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Blanchiment d’argent: quel impact économique l’argent sale a-t-il sur le pays ?

30 août 2018, 00:30

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Blanchiment d’argent: quel impact économique l’argent sale a-t-il sur le pays ?

Si la Mauritius Revenue Authority (MRA) estime la valeur des activités de l’économie informelle à Rs 35 milliards, le montant pour- rait être bien plus élevé. L’économie parallèle pèserait en effet un tiers de notre produit intérieur brut (pib), soit environ Rs 150 milliards. Une somme conséquente au vu de la petite taille de notre marché et un manque à gagner important pour notre économie. Ces Rs 150 milliards englobent à la fois des activités dites ‘légales’ mais qui se pratiquent dans l’illégalité comme le commerce des marchands ambulants ainsi que les activités ou- vertement illicites comme le trafic de drogue. Bien qu’il soit sous cou- vert, l’impact des activités clan- destines sur l’économie n’en est pas moins dramatique. Celles-ci entraînent en effet un dysfonctionnement du système financier et un manque à gagner énorme pour l’État. Parmi les principaux acteurs de cet écosystème économique souterrain, l’on retrouve à la fois des marchands ambulants, des chauffeurs de taxis marrons, des enseignants qui offrent des leçons particulières non-déclarées au fisc, des petits dealers, des grands trafiquants de drogue ou encore des propriétaires d’ateliers mécaniques pour n’en citer que quelques-uns. Des activités qui sont étroitement liées au blanchiment d’argent, notamment le trafic de drogue.

Projet «long overdue»

La solution pour contrer ce problème, voire dissuader les commerces clandestins et illicites se trouve-t-elle dans la création d’une nouvelle famille de billets? «Oui» à en croire l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Ramesh Basant Roi. Il s’exprimait récemment sur les ondes d’une radio privée à ce propos. Il avait d’ailleurs évoqué ce projet quand il était en fonction à la Banque centrale en 2016. Initiative qui n’a finalement pas abouti suivant le refus du Premier ministre et ministre des Finances à l’époque. Tout comme lui, Dan Maraye, également ex-gouverneur de la Banque centrale, se prononce pour l’impression d’une nouvelle famille de billets de banque. Un projet «long overdue» selon lui.

Cette mesure suffirait-elle pour contrer le blanchiment d’argent ? Devrons-nous emboîter le pas à l’Inde et démonétiser une partie des coupures du jour au lendemain? (voir plus loin). Pour l’avocat d’affaires Penny Hack, si cette mesure serait la bienvenue, son impact dans la lutte contre le commerce illicite s’inscrirait surtout dans le court terme. «Si vous prenez le cas des trafiquants de drogue, par exemple, l’argent qu’ils auront perdu après une éventuelle démonétisation, ils le récupéreront en l’espace de quelques mois. Car n’ou- blions pas que leurs affaires vont se poursuivre», explique-t-il.

Quant à répliquer à ce qu’a fait la Grande péninsule, l’avocat d’affaires tient à faire la distinction entre une grande économie comme celle de l’Inde et une insulaire, comme celle de Maurice. «Avec les proportions extraordinaires qu’avait prises la corruption dans le pays, je pense que le gouvernement indien n’avait peut-être pas d’autre choix que d’avoir recours à une telle mesure. Mais on ne peut compa- rer Maurice, avec sa population de 1,3 million d’habitants, au géant indien», avance Penny Hack.

Qu’est-ce que le ‘Black Money’ et le ‘Grey Money’ ?

<p><strong>&lsquo;Black Money&rsquo;</strong> ou encore &lsquo;Grey Money&rsquo;, autant de termes qui reviennent souvent lorsque l&rsquo;on parle d&rsquo;économie parallèle ou de commerce illicite. Que veulent-ils dire ? Comment se distinguent-ils ? Éclairage. Black Money ou &lsquo;argent sale&rsquo; comprend l&rsquo;argent qui découle d&rsquo;activités issues du marché noir, donc non régulées ou taxées par le gouvernement. Dans la pratique, cet argent est généralement engran- gé cash et dépensé dans l&rsquo;économie souterraine. Les sources les plus communes de &lsquo;black money&rsquo; dans le monde sont le trafic de drogue, le trafic d&rsquo;armes, la prostitution ou encore la vente d&rsquo;objets volés ou des produits contrefaits. Avec l&rsquo;avènement de la monnaie virtuelle, une bonne partie du &lsquo;black money&rsquo; s&rsquo;échange aussi sur des sites illégaux sur internet. La monnaie issue d&rsquo;évasions fiscales fait aussi partie de &lsquo;l&rsquo;argent sale&rsquo;, bien qu&rsquo;elle soit surtout appelée &lsquo;grey money&rsquo;.</p>

