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Salaires des patrons: faut-il imposer une limite?

1 août 2018, 21:30

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Salaires des patrons: faut-il imposer une limite?

Le constat : avec des rémunérations tutoyant parfois le million de roupies par mois, certains CEO du secteur privé mauricien – notamment dans le secteur financier et les conglomérats – n’ont vraiment pas de mal à boucler leurs fins de mois. Reste que, avec l’introduction du salaire minimum pour les employés au bas de l’échelle, qu’en est-il des rémunérations que certains jugent exorbitantes dans le privé ?

À l’heure où l’on parle de nécessité de réduire les inégalités salariales, on peut s’interroger sur la pertinence d’une éventuelle limitation des salaires des grands patrons, à travers l’introduction d’un salaire maximum ou d’un «wages ratio». Défenseur du ratio salarial, Reeaz Chuttoo, porte-parole de la Confédération des travailleurs des secteurs privé et public prône l’introduction de ce système à Maurice.

En particulier, dit-il, pour les entreprises cotées à la Stock Exchange of Mauritius. «Pour les banques surtout où certains CEO sont surpayés et cela n’aide pas à réduire l’écart entre riches et pauvres», poursuit Reaz Chuttoo.

Aux États-Unis, temple du capitalisme, l’idée a fait son chemin et le ratio salarial a été introduit. C’est quoi ce concept ? Tout simplement un ratio de 1:20, 1:30 ou 1:50 selon le type d’entreprise – plus particulièrement une firme cotée en bourse –, un dirigeant ne peut toucher 20, 30 ou 50 fois plus que le salaire moyen/médian des employés types de l’entreprise.

Ce ratio peut évoluer d’un pays à l’autre. Aux États-Unis, il est de 1:50. Selon certains observateurs, il est clair qu’un tel système introduirait une certaine équité salariale. Toutefois, dans le secteur privé mauricien, on est assez frileux face à cette éventualité, d’autant plus que certains patrons refusent de divulguer leur rémunération annuelle, comme prôné dans le Code de bonne gouvernance. Aucune loi n’oblige les grandes entreprises à divulguer la rémunération de leur CEO. De ce fait, certains salaires sont gardés secrets.

«En Californie, par exemple, il y a même une loi qui s’applique si l’entreprise ne respecte pas ce ratio de 1:50. Si cela s’avère, elle doit payer une taxe», explique Reaz Chuttoo.

«Dans le secteur financier, les banques, etc., les CEO sont nettement mieux payés car leur métier et la somme de responsabilités et de risques pesant sur leurs épaules sont énormes. Dans ces cas-là, leurs CEO doivent être rétribués en tenant compte de ces facteurs.»

Toutefois, au dire d’un CEO du privé, qui souhaite garder l’anonymat, «c’est très arbitraire de venir décider du jour au lendemain d’un ratio de 1:20 ou de 1:50 pour les CEO». En outre, «je ne crois pas que nous pourrions adopter le même ratio pour tous les secteurs économiques, qui sont très différents les uns des autres. Par exemple, dans le secteur financier, les banques, etc., les CEO sont nettement mieux payés car leur métier et la somme de responsabilités et de risques pesant sur leurs épaules sont énormes. Dans ces cas-là, leurs CEO doivent être rétribués en tenant compte de ces facteurs», explique-t-il.

Bottant en touche, il souligne qu’il ne faut pas croire que les salaires exorbitants sont uniquement dans le privé, égratignant au passage ceux qui ont fait la une des journaux, notamment Vijaya Samputh, avec Rs 300 000/mois à la tête du Trust Fund for Specialized Medical Care.

Dans ce débat sur les salaires des patrons, la question de compétence revient aussi sur le tapis. S’il est vrai qu’un bon CEO doit être payé à la hauteur de ses compétences et des risques qu’il prend dans la pratique de son métier, on s’interroge souvent sur les compétences des CEO des compagnies publiques et des corps parapublics – qui, il est vrai, touchent un peu moins que les CEO du privé. Sont-ils suffisamment compétents pour mener à bien leurs fonctions et pour mériter de tels salaires ? Le copinage et les nominations politiques douteuses des dernières années tendent malheureusement à prouver le contraire…

«Le salaire doit être suffisamment attrayant pour attirer ces professionnels étrangers ici. Et, par ricochet, si on paie un étranger Rs 500 000 par mois, pourquoi devrait-on payer un CEO mauricien moins ?»

Par ailleurs, ce CEO que nous interrogeons estime que si Maurice ne veut pas s’enclaver et veut attirer des compétences étrangères, elle doit «y mettre le prix», sinon ces professionnels qualifiés pour diriger une entreprise – qu’ils soient mauriciens ou étrangers – préféreront aller ailleurs, à Dubaï, Singapour ou en Europe. «Le salaire doit être suffisamment attrayant pour attirer ces professionnels ici. Et, par ricochet, si on paie un étranger Rs 500 000 par mois, pourquoi devrait-on payer un CEO mauricien moins ?», s’interroge-t-il.

Après tout, le marché des talents est global, pas local. Sachant qu’en moyenne un CEO d’une entreprise du privé toucherait environ Rs 500 000/mois incluant son salaire de base, la couverture médicale, l’allocation de billets d’avion et le boni de performance.

