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Bruno Dubarry: «Nous avons besoin d’une vraie stratégie industrielle assumée par le gouvernement»

26 juillet 2018, 08:50

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Bruno Dubarry: «Nous avons besoin d’une vraie stratégie industrielle assumée par le gouvernement»

Chief Executive Officer de l’AMM depuis le 1er juillet, Bruno Dubarry fait le point sur les défis de l’industrie locale. Après un Budget qui a laissé ce secteur sur sa faim, il évoque les étapes à franchir pour lui permettre de se tourner vers l’exportation. Par ailleurs, il estime que la réintroduction de tarifs douaniers n’est pas nécessairement la panacée.

Le Budget n’a pas prévu grandchose pour sortir l’industrie locale du marasme alors qu’elle attendait un message fort. Quel est votre mood aujourd’hui ?
Nous continuons à travailler. Effectivement, ce fut plutôt un Budget globalement social. Tous les secteurs sont traversés par des enjeux spécifiques et on attendait des mesures fortes pour redynamiser l’ensemble, mais le Budget a surtout été une concentration sur les enjeux sociaux, de mesures positives en soi sauf que certaines autres composantes n’ont pas bénéficié de mesures fortes. Nous espérions que le Budget annoncerait des mesures pour rendre de nouveau attractif le secteur industriel, attractif en matière d’investissement local et étranger, de création d’entreprises et attractif pour les jeunes.

Quel est l’état actuel de l’industrie locale ?
Il y a une forme de désindustrialisation qui est liée au fait que les activités ont besoin de se renouveler et qu’il n’y a pas toujours la capacité à le faire, cela pour plusieurs raisons : le business model, la culture de l’entreprise ou encore le manque de moyens. Toutefois, l’industrie locale est restée assez solide. Sa part dans le PIB n’a pas varié, elle est restée à 10,5 %. Elle est restée résiliente, mais au prix d’un processus d’adaptation difficile. Parallèlement, la part export de l’industrie a décru. Quand on arrive à un moment où on a épuisé tous les chantiers de réadaptation et d’optimisation, que fait-on ? C’est là où c’est important d’avoir des mesures budgétaires et une vraie stratégie industrielle assumée par le gouvernement, dans le sens où il y a besoin de sanctuariser un certain nombre de choses.

D’autant plus que dans d’autres régions du monde, l’industrie est traversée par de nouveaux défis comme la responsabilité sociale et l’impact sur l’environnement. On note aussi dans le monde un recentrage sur les marchés intérieurs parce que le modèle de l’OMC est à bout de souffle dans la libéralisation et l’équilibre naturel qu’on en attendait. Donc, les grandes nations industrielles remettent des règles pour éviter d’être ballottés par les aléas du commerce international. Toutefois, il y a dans cette stratégie du bon et du moins bon. Ce n’est pas parce qu’on réintroduit des tarifsdouaniers sur des matières premières ou des produits finis que tout d’un coup on crée des emplois chez soi.

«Nous avons mis en compétition directe notre petite production locale avec celle des grandes nations industrielles.»

Trump est pourtant sûr de lui…
Oui, mais économiquement cette stratégie ne tient pas debout. Ces entreprises se sont structurées avec des centaines de fournisseurs partout, dont une bonne partie en Asie. Ces mesures ont des répercussions à tous les niveaux et pas nécessairement au bénéfice de la production locale. Pour ce qui est de Maurice, c’est un peu particulier, n’ayant pas de matières premières. Nous sommes un pays ouvert.

Depuis une bonne dizaine d’années, nous avons enlevé la quasi-totalité de nos barrières tarifaires sur les produits importés. Résultat ? Nous avons mis en compétition directe notre petite production locale avec celle des grandes nations industrielles. Celles-ci ont déjà l’avantage de leur marché intérieur, de pouvoir faire des économies d’échelle, de réduire le coût de leur fret quand elles exportent, etc. Elles ont donc un avantage compétitif quand elles exportent de par le volume et le prix.

Aujourd’hui, l’industrie domestique est dans un état de survie, parce qu’il n’y a pas eu de plan d’accompagnement avec l’ouverture des lignes tarifaires et cela a été très dommageable, provoquant la fermeture de certaines entreprises et d’autres qui, petit à petit, ont plutôt adopté une activité de ‘trader’.

