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Bernard Yen: «Nos politiciens n’ont pas le courage de réformer la pension de vieillesse»

19 juin 2018, 18:58

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 Bernard Yen: «Nos politiciens n’ont pas le courage de réformer la pension de vieillesse»

Augmentation de la «carers’ allowance» dans le Budget, surpaye de Rs 41 millions, 59 dénonciations à la police : la pension fait débat. Un récent rapport du ministère de la Sécurité sociale étaye ces gaspillages.

Le Budget 2018-2019 prévoit une augmentation de l’allocation mensuelle pour les «carers» s’occupant des personnes âgées alitées qui perçoivent une pension d’invalidité. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne chose dans la majorité des cas, bien que je ne sois pas familiarisé avec toutes les conditions. Je ne sais pas depuis quand le montant n’a pas été augmenté. Je présume qu’il est resté à Rs 2 500 depuis quelques années. De manière générale, je préfère voir ces montants augmenter annuellement en ligne avec l’inflation, au lieu d’être majorés de 20 % ou plus de temps à autre.

Le rapport annuel sur la performance financière de la Sécurité sociale évoque 673 cas de paiement excédentaire de 2016 à 2017, de l’ordre de Rs 41 millions. Cette situation vous choque-t-elle ?

Je n’ai pas lu le rapport mais c’est vrai que cela semble choquant quand le gouvernement dispose de tant de moyens de vérification. D’autant que nous avons plutôt l’habitude de voir les fonctionnaires prendre tant de précautions par rapport à toute démarche administrative des citoyens.

De ce montant, Rs 22 millions ont pu être recouvrées, néanmoins Rs 19 millions sont toujours dans la nature…

À mon avis, il sera difficile de recouvrer le reste rapidement.

Pourquoi ?

Je ne connais pas les détails mais j’imagine que certaines personnes n’ont pas les moyens de rembourser les paiements excédentaires tout de suite. D’autres ne sont pas d’accord avec les surpaiements allégués. Dans ces cas, le gouvernement ne peut pas confisquer d’autres biens. Par contre, il doit entrer des actions en cour, qui prennent du temps et peuvent aussi coûter plus en termes de frais juridiques, ce qui dépasse les paiements excédentaires eux-mêmes !

Mention est faite qu’il y a un taux de recouvrement supérieur de 14 % comparé à l’année précédente à travers un comité de monitorage…

Sans connaître les détails, je dois dire que c’est quand même réconfortantde savoir qu’il y a un Monitoring Committee qui travaille sur l’identification des paiements excédentaires et leur recouvrement.

Le rapport indique que 59 cas de surpaye ont été référés à la police pour des enquêtes et actions nécessaires. D’ailleurs, le State Law Office a été sollicité pour procéder à une «action personnelle» dans quatre cas. Quelles sont les sanctions appliquées dans ces cas ?

Personnellement, je n’en ai aucune idée. Mais, les sanctions devraient inclure, à mon avis, non seulement des remboursements avec intérêts, comme dans le cas d’impôts payés tardivement mais aussi des amendes fortes en cas de fraudes ou mensonges délibérés.

Parmi les paiements excessifs, des cas de «benefits paid by error», de «child allowances», de décès, de départs de Mauriciens du pays. Comment en vient-on à de telles erreurs ?

Je suis sûr qu’il y a des vérifications, et cela, par rapport aux bénéficiaires de la pension de vieillesse qui s’absentent du pays pendant plusieurs mois et qui verront le paiement de leur pension interrompu pour n’être rétabli qu’à leur retour. Parallèlement, les plans de pension privés, qui n’ont pas ces moyens de vérification automatique, ont l’habitude de faire certifier l’existence des bénéficiaires par des tiers. Je crois que cela pourrait être un autre moyen efficace de vérification que le gouvernement pourrait utiliser à bon escient.

Outre ce rapport financier, celui de l’Audit étaye ces anomalies, avec un paiement excessif de Rs 91,9 millions au 30 juin 2017 contre Rs 88,6 millions en 2016. Pourquoi ce problème semble-t-il récurrent ?

