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Rama Sithanen sur la réforme électorale: «L’objectif de la refonte est faussé»

22 septembre 2018, 19:45

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Rama Sithanen sur la réforme électorale: «L’objectif de la refonte est faussé»

L’expert en systèmes électoraux, Rama Sithanen, ancien ministre et auteur du document Roadmap for a better balance between stability and fairness in the voting formula, rendu public en janvier 2012, nous livre ses commentaires après la publication des propositions du gouvernement sur la réforme électorale, vendredi 21 septembre. «Mon analyse, dit Rama Sithanen, se décline en quatre points : le positif, le très très mauvais, les améliorations à apporter et les omissions.»

Le positif

• Propositions. Le gouvernement est revenu avec des propositions et non avec un draft Bill. Ce qui veut dire qu’il est ouvert aux débats et aux négociations car, nous le savons bien, dans l’état actuel des choses, ce projet de loi n’aura pas la majorité pour le faire adopter. Donc, les propositions sont «start of a process and not the end of it».

 

First Past The Post. Ce qui est positif, c’est ce que le First Past The Post (FPTP) demeure le socle de notre système électoral, avec le maintien des 21 circonscriptions et les trois députés par circonscription. 63 élus sous le FPTP garantiront la stabilité du parti sorti victorieux des urnes.

• Le seuil de 10 % pour la proportionnelle. Bien que j’ai eu une sympathie pour les partis qui souhaitaient un seuil plus bas, cela aurait comporté des risques de fragmentation et d’atteinte à la cohésion sociale, avec la possibilité de voir entrer au Parlement des partis extrémistes ou religieux.

• Élimination de la déclaration ethnique. Je suis satisfait avec le choix du gouvernement pour que les candidats n’aient plus l’obligation de déclarer leur appartenance ethnique. Revenir avec le recensement ethnique aurait ouvert la boîte de Pandore, avec le risque d’une balkanisation du pays.

Les améliorations à apporter

• Représentativité féminine. Au lieu de placer 30 % de femmes sur la liste des candidats, il serait nettement mieux de revenir avec la formule adoptée pendant les municipales. Cela veut dire une femme dans chaque circonscription, pour éviter que ces candidates soient «fielded in nonwinnable constituencies». Dans les deux situations, que ce soit 30 % de femmes sur la liste de candidats et une femme par circonscription, le nombre de candidates restera pareil.

Loi sur le transfugisme. Au nom de la moralisation de la vie publique, la loi anti défection aurait également dû concerner les élus sous le FPTP. Mais je conçois qu’il y ait un débat sur la question, vu que les députés sous le FPTP aient été élus nominalement. Alors que les voix pour la représentation proportionnelle (RP) et les Best Loser Seats (BLS) sont destinés au parti. «Ce qui appartient aux partis doit retourner aux partis.» Tous les députés sous le système RP et BLS doivent automatiquement perdre leur siège en cas de «crossing the floor». Le siège du transfuge doit ensuite retourner au parti.

Le très très mauvais

Objectif de la réforme faussé. L’objectif de la réforme électorale était de réduire l’écart entre le nombre de voix et de sièges obtenus surtout avec l’introduction d’une dose de proportionnelle. Or, avec ce que propose le gouvernement, ce ne sera pas le cas (voir tableau). Dans certains cas de figure, l’inégalité pourrait même s’aggraver. Pourquoi venir de l’avant avec 18 sièges additionnels ? Ce sera un «waste of public funds» si le but n’est pas de réduire le déficit démocratique.

Méthode parallèle. La méthode parallèle a été rejetée par des éminents experts comme Sachs, Tandon et même Collendavelloo. C’est la pire méthode pour désigner les élus sous la proportionnelle car le parti qui gagnera le plus grand nombre de sièges sous le FPTP obtiendra également plus de sièges sous la RP. Avec la formule proposée par le gouvernement, le problème d’écart va s’amplifier.