Êtes-vous en faveur de la réintroduction des tarifs douaniers ?
Cela aurait pu être une possibilité ; toutefois, il ne faut pas oublier que Maurice est déjà engagée dans des accords, régionaux notamment, au niveau de la SADC et du COMESA, qui prévoit des taux zéro et si on impose des tarifs on ne peut remettre en question des accords qui ont été signés. Le défi est surtout de voir comment rééquilibrer la situation sur le marché domestique entre les producteurs locaux et les produits importés. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de pression et de contrôle sur les produits locaux que l’on introduit sur le marché mauricien que sur des produits finis importés.

Cela pose un vrai problème, déjà que nous ne pouvons pas jouer sur les prix et le volume ; si, en plus, le poids du contrôle, les coûts des tests, le coût de l’enregistrement dans des certifications et standards n’est pas détaxé ou facilité, l’industrie locale continuera de traîner un boulet que n’a pas le produit importé. Il y a un travail à faire dessus. Cela dit, les PME ont bénéficié d’un parcours d’aide mais cela ne devrait pas se restreindre à la taille d’une entreprise, compte tenu de la petite taille de nos grandes entreprises ici par comparaison aux entreprises étrangères.

«Certains ont mis 20 ans avant de pouvoir développer adéquatement leur marché d’exportation.»

L’avenir de l’industrie locale passe-t-il obligatoirement par l’exportation ?
Elle en fait partie. En tout cas, il y a une phase intermédiaire qui est de se régionaliser, d’être plus présent sur les marchés de l’océan Indien et progressivement s’implanter en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Le champ de travail intéressant est de mutualiser et nos expertises et nos moyens.

Quel est le poids de l’exportation actuellement dans l’industrie locale ?
Nous avons environ 80 membres qui exportent en moyenne moins de 10 % de leur production. C’est une moyenne. Il y en a qui n’exportent pas. Cela ne représente pas une grande part de l’activité et c’est normal car ce n’est pas dans l’ADN de départ de l’industrie locale. Avec nos partenaires, la MEXA, Business Mauritius et l’EDB, nous travaillons sur l’accompagnement de notre base industrielle locale à l’export.

Il faut d’abord voir ce qui est vraiment faisable et de structurer cela dans le temps. Cela doit passer aussi par la montée en puissance des dirigeants, la capacité à mobiliser des ressources humaines et financières en interne. L’export c’est un autre métier, une autre expertise. Il faut une connaissance des marchés ciblés. Certains ont mis 20 ans avant de pouvoir développer adéquatement leur marché d’exportation. C’est un projet ambitieux dont nous avons commencé à poser les premières briques. Nous sommes encore en phase exploratoire et de monter en compétences à travers des ateliers de travail et autres programmes notamment ceux de la SADC. Les entreprises doivent aussi améliorer leur productivité et leur compétitivité. C’est un plan d’ensemble.

Parallèlement, ces cinq dernières années l’AMM a beaucoup fait pour promouvoir les produits mauriciens sur le marché local, notamment à travers l’initiative «Made in Moris». Peut-on quantifier les résultats de cette démarche ? 
C’est difficile de chiffrer l’impact de ces campagnes, par contre ce qui est sûr, c’est que la majorité des entreprises ont profité de cette campagne sur le plan de la perception du grand public, car cette campagne a permis de valoriser des marques locales.

«Il n’y a pas eu de plan d’accompagnement avec l’ouverture des lignes tarifaires et cela a été très dommageable.»

C’est un peu une mentalité de colonisés que de penser que tout ce qui vient de l’étranger est forcément meilleur…
Exact. Or, les marques locales ont évolué car elles sont en compétition avec des marques internationales, et les clients deviennent de plus en plus exigeants. La production locale s’est beaucoup développée ces dix dernières années ; elle n’est pas restée sur les produits alimentaires, les détergents et produits chimiques, elle est allée sur la bijouterie et l’agriculture raisonnée, et même sur les produits culturels et créatifs. Elle couvre de plus en plus de secteurs.

 

En chiffres

L’industrie locale pèse Rs 45 milliards

  • 61 % de la valeur ajoutée du secteur manufacturier est réalisée par la composante locale.
  • Les Other manufacturing goods (qui englobent l’essentiel de la composante locale du secteur manufacturier – agroalimentaire, chimie, peinture, détergents, cartons, papiers, plastique, etc.) présentent le plus haut effet multiplicateur sur l’économie mauricienne avec une valeur de 1,92 (multiplier effect).
  • Nombre d’entreprises enregistrées dans le secteur manufacturier : 590.