Publicité

#50ansMoris: «Maurice a construit sa stratégie diplomatique sur un socle historique»

30 janvier 2018, 23:42

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

#50ansMoris: «Maurice a construit sa stratégie  diplomatique sur un socle historique»

Nous sommes en 1968. Alors que la haine fait rage, l’île Maurice nouvellement indépendante ne peut se permettre de rester en isolement. L’ancien ministre des Affaires étrangères Jean Claude de l’Estrac revient sur ces liens diplomatiques que Maurice a tissés au fil des années.

L’île Maurice indépendante en 1968 avait-elle des liens diplomatiques avec des pays autres que l’Empire britannique ? 

Les liens diplomatiques de Maurice sont anciens et diversifiés. Le fondement de cette propension à l’ouverture se trouve dans notre histoire de peuplement. Ainsi, des relations intenses ont existé avec l’Inde du fait de l’im- migration indienne massive du XVIIe siècle ; avec l’Europe, la France en particulier, du fait de la colonisation française ; avec la Chine, et dans une moindre mesure l’Afrique. C’est sur ce socle historique que l’île Maurice indépendante a construit sa stratégie diplomatique.

En 1968, le pays pas- sait par une phase d’instabilité. Était-ce difficile pendant cette période de tisser des liens avec d’autres pays ? 

Juste avant l’Indépendance, et immédiatement après, en raison des problèmes de sécurité intérieure, les bagarres dites «raciales», qui au départ sont une guerre de gangs dans Port-Louis, Maurice va se rapprocher davantage de la Grande-Bretagne qui apporte son aide aux autorités pour ramener l’ordre dans le pays en envoyant des troupes basées en Malaisie. 

Mais déjà, en marge de la conférence constitution- nelle de Lancaster en 1965, Maurice, par la voix de sir Seewoosagur Ramgoolam, avait clairement indiqué qu’elle se plaçait résolument dans le camp de l’Oc- cident dans le conflit Est/ Ouest. C’est même pour cette raison que le Conseil des ministres d’alors donne son accord à l’excision de l’archipel des Chagos pour l’installation de la base angloaméricaine de Diego Garcia. J’ai lu que l’on raconte que le gouvernement colonial d’alors ne pouvait pas faire autrement. C’est faux ! Un avis des juristes britanniques atteste du contraire.

Comment nos relations diplomatiques avec d’autres pays ont-elles commencé ? Avec quels pays ? 

À l’Indépendance, Maurice va s’appuyer sur les liens historiques et culturels du pays pour tisser ses relations avec le monde. Elle joue sur tous les tableaux, elle approfondit ses relations avec le monde anglophone en inté- grant le Commonwealth mais elle se rapproche également du monde francophone en devenant membre de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM), une organisation intergouvernementale regroupant les États africains francophones. Ce qui va lui ouvrir les marchés de l’Europe via l’adhésion à la Convention de Yaoundé qui au départ organise la relation Europe-Afrique sur les plans économique et commercial. 

Toutefois, l’action diplomatique la plus marquante à cette époque est la reconnaissance de la Chine communiste par le nouvel État. Des relations diplomatiques sont établies en 1972 et un accord de coopération économique et technique est signé. À cette époque la Chine est très isolée sur la scène mondiale. Et elle est loin d’être la puissance qu’elle est devenue.

Qui à l’époque sont les ministres qui ont initié ces liens ? 

Ce n’est pas une affaire de ministres. La diplomatie mau- ricienne des premières années post-Independance est large- ment conduite par le Premier ministre lui-même, soutenu par son partenaire du PMSD, sir Gaëtan Duval. Les deux hommes affichent un fort soutien à l’Occident qui gère une guerre froide avec l’Union soviétique. Mais sir Seewoosagur sera plus nuancé, ou plus ambivalent, ou plus adroit, dans ses rapports, courtisant les uns et les autres.

C’était un défi pour un jeune pays indépen- dant de nouer des rela- tions diplomatiques ? Pourquoi ? 

