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Jean-Paul Lam: «A Chinatown, on m’a dit que je dérange»

24 juillet 2018, 12:04

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Jean-Paul Lam: «A Chinatown, on m’a dit que je dérange»

La première partie du revival de Chinatown a pris fin samedi. Des fresques, un kiosque d’information pour touristes. Des poubelles de tri sélectif d’où sortir un dragon géant en bouteilles recyclées. Après une première phase artistique, l’accent sera mis sur les activités commerciales. Qu’est-ce qui fait courir Jean-Paul Lam, président de la New Chinatown Foundation ?

Pour faire revivre Chinatown, vous avez fait appel au professeur Zhang Hongru, chef-architecte de la Shanghai Jianke Architectural Design Institute Co. Ltd. (JKAD). Que préconise-t-il ?
(Il lit un document sur son portable) Le professeur a identifié des points clés : améliorer la sécurité des piétons, l’éclairage des rues. Il recommande de créer un jardin.

Vous avez trouvé l’emplacement ?
C’est l’un des points faibles de Chinatown. Le professeur nous a dit que les touristes n’ont pas un lieu pour s’ancrer à Chinatown, asize kas enn poz. Chinatown est seulement un lieu de passage.

Il m’a dit qu’à l’hôtel, la plupart des touristes aiment profiter d’un moment tranquille. Simplement prendre leur temps. Si on transforme Chinatown en un lieu très animé reste à savoir si cela va marcher.

Le professeur a surtout fait remarquer qu’à Chinatown, si vous voulez acheter une carte de Maurice, vous n’en trouverez pas. Même les librairies n’en ont pas. J’ai dû l’emmener au bureau de la Mauritius Tourism Promotion Authority. Comment le touriste va-t-il aller à la découverte de Maurice ? Il dit que si on est vraiment un pays touristique, alors il manque des choses de base. Comme des panneaux qui indiquent, «Vous êtes ici», avec des repères tout autour. Il dit que jusqu’à présent, on garde trop les touristes à l’hôtel. Pour transformer Chinatown en un lieu touristique, il recommande de démarrer par une carte.

Et pour ce qui est du jardin à Chinatown ?
Le professeur recommande de créer un espace de rencontre. Prenez le Caudan, des gens de partout peuvent s’y rencontrer une fois qu’ils ont fait leur shopping.

Les terrains dans Chinatown sont limités, non ?
Pour être franc, ce n’est pas évident de convaincre les propriétaires. Nous espérons que la municipalité décrète une rue piétonne. Même si c’est juste un bout de rue qui serait piétonne seulement la nuit, ou le week-end.

Vous pensez à quelle rue ?
Cela ne peut pas être la rue Royale, à cause du trafic. Mais peut-être la rue Arsenal (officiellement rue Sun Yat Sen) ou Venpin, une petite rue abandonnée. D’un point de vue artistique, les lieux à l’abandon, les facettes cachées, attirent les touristes. Sa mem zot anvi dekouver. Ce serait bête de transformer la rue Royale.

Vous avez commencé avec des fresques, parfois sur des bâtiments en état de décrépitude. C’est l’une de vos cibles ?
(Montre la photo d’un bâtiment aux vitres multicolores, sur son portable) C’est une maison à l’abandon à la rue Royale. C’est une touche de gaieté et de bonheur au lieu des vitres malang malang. Faire revivre Chinatown ne demande pas beaucoup de ressources, mais beaucoup de coeur, d’amour.

Jean-Paul Lam en compagnie de l’artiste qui va réaliser un dragon geant à partir de bouteilles recyclées.

Régulièrement, les autorités annoncent un plan pour faire revivre Chinatown. Ensuite, on évoque le manque de fonds. Vous dites au contraire que votre plan ne nécessite pas de gros moyens...
Pa bizin boukou. Il faut juste de la volonté. Il y a plusieurs façons de réussir. Dan sa tigit mo ena la si mo servi mo leker, je ne serais peut-être pas le meilleur, mais j’aurais fait quelque chose de spécial. Certains se plaignent en disant qu’on ne peut pas développer Chinatown, parce qu’il est en partie situé dans la zone tampon de l’Aapravasi Ghat. Commercialement, c’est vrai. Considérons les choses différemment. Ce n’est pas partout dans le monde qu’un quartier chinois se trouve dans la zone tampon d’un patrimoine mondial. Un terrain concerné par un tel patrimoine a de la valeur. Pas besoin de construire un immeuble de plusieurs étages avec plusieurs commerces. Il y a déjà le Caudan ou Bagatelle. Retrouvons plutôt l’ambiance des petites maisons d’antan, très cosy et accueillantes. Divisons les parkings en plusieurs lots pour des pop-up stores. Il y a tant de concepts à imaginer.

