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Livres chez les enfants: la lecture réinventée

7 mai 2018, 23:20

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Livres chez les enfants: la lecture réinventée

Alors que le festival du livre a pris fin hier, la lecture semble être en pleine mutation chez les petits. À la croisée de l’imprimé et du numérique, comment et que lit cette génération ? Quelles initiatives encouragent cette pratique ?

IL est 11 heures, samedi. Les bras chargés de livres, Shirley, 43 ans, se hâte vers la bibliothèque municipale de Rose-Hill, avec Aaliyah, sa nièce de 9 ans. Chaque semaine, elles partagent ce petit rituel. «C’est une tradition. Ma maman m’y emme- nait. J’adorais des livres comme Oui Oui ou ceux d’Enid Blyton. Tenez, il y a Jojo Lapin que ma nièce adore. J’aimais ça aussi, à l’époque. La lecture a toujours été une bonne chose pour les enfants comme pour les grandes personnes», confie-telle. Et la petite aussi: «Les livres me font voyager.»si: «Les livres me font voyager.»

Avec ses filles, Sooreeta s’accroche aussi à la lecture : «Je viens pour les encourager dans leur pratique de la langue. Comme je ne travaille pas les samedis, j’en profite pour passer du temps ici avec elles… et les livres.»À la médiathèque de l’Institut français de Maurice (IFM), Éric, un habitant de Vacoas, et sa fille, Zoé, 8 ans, ne manquent pas leur rendez-vous culturel : «Avec l’ère de la tablette, les enfants y sont scotchés. Ils ont perdu cet effet de lecture. Moi, je préfère avoir un livre en main, tourner les pages et ressentir les émo- tions. La lecture sur les tablettes, ce n’est pas pareil.»

Selon lui, bien que ce médium soit très rapide, il est dépourvu d’émotion. En revanche, le livre suscite l’ima- ginaire. Baigné dans cette pratique depuis l’enfance, Éric perpétue naturellement sa passion pour les livres auprès de ses deux enfants

La façon de lire a changé

 Idem pour Tania et ses fils, William, 4 ans, et Ethan, 7 ans, mordus invétérés de lecture. «C’est une habitude. Les histoires font partie de leur quotidien, tous les soirs», raconte-telle. Leurs goûts s’orientent notamment vers les sciences, les animaux, les machines, les dinosaures, entre autres. «La lecture leur permet d’apprendre des choses à un rythme plus lent. À la télévision, cela passe très vite. En leur lisant des livres quotidiennement, ils se concentrent mieux. Ils sont capables de lire un très long livre et en redemandent. Ceci n’aurait pas été possible sur une tablette.» 

Si cette mère privilégie le support imprimé, d’autres parents combinent versions traditionnelles et numériques, technologie oblige. «La tablette est à la maison, dans les écoles. C’est inévitable. J’essaie d’adopter les deux pour ini- tier mes enfants à la lecture», confie Jason, 46 ans, père de famille. 

Cette mutation est d’ail- leurs confirmée par Om Varma, pédagogue et directeur du Mauritius Institute of Educa- tion (MIE) : «La façon de lire a changé. Avant, on achetait des livres et des bandes dessinées car c’était la seule option. Désormais, le jeune en a d’autres. Mais cer- taines, dont l’Internet, ne sont pas si convenables.» Ces outils gé- nèrent une pratique éparse, estime-t-il. En ligne, les enfants ne lisent pas des ou- vrages en entier mais plutôt par bribes, ce qui amoindrit la qualité de la lecture, selon lui

Inactivité des abonnés

Son constat est partagé par Belinda Ramnauth, di- rectrice de la Bibliothèque nationale, qui a organisé la semaine du livre jusqu’à hier: «Le changement est consi- dérable. Chez les petits de 3 à 6 ans, on note une variété d’ouvrages comme des contes, des histoires d’animaux, etc. Plus les enfants grandissent, plus on va vers l’interactif, avec des coloriages, des versions audio…»

Elle estime que vers 7 ans, les devoirs de classe sont privilégiés. Ce qui amenuise le temps pour la lecture et le re- cours aux bibliothèques. D’ailleurs, elle note une diminution de 5 à 10 % annuellement du taux d’inscription.

À cela se greffe un autre problème : l’inactivité des abonnés. En effet, alors que le rapport annuel 2016-2017 de la mairie de Quatre-Bornes enregistre 9 564 abonnés, seuls 4 317 étaient actifs. «Les enfants qui viennent s’abonner à la bibliothèque le font trop tardive- ment, au primaire. Il faudrait le faire dès le préscolaire, pour leur inculquer le goût de la lecture», soutient Cader Nunkoo, Senior librarian à la bibliothèque municipale de Rose-Hill.

Du côté de l’IFM, PierreEmmanuel Guilleray, chargé de mission pour le livre, affirme que la lecture fait toujours des émules. D’ailleurs, le coin jeunesse, aménagé pour les enfants, est un facteur clé dans l’encourage- ment à la lecture. Pour 2017, 2 265 lecteurs étaient inscrits. De ce taux, les abonnés âgés entre 6 à 15 ans sont plus nombreux que ceux en petite enfance (d’un à 5 ans) et de plus de 20 ans. «Les lecteurs sont très actifs jusqu’à 12 ans. Puis, à l’adolescence, la lecture diminue un peu, mais pas tant que ça», constate-t-il. Selon lui, de 0 à 6 ans, les albums d’images sont très prisés. Vers 6 à 8 ans et entre 9 à 12 ans, les enfants passent aux petits romans. Puis on enchaîne avec les revues, films, disques etc.

Réalité augmentée

Quelles initiatives sont prises pour encourager la lecture des livres ? Om Varma évoque la narration insérée dans les manuels scolaires au primaire. Un moyen de motiver les petits dès le plus jeune âge. Deuxièmement, le pédagogue mentionne le développement visuel, l’usage de la réalité augmentée pour les mathématiques et le recours aux images en trois dimensions.

De plus, estiment nos interlocuteurs, une mise à niveau des structures existantes doit être accentuée pour revaloriser la lecture traditionnelle. Ainsi, la création d’espaces dédiés aux enfants doit prévaloir dans les bibliothèques municipales et régionales. «Certaines ont commencé à les intégrer. Il leur faut un lieu privilégié et ludique pour inciter à la découverte des livres et de leur magie», confie un libraire.

Quant au numérique, ce mode est prisé par certains abonnés de l’IFM, à travers des applications jeunesse et des bibliothèques numériques. L’objectif de l’institut est justement de mieux faire connaître ce service.

La lecture sur tablette est également ciblée. À ce jour, le ministère de l’Éducation en a distribué 26 000 en Grade 1 et 2 au primaire. Selon Cader Nunkoo, la popularisation de ces technologies doit inciter à mieux répondre aux besoins de la nouvelle génération d’enfants en bibliothèque. «Nous n’avons pas de livres interactifs et numé- riques actuellement. Cela va venir. Mais il faut un plan global intégrant à la fois les ouvrages imprimés aux versions numé- riques. La technologie ne remplacera pas le livre classique.»