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Au Maroc, le calvaire des «petites bonnes»

12 avril 2018, 17:10

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Au Maroc, le calvaire des «petites bonnes»

Elles s'appellent Fatima, Latifa ou Hayat, elles ont été placées comme «petites bonnes», exploitées et maltraitées par leurs employeurs. Ce calvaire, des milliers de domestiques mineures le vivent au Maroc, malgré une loi destinée à limiter les abus.

«Même un animal domestique est mieux traité!», pleure Fatima, 17 ans, venue chercher du secours au centre Annajda pour les femmes victimes de violence, à Rabat.

«Je voulais juste aider mes parents, ça me chagrinait de voir la misère dans laquelle vivait ma famille», murmure cette adolescente qui a travaillé pendant deux ans comme "petite bonne".

Pour les bénévoles qui l'écoutent, son parcours est banal: à 15 ans, Fatima quitte son village du sud marocain pour travailler comme domestique à Rabat, la capitale, avec l'accord de sa famille et avec l'aide d'un intermédiaire local, un "semsar".

«Au départ, j'étais bien traitée. Mais peu à peu, la violence est devenue mon quotidian», raconte à l'AFP la jeune fille, voix mal assurée, foulard sur la tête. «La maîtresse de maison me battait, m'insultait, elle avait toujours des choses à me reprocher.»

«C'est une forme d'esclavage, une violation (...) des engagements internationaux du Maroc», fustige la directrice du centre Annajda, Fatima El Maghnaoui, pour qui la place de Fatima est à l'école.

Brûlures et fractures

Il n'existe pas de chiffres officiels sur les «petites bonnes». Mais selon une étude commandée en 2010 par des associations, on comptait alors au Maroc entre 66 000 et 80 000 domestiques âgées de moins de 15 ans.

«Subissant des conditions de travail et de vie dégradantes», ces mineures sont le plus souvent originaires de la campagne et analphabètes, selon l'association de défense des femmes Insaf.

Il y a quelques semaines, l'histoire de Latifa a mobilisé l'opinion: cette jeune femme de 22 ans, domestique depuis son adolescence, avait été hospitalisée à Casablanca pour des brûlures au troisième degré et des fractures, provoquées selon elle par son employeur qui la "martyrisait". Aidée par Insaf, elle vit depuis en foyer.

Pour Fatima, la journée de travail débutait à 7 heures du matin et se terminait tard la nuit, «parfois à trois heures du matin». «Je dormais sur la terrasse, dans le froid, comme un animal domestique. Je mangeais les restes et j'avais toujours mal aux pieds à force de rester debout», raconte la jeune fille.

Le tout, sans être payée: «on avait convenu d'un salaire de 800 dirhams par mois (près de 70 euros, soit un peu moins du tiers du salaire minimum, ndlr) mais je n'ai pas touché un sou», précise-t-elle.

Quand elle exige son dû, au bout d'un an de servage, la maîtresse de maison «lui confisque sa carte d'identité et lui interdit de prendre contact avec sa famille». Prise au piège, elle décide de s'enfuir.

Mais «je ne connaissais personne, je n'avais pas d'argent et ne connaissais même pas l'adresse où je travaillais», dit-elle.

Finalement, un jeune homme du quartier l'aide à contacter une tante établie à Salé, ville voisine de Rabat, et celle-ci «met fin à son calvaire».

Enfance sacrifiée

Omar Saadoun, responsable du programme de lutte contre le travail des enfants à l'Insaf, explique que, comme pour Fatima, le destin des «petites bonnes»  naît souvent «des déperditions scolaires en milieu rural, de la pauvreté et de l'ignorance des parents».

Dans certaines zones rurales, «la fille est considérée comme inférieure au garçon, elle est la première qu'on sacrifie pour trouver des sources de revenus complémentaires, en la mariant ou l'envoyant travailler comme domestique».

Attendue depuis des années, une loi promulguée à l'été 2016 après d'interminables débats a fixé à 18 ans l'âge minimal des employés de maison, mettant ainsi fin en théorie au travail des enfants, jusque-là très courant.

Le texte impose un contrat de travail, un salaire minimum, un jour de repos hebdomadaire, des congés annuels, et prévoit des sanctions financières pour les employeurs en cas d'infraction.

Mais il autorise encore pour cinq ans l'emploi d'adolescents de 16 à 18 ans, au grand dam des défenseurs des droits de l'Homme.

«Il faut une stratégie globale (...). Cette loi ne présente pas de garanties, il n'y a pas de dispositif pour l'accompagnement, la réinsertion, l'identification des familles. Beaucoup de domestiques mineures ne connaissent même pas l'adresse de leur employeur», souligne Omar Saadoun.

De plus, «les inspecteurs du travail ne sont pas autorisés à enquêter à domicile, où les abus peuvent se faire loin des regards», regrette Mme El Maghnaoui.

Malgré la nouvelle loi, des ONG dont l'Insaf affirment qu'on trouve encore des fillettes de huit ou neuf ans engagées comme domestiques.

Après des années de maltraitance et d'exploitation, beaucoup gardent des séquelles, comme Hayat, 38 ans, placée comme "petite bonne" à neuf ans.

«Quand j'y pense aujourd'hui, 30 ans après, cela me chagrine toujours autant. Mon enfance a été sacrifiée!», confie-t-elle à l'AFP lors d'un entretien téléphonique.

«Mon premier employeur me maltraitait (...). Il m'humiliait constamment. C'était épuisant. Je n'avais pas la force requise pour les tâches ménagères».

Aujourd'hui mère de famille, elle «fait tout pour prendre soin de ses enfants pour qu'ils ne vivent pas la même chose».