C’est dû à la nature humaine et à l’incivisme. Par exemple, imaginons qu’une personne âgée ou handicapée a l’habitude de recevoir Rs 5 800 par mois comme pension et qu’elle autorise ses proches de l’utiliser à sa place. Lorsque survient son décès, ces derniers seront tentés de ne pas informer la Sécurité sociale pour continuer à toucher la pension.

Quelles solutions peuvent y remédier ?

J’en suis convaincu : il y a des procédures de vérification et de prévention qui utilisent la technologie par exemple. Celles-ci peuvent être mises en place.

De plus, il faut punir les criminels et peut-être même avoir une politique de name and shame. Je suis également d’avis qu’il faut éduquer les bénéficiaires afin qu’ils restent en contrôle des paiements qui leur sont exclusivement destinés et qui ne doivent pas développer des dépendances malsaines par rapport aux proches.

La pension de vieillesse revient souvent dans les discours électoraux. Est-ce une stratégie, voire un bouclier, purement politique à votre avis ?

Je ne crois pas. À la base, une pension permet à toute personne de vivre et vieillir dignement. Elle lui est largement bénéfique. Nous devons tout faire pour l’améliorer quand nous le pouvons. Cependant, il y a plusieurs piliers à promouvoir et à protéger en même temps : la pension de vieillesse, la pension contributive du National Pensions Fund, les plans de pension patronnés par les employeurs et les plans de pension personnels. J’ai le sentiment que nos politiciens n’ont pas le courage de réformer la pension de vieillesse qui concerne le domaine public. En revanche, ils trouvent plus facile d’imposer des réformes aux plans de pension privés qui ne sont pas financés par l’État.

Pourquoi les décideurs minimisent-ils cet aspect, d’autant que la population est vieillissante ?

Malheureusement, nos décideurs disposent d’un mandat de cinq ans pour gouverner, mais toute solution pour résoudre ce problème à long terme prendra beaucoup plus de temps pour porter ses fruits. Le comité qui a été mis en place par le gouvernement

pour étudier toutes les options n’est pas encore arrivé à élargir les consultations. Ce, afin de trouver des solutions et autres compromis qui peuvent être acceptés aussi bien par l’État que l’opposition. Si cela n’est pas fait, soit le gouvernement soit l’opposition essayera d’en tirer un profit politique, au détriment de la population à long terme.

Les réformes sont souvent brandies à tout bout de champ. Est-ce vraiment une solution concrète au problème ?

Oui, à condition que ce soit bien fait. Encore une fois, si les débats et consultations sont élargis, toute solution proposée peut être acceptée par la grande majorité.

Les fonds de pension privés non financés par l’État vont-ils finir par l’emporter sur ceux du public ?

Les fonds de pension privés ne sont pas en concurrence avec ceux du public. Au contraire, ils sont complémentaires. À mon avis, la pension de vieillesse représente un minimum vital dont tout le monde devrait bénéficier pour éviter la pauvreté extrême.

Ensuite, la pension contributive (National Pensions Fund /National Savings Fund) vient s’y ajouter afin d’éviter la pauvreté relative cette fois-ci, soit par rapport aux salaires moyens du pays. Finalement, les fonds de pension privés prennent le relais afin que les personnes retraitées puissent continuer à avoir un niveau de vie comparable à celui qu’elles avaient juste avant leur retraite.

Bio express

<p>Bernard Yen est un actuaire qualifié de la Fellow of the Institute and Faculty of Actuaries depuis 1991. Il est également directeur général d&rsquo;Aon Hewitt à Maurice depuis 2001. Auparavant, il a travaillé pour Mercer en Angleterre et en Belgique. Il est spécialisé dans la pension et autres avantages offerts par les employeurs pour le bien-être des employés. Il conseille les employeurs à Maurice et en Afrique, entre autres, sur plusieurs fonds de pension. À ce titre, sa firme est assignée à donner des conseils en termes de meilleure stratégie d&rsquo;investissement pour le National Pensions Fund. Bernard Yen siège également au sein du Comité des actuaires de la caisse de retraite du personnel des Nations unies.</p>