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Ce que risque la présidente

5 mars 2018, 16:11

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Ce que risque la présidente

Depuis la parution des articles de presse montrant les dépenses de la présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, dans l’édition de l’express du 28 février, nombreuses sont les questions qui se posent autour de l’immunité présidentielle. Celle-ci préserve un président, en cas de faute, de toute action civile ou pénale, pendant la durée de son mandat et même après. Dans ce cas présent, que risque la présidente si elle est déchue de ses fonctions ou si elle démissionne, pour avoir manqué aux exigences constitutionnelles liees à ses fonctions ?

Sera-t-elle passible de poursuites une fois qu’elle ne sera plus en poste ? A-t-elle agi contre la Constitution, dont elle a fait le serment d’en être la gardienne ? Il est stipulé dans la Constitution, chapitre IV, Article 28, alinéa 4 (a) et (b) que:

Une personne élue à la charge de Président ne peut, alors qu’elle exerce ses fonctions:

- être titulaire d’aucune autre charge rémunérée en vertu de la Constitution ou autrement ;

- exercer quelque profession ou métier que ce soit ou s’engager dans quelque commerce ou affaire que ce soit.

L’esprit de la loi

Milan Meetarbhan, juriste, a accepté de répondre à nos questions. Il fait ressortir qu’il faudrait voir l’esprit de cette disposition de la Constitution et de se poser les questions suivantes avant tout : «était-ce une forme de rémunération déguisée ou est-ce qu’un président peut avoir un comportement qui compromet l’image du pays et de la Constitution ?» Il poursuit en mettant l’accent sur le fait que si un président devient l’allié d’un investisseur et profite donc des avantages de cette relation, cela peut être préjudiciable à l’image de la présidence et du pays.

Le juriste a également fait ressortir que «les risques de poursuites sont là» mais ne peuvent être que des hypothèses, étant donné le manque de jurisprudence à Maurice. (NdlR, une jurisprudence, la science du droit, se définit par un ensemble de décisions de justice d’une juridiction, soit l’action des tribunaux qui solutionnent une question juridique. L’immunité présidentielle, dans ce cas précis.)

Il poursuit en expliquant que dans ce cas, si la présidente n’a pas agi dans l’exercice de ses fonctions, il y a une chance qu’elle n’ait plus droit à l’immunité présidentielle. Mais encore une fois, soutient-il, ce ne sont que des théories. Toutefois, si un président obtient des avantages pendant son mandat, il peut tout à fait être sujet à une enquête sous la Prevention of Corruption Act, après sa révocation ou sa démission, fait-il ressortir avant de conclure qu’une poursuite est envisageable, dépendant des résultats de l’enquête menée et d’autres facteurs liés à la Constitution.

Me Yousuf Mohamed, Senior Counsel, à la question «la présidente a-t-elle enfreint la Constitution ?» a répondu qu’en utilisant cette carte bancaire, prévue pour financer le marketing autour des bourses d’études, à des fins personnelles, la présidente a commis un abus de confiance. Mais dans ce cas de figure, soutient-il, il n’y a pas de disposition dans la Constitution qui dit qu’elle est passible de poursuites.

Il soulève cependant le fait que, si elle ne démissionne pas de son plein gré, le Premier ministre peut, dans ce cas précis, présenter une proposition à l’Assemblée nationale pour que la révocation de la présidente soit examinée par un tribunal. Mais toujours, souligne- t-il, la Constitution fait mention dans l’article 30 A, alinéas 1 et 2 que :

- Sous réserve des dispositions de l’alinéa 5 de l’article 64, aucune action civile ou pénale ne pourra être intentée au président ou vice-président pour un acte relevant de ses fonctions ou pour un acte accompli ou qu’il croyait accomplir à l’occasion de celles-ci.

- Sous réserve de l’alinéa 5 de l’article 64, aucune citation, mandat ou assignation ne sera émis ou exécuté contre le président ou le vice-président en cours de mandat.

Commission d’enquête

En revanche, Me Yousuf Mohamed explique que si la motion de blâme, déposée par Shakeel Mohamed, est votée à la rentrée parlementaire, une commission d’enquête pourra éventuellement être instituée et ainsi révéler plusieurs détails dans cette affaire. Ce qui ternirait l’image et la personne de la présidente, plus qu’autre chose. Cela pourrait éventuellement faire perdre à Ameenah Gurib-Fakim la pension à vie avec chauffeur et le reste des privilèges dont jouissent ceux qui ont siégé «honnêtement» jusqu’ici à la présidence.

Le député mauve Reza Uteem soutient, lui, que «rembourser ne règle pas le problème». Il est revenu sur la déclaration de sir Anerood Jugnauth samedi, qui a confirmé que la présidente a bien utilisé ladite carte de crédit du Planet Earth Institute, mais qu’elle a par la suite «remboursé» l’argent.

Selon lui, il est clair que la présidente a fauté et qu’il faudrait, à la suite de son éventuelle démission, qu’une enquête soit ouverte car il y a bien eu, là, fraude et un manquement à l’article 28, alinéa 4(a) et (b) de la Constitution. «C’est comme dire, ‘j’ai volé mais j’ai tout rendu, alors ça ne s’appelle pas voler !’»