Avez-vous eu l’occasion de discuter de ces projets avec les mécontents qui voient l’Aapravasi Ghat comme un obstacle au développement dans Chinatown ?
Quand je suis rentré définitivement à Maurice, en novembre 2017, après 20 ans à Shanghai, j’ai eu envie de partager mon expertise. Je me suis dit, pourquoi ne pas commencer dans le quartier où je suis né ? Si dan sa ti kare-la mo pa kapav fer narien, demain, quel grand coup de main pourrais-je donner ? Je me suis rendu compte à quel point les parents ont toujours leur mot à dire dans tout ce qu’entreprennent les jeunes Mauriciens. Moi-même, avant de démarrer, monn gagn enn ti crossing ar paran. Quand j’ai voulu apporter le changement, on m’a dit, «Moris nou koumsa nou». Au début, monn tini tini. Après, je me suis mis en colère. Je leur ai demandé, «si on est comme ça, pourquoi m’avoir payé des études à l’étranger ?» (NdlR : Jean-Paul Lam est diplômé en finances de l’université de La Réunion et de l’université de Strasbourg). Pourquoi ne pas me donner ma chance ? On se plaint parce qu’on est bloqué psychologiquement. Débloquer les mentalités, c’est ce qu’il y a de plus dur. J’ai pu le faire au niveau de la famille et aujourd’hui, ils m’apportent beaucoup de soutien. Mais en dehors d’un petit cercle, c’est plus difficile. Seki pa kontan mwa dir, «to pa trouve to pe deranz dimoun ?»

Comment gérez-vous les critiques ?
Cela ne m’empêche pas de continuer. Des amis en Australie et à Paris nous aident. Je leur dis, «believe in the dream». On prépare une plateforme pour que d’autres Mauriciens rentrent au pays. Pourquoi est-ce que les jeunes ne souhaitent pas rentrer ? On ne leur donne pas d’espoirs. On passe du temps à dire que Maurice est compliqué. Ce n’est pas vrai. Il faut travailler un peu plus dur au départ, après ça va.

Pourquoi avez-vous décidé de rentrer ?
Après les études en France, mes parents m’ont forcé à aller en Chine. Là-bas, je n’ai pas eu envie d’enseigner l’anglais, comme font beaucoup d’étrangers. Mo sinwa pa ti bon. Aujourd’hui, je maîtrise la langue. Et mon niveau de français est ordinaire.

En Chine, quand j’ai expliqué que j’avais un diplôme en gestion financière, on m’a dit, «to pa konn koze to le fer management ?» J’ai beaucoup souffert pour trouver mon premier job. Après, les portes se sont ouvertes. À 28 ans, j’étais le general manager d’un hôtel cinq-étoiles, à Pékin, le West Palace.

Il y a eu beaucoup d’articles de presse qui parlaient de moi (il montre plusieurs magazines où il sourit sur papier glacé). J’organisais des défilés de mode. On a commencé à se demander d’où je venais. Mais surtout, pourquoi estce que c’est moi le Mauricien qu’on choisissait ? Lerla business tonbe.

Il y a eu les fresques, les poubelles pour le plastique, il y aura un dragon géant, sans oublier le plan d’aménagement. Comment financez-vous toutes ces initiatives ?
Monn tir pa mal.

Combien avez-vous investi de vos poches ?
Relativement beaucoup.

Environ ? Donnez-moi un chiffre...
Disons Rs 15 millions. Non. Tout ce qu’on a fait jusqu’à présent coûte entre Rs 15 millions à Rs 20 millions. Mais on l’a fait avec beaucoup moins.

Tout vient uniquement des financements personnels ?
On a cherché des sponsors à gauche, à droite (Jean-Paul Lam nous montre ses mains). J’ai les ongles un peu sales, c’est parce que j’ai mis la main à la pâte. Payer quelqu’un pour faire les choses, ça n’est jamais pareil. J’aime travailler dur, mettre des fonds de côté pour le bénévolat. En mai 2010, j’ai ouvert ma première société de marketing et à la fin de l’année, j’ai financé un marché de Noël, pour partager un peu de la culture française que j’ai apprise durant mes études.

Qu’avez-vous fait à Chinatown?
J’ai enfilé un t-shirt, j’ai repeint des murs. Tous les mois, on sera dans les rues de Chinatown, avec des scouts. Nou bros sime. On va commencer à la fin du mois. Le but c’est de développer l’amour du quartier.

Est-ce que vous faites tout cela en attendant de vous lancer en politique ?
À partir de 2012, j’ai commencé à fêter l’Indépendance de Maurice à Shanghai. Des célébrations high end. En 2014, on a fait cela au Yacht Club. À cette époque, vous allez me dire que je faisais de la politique. J’ai fait cela pour faire flotter le drapeau.

On m’a demandé quelles sont mes retombées économiques, après avoir fait tout cela. Dans les entreprises, on organise des fêtes annuelles. La mienne c’était de célébrer le 12 mars.

Après Chinatown, que comptez-vous faire ?
Je suis bon en management. Je le sais depuis que je suis petit. J’aurais aimé diriger un département à Maurice. Faire de la politique, oui.