<p><strong>Grey Money</strong>. Il s&rsquo;agit ici de monnaies issues d&rsquo;activités a priori légales mais qui ne sont pas taxées. Elles s&rsquo;apparentent surtout à l&rsquo;évasion fiscale. Quand une entreprise choisit délibérément de dévier une partie de ses fonds vers des comptes offshore pour ne pas payer le fisc, l&rsquo;on peut parler de &lsquo;grey money&rsquo;. Toutefois, cette définition suscite le débat car certaines sociétés ne font que profiter des avantages qu&rsquo;offrent des traités fiscaux (comme ceux de non-double imposition), ce qui, au dire de Penny Hack, est tout à fait légal mais pas forcément &laquo;moral&raquo; pour certains. À savoir que le &lsquo;marché gris&rsquo; se distingue du marché noir, le dernier étant uniquement des activités illégales opérant via des canaux illégaux.</p>

Historique de la monnaie locale Pour donner le change

  • Avant 1877 : le dollar mauricien a eu cours pendant plus de 25 ans.
  • 1877: Mise en circulation des premières roupies mauriciennes. C’est un an après que la roupie est devenue l’unité monétaire nationale. Les pièces portent l’effigie des souverains britanniques. Les roupies mauriciennes sont fabriquées par le Royal Mint et l’imprimeur de billets est la société britannique De La Rue Ltd.
  • Au 19e siècle : la piastre Decaen est la seule pièce conçue et fabriquée à Maurice. Certains domaines sucriers ont leur propre monnaie, qui n’a aucune valeur hors de leurs murs. 
  • 1967 : La Banque de Maurice émet sa première série de billets. Elle est à l’effigie de la reine Elizabeth II. Elle est le chef de l’État jusqu’à l’avènement de la République en 1992.
  • 1985 : La Banque de Maurice élargit la gamme de billets. Aux coupures de Rs 5, Rs 10, Rs 25 et Rs 50 viennent s’ajouter les billets de Rs 100, Rs 500 et Rs 1 000. Apparaît aussi le billet de Rs 200 à l’effigie de sir Seewoosagur Ramgoolam.
  • 1990 : Le billet de Rs 1 000 à l’effigie de sir Veerasamy Ringadoo est lancé. Il sera plus tard remplacé par l’effigie de sir Gaëtan Duval.
  • 1992 : Le billet de Rs 20 avec le visage de lady Jugnauth est lancé. Le PM de l’époque, concèdera qu’il s’agissait d’une erreur. Ces coupures seront graduellement retirées de la circulation en 1996.
  • 1998 : La Banque de Maurice inverse les inscriptions tamoule et hindi sur les coupures. Le tamoul passe au second plan. Des centaines de personnes manifesteront leur colère dans la rue. L’ordre initial sera rétabli sur les billets.
  • 2013 : Introduction des billets en polymère. Il s’agit des coupures de Rs 25, Rs 50 et Rs 500, qui sont utilisées conjointement avec les billets existants. L’objectif est d’avoir des billets plus durables, donc plus rentables, tout en réduisant les risques de contrefaçon. 
  • 2016 : La Banque de Maurice institue un comité pour décider de ce qui figurera sur une nouvelle famille de billets. Le processus est gelé la même année.

L’Inde balance ses billets

<p>&nbsp;Le 8 novembre 2016, du jour au lendemain, le Premier ministre indien Narendra Modi annonce que les plus grosses coupures de la monnaie indienne sont démo- nétisées. Une décision qui fait encore débat aujourd&rsquo;hui mais qui n&rsquo;empêche avait pour but de rendre inutilisable l&rsquo;argent de source illicite.</p>

<p>La mesure est décrite par beaucoup comme une des dé- cisions les plus importantes de Narendra Modi. Elle s&rsquo;inscrit dans une série de mesures qui a pour but d&rsquo;éliminer la corruption, l&rsquo;évasion fiscale et toute accumu- lation d&rsquo;argent de source illicite. En démonétisant du jour au lendemain, le Premier ministre indien espérait que ceux qui avaient amassé de l&rsquo;argent illicite en cash ne pourraient le changer pour les nouveaux billets.</p>

<p>Le <em>&laquo;move&raquo; </em>de Narendra Modi n&rsquo;a, cependant, pas été sans conséquence. Durant les quelques mois qui ont suivi le changement, les secteurs auto mobile ou encore immobilier - ont pris un sale coup. Le secteur manufacturier a aussi vu son activité diminuer. En effet, l&rsquo;Inde est un des pays au monde où l&rsquo;argent liquide est le plus utilisé. De plus, les scènes en attendant de changer les coupures étaient chaotiques. Les ATM ont aussi dû être changées. Pour les parties prenantes indiennes, il se pourrait que cette mesure ait fait plus de mal que de bien. Et ce, puisqu&rsquo;ils suspectent qu&rsquo;une somme minime issue de source illicite est constituée de liquidités.</p>