient compte du coût du charbon, les planteurs auraient dû obtenir plus. En effet, il faut trois tonnes de bagasse pour une tonne de charbon, dont le coût est de Rs 4 500 la tonne. Et si on divise ce chiffre par trois, les planteurs auraient dû obtenir Rs 1 500 par tonne de canne contre Rs 125 actuellement.</p>