Risque de sous-représentation. La Constitution de Maurice prévoit une fair and adequate representation de toutes les communautés au Parlement. Avec l’élimination du Best Loser System, deux garanties fondamentales disparaissent. C’est-à-dire la garantie constitutionnelle et le «safeguard» institutionnel où l’Electoral Supervisory Commission procédait aux nominations de façon transparente et apolitique.

Ce qu’on propose est un retour aux pratiques coloniales qui avaient été décriées dans le passé. Désormais, ce sera aux leaders politiques de choisir les élus de manière discrétionnaire, arbitraire et personnelle, «get figir dimounn». Avec ce qui est proposé, il y a des risques qu’il y ait une sous-représentation de certaines composantes de la société, par rapport à ce qu’ils ont actuellement avec le système de Best Loser.

Les omissions

Quel set of votes utiliser ? Va-ton autoriser deux sets of votes ou un seul ? Le gouvernement ne précise pas si ce sera 3 par électeur par circonscription, à Maurice, et 2 à Rodrigues, comme c’est le cas actuellement pour l’élection des 62 députés selon le FPTP.

• Quota de femmes au Conseil des ministres. Il ne faut pas qu’il y ait 30 % de femmes sur la liste de candidats mais il faudrait aussi qu’il y a un tiers de femmes présentes au Conseil des ministres. Cela, pour qu’elles puissent participer à la plus haute instance décisionnelle du pays car elles sont plus de 50 % de la population et ne sont que 8 % au sein du cabinet actuellement. Comme l’a dit le Premier ministre canadien, «the government should look more like the country itself».

Ce qui change avec la proposition gouvernementale

First Past The Post : 63 députés

Pour Maurice, le nombre de députés élus reste à 60. Un changement interviendra uniquement à Rodrigues où il y aura trois élus au lieu de deux.

Représentation proportionnelle (PR) : 12 sièges

Il y aura douze sièges au niveau de la PR. Pour être éligible à un siège, un parti politique ou une alliance doit au minimum recueillir 10 % des voix exprimées sur l’ensemble des 20 circonscriptions. De plus, un parti doit au moins faire élire un candidat pour être éligible à un siège sous le système de PR.

Chaque parti devra – pas plus de deux jours après l’exercice du retrait des candidats suivant le Nomination Day –, soumettre une party list d’un maximum de 24 candidats par ordre de préséance. Pas plus de deux candidats successifs sur cette liste doivent être du même sexe.

Entre six et dix «Best Loser Seats»

Plus de Best Loser System. À la place, les Best Loser Seats. C’est le leader qui sera appelé à choisir les députés correctifs, soit à partir d’une liste des candidats battus, soit de la liste de PR. L’objectif est de garantir que l’écart des sièges entre les vainqueurs sous le First Past the Post (FPTP) et les autres partis participant aux élections soit maintenu.

Si après l’allocation de six sièges sous le Best Losers la majorité n’est pas rétablie, un autre nombre de sièges sera alloué jusqu’à un maximum de dix.

Mesure anti-transfuge

Le projet de loi de la réforme électorale comprendra une mesure antitransfuge. Un membre ayant obtenu un siège sous le PR n’aura pas le droit de rejoindre un autre parti. Au cas contraire, son siège sera déclaré vacant. Il sera remplacé par un autre candidat sur la liste de PR.

Dans l’éventualité que ce soit un groupe d’au moins cinq nominés sous le PR qui quitte un parti, les sièges de ces derniers ne seront pas déclarés vacants.

Au sein d’une alliance, si au moins cinq membres d’un parti démissionnent du gouvernement, ceux qui décident de rester pourront le faire sous les couleurs du parti avec lequel ils ont été élus.

Un Parlement avec 81 députés

Il y a encore de la place au sein de notre hémicycle. Si le projet de loi sur la réforme électorale est adopté par au moins 52 députés, le prochain Parlement comprendra, au minimum, 81 députés. Sauf que dans des rares circonstances – et cela pour rétablir la majorité acquise par un parti ou une alliance –, le nombre pourrait passer tout au plus à 85.