Ils jonglent avec des millions…

<p>&hellip;mais jouent la transparence, contrairement à d&rsquo;autres. Par exemple, ENL (Rs 13,8 milliards de chiffre d&rsquo;affaires) joue le jeu et révèle que son CEO, Hector Espitalier-Noël, touche Rs 17,4 millions par an + Rs 1,1 million (rémunération des subsidiaires), soit un total de Rs 18,5 millions par an.</p>

<p>Le leader du secteur bancaire, le groupe MCB, qui affichait des profits de Rs 8,4 milliards l&rsquo;année dernière, joue lui aussi le jeu depuis longtemps déjà en divulguant la rémunération de son CEO et de ses hauts cadres. Pierre-Guy Noël, <em>Chief Executive</em>, a bénéficié de Rs 29,3 millions sur un an, faisant de lui un des CEO les mieux payés du pays, alors que Gilbert Gnany, administrateur et haut cadre responsable de la stratégie de la banque, a bénéficié de Rs 16,4 millions.</p>

<p>Du côté de New Mauritius Hotels, premier groupe hôtelier du pays et poids lourd de la Stock Exchange of Mauritius, on joue cartes sur table également : Gilbert Espitalier-Noël, son CEO, a touché Rs 16 millions l&rsquo;année dernière. Du côté d&rsquo;Air Mauritius, son CEO, Somas Appavou a touché Rs 8,4 millions pour l&rsquo;année se terminant au 31 mars dernier.</p>

Et ailleurs ?

<p>Ailleurs dans le monde, notamment en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne et en Inde, il y a des pressions pour limiter les salaires des dirigeants d&rsquo;entreprise, notamment depuis la crise des crédits hypothécaires de 2008 aux États-Unis.</p>

<p>En France, devant les gros salaires du CAC 40, le candidat de gauche à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, défendait l&rsquo;idée d&rsquo;un salaire maximum en 2012 et voulait introduire un revenu maximum fixé à 20 fois le revenu médian. L&rsquo;introduction d&rsquo;une loi était envisagée, mais le patronat s&rsquo;y est opposé, proposant plutôt l&rsquo;autorégulation.</p>

<p>En Inde, certains groupes, comme Infosys Technologies, ont été jugés trop généreux en termes de rémunération envers leurs dirigeants.</p>

Motus et bouche cousue…

<p>Plusieurs grands noms du secteur privé préfèrent rester discrets sur la rémunération de leurs administrateurs et CEO<em>. &laquo;Ils ne jouent pas la transparence&raquo;,</em> analyse un observateur. &laquo;<em>Ce n&rsquo;est certes pas obligatoire, mais cela fait partie des bonnes pratiques dignes des entreprises modernes&raquo;</em>, commente un expert-comptable.</p>

<p>Ainsi, par exemple, le groupe CIEL trouve que le sujet est trop <em>&laquo;sensible&raquo;</em> et se fend d&rsquo;une petite phrase dans son bilan financier sous l&rsquo;item <em>&laquo;remuneration of directors</em>&raquo;, arguant que &laquo;<em>the remuneration paid to the directors has not been disclosed on an individual basis due to the market sensitivity of such information&raquo;.</em></p>

<p>C&rsquo;est le cas également pour le plus grand conglomérat du pays, IBL (ex-GML), qui brasse un chiffre d&rsquo;affaires de Rs 33,8 milliards. Dans son <em>&laquo;Statement of compliance&raquo;, le chairman Jan Boullé explique que &laquo;for reasons of confidentiality and due to commercial sensitivity, total remuneration on an individual basis has not been disclosed&raquo;.</em> On ne connaîtra pas le salaire du CEO Arnaud Lagesse. Les actionnaires, investisseurs et le public resteront sur leur faim.</p>

<p>Il en est de même chez Mauritius Telecom, premier opérateur de télécommunications dans le pays avec un chiffre d&rsquo;affaires de Rs 9,9 milliards. Son CEO, Sherry Singh, proche du Premier ministre, toucherait une somme de Rs 1 million par mois selon des propos tenus par certains parlementaires, mais le principal concerné dit toucher moins... On n&rsquo;en saura pas plus.</p>

<p>Du côté d&rsquo;Alteo, principal groupe sucrier, on évoque encore le fameux &laquo;market sensitivity&raquo; pour ne rien divulguer des rémunérations individuelles des hauts cadres. Par contre, on apprend que, globalement, les &laquo;executive directors&raquo; d&rsquo;Alteo ont reçu Rs 42,8 millions l&rsquo;année dernière, contre Rs 39,3 millions en 2016.</p>

<p>L&rsquo;explication de &laquo;market sensitivity&raquo; laisse dubitatif. Est-ce que le sous-entendu est qu&rsquo;un CEO va postuler pour le poste d&rsquo;un concurrent (ou demander une augmentation), en voyant son salaire ? Ce ne serait pas un CEO à retenir&hellip;</p>

<p>Par contre, les compagnies, notamment cotées en Bourse, doivent des informations transparentes à leurs actionnaires. C&rsquo;est la moindre des responsabilités des dirigeants.</p>

 

Thierry Goder: «Le salaire est déterminé par un comité de rémunération»

	<p>Thierry Goder, CEO d&rsquo;Alentaris, firme spécialisée dans les ressources humaines et le recrutement, ne voit pas vraiment l&rsquo;utilité d&rsquo;un plafonnement salarial pour les dirigeants. Il explique que le salaire du CEO d&rsquo;un groupe est benchmarked (référencé) sur ce qui se paie sur la place et que <em>&laquo;son salaire est déterminé par un comité de rémunération&raquo;</em>.</p>

	<p>Si jamais il y a abus, <em>&laquo;le board va challenge les chiffres&raquo;.</em> Il reconnaît qu&rsquo;il arrive parfois qu&rsquo;un CEO soit payé au-delà de ce qui se pratique sur le marché, &laquo;<em>dans le cas d&rsquo;une stratégie de rétention des grosses pointures par exemple&raquo;.</em></p>

	<p>Par ailleurs, dit-il, il ne faut pas oublier que Maurice est en compétition avec l&rsquo;international et qu&rsquo;il faut pouvoir retenir certains professionnels.</p>
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