Nouer des relations n’est pas en soi un défi, mais un petit pays comme le nôtre ne pèse pas lourd sur la scène internationale. Encore qu’à l’époque de la guerre froide, la course à laquelle se livraient les États-Unis et l’Union soviétique dans l’océan Indien nous donnait quelques leviers, seul et au sein du mouvement des non-alignés, au temps de sa pertinence.

C’était important ou une priorité pour nous à l’époque d’interagir avec d’autres pays ? 

On peut paraphraser et affirmer «No country is an island». Naturellement il est indispensable de se connecter au monde. Plus on est petit, plus on est isolé comme nous le sommes, plus il est important de multiplier les connexions. C’est ce que Maurice n’a ja- mais cessé de faire. C’est ainsi qu’elle est présente dans de nombreuses organisations notamment dans la région, SADC, COMESA, COI, IOR, ailleurs Commonwealth et Francophonie, Inde et Chine. Globalement cela sert nos intérêts, mais nous sommes accusés de manger à tous les râteliers.

En 2018, où en sommes-nous ? 

Globalement, l’image du pays reste positive. Sa démocratie, sa stabilité politique, sa gestion réussie de la diversité culturelle, ses résultats économiques, sa résilience, ses ins- titutions, font qu’elle donne l’image d’un pays moderne et ambitieux.

Quel est votre souhait pour le pays dans le secteur de la diplomatie ? 

J’enrage quand je lis que 50 ans après l’Indépendance nous ne sommes toujours pas une nation! Bien sûr que nous sommes une nation, et pas depuis 50 ans. Nous sommes un État depuis 50 ans mais nous sommes une nation depuis plus de trois siècles. 

Qu’est-ce qu’une nation ? Une nation est une construction politique. Une volonté partagée de vivre ensemble sur un même sol en partageant un certain nombre de valeurs communes. C’est ce que nous sommes. Les enfants de la volonté de nos ancêtres de s’installer ici, d’y construire leur vie, aux côtés et avec les autres. Dans la somme totale de souvenirs communs et dans une volonté commune d’avancer ensemble. Que les autres ne nous ressemblent pas toujours, n’est pas le sujet. La nation reconnaît les identités multiples de ses citoyens.

Les grandes dates de la diplomatie mauricienne

1968 Maurice rejoint le Mouvement des non-alignés.
1968 Maurice devient membre de l’Organisation de l’Union africaine (OUA).
1971 Maurice intègre l’Organisation commune africaine, malgache et mauricienne (OCAM).
1972 Maurice rejoint la convention Yaoundé 2. À travers cette convention, les anciennes colonies françaises d’Afrique pouvaient avoir des bénéfices sur les plans commercial et économique.
1972 L’île Maurice reconnaît la Chine communiste. Un accord de coopération économique est signé.
1973 Une conférence des chefs d’États et de gouvernement de l’OCAM a lieu à Port-Louis.
1975 Maurice devient membre la convention de Lomé. C’est là que la convention Yaoundé cède la place à la convention de Lomé avec les pays du Pacifique et des Caraïbes. À la clé des facilités dans les secteurs de la finance, de l’agriculture et du commerce, entre autres.
1975 Le protocole sucre voit le jour via la convention de Lomé.
1976 Maurice accueille le sommet de l’OUA. Sir Seewoosagur Ramgoolam devient le président de l’organisation.
1981- Maurice est l’un des membres fondateur du Preferential Trade Area qui a par la suite fait place au Common Market for Eastern and Southern Africa.
1982 La Commission de l’océan Indien (COI) est créée.
1983, Maurice obtient une grande victoire avec le mouvement des non-alignés qui reconnaît la souveraineté de Maurice sur les Chagos.
1984 La COI est institutionnalisée.
1995 Maurice rejoint la Southern African Development Community (SADC).
1995 Vijay Makhan est élu secrétaire général adjoint de l’OUA.
1995 Maurice organise la première réunion de l’Indian Ocean Rim Association (IORA) avec des représentants de gouvernement de sept pays.
2004 Paul Bérenger accède à la présidence de la SADC.

L’île Maurice présente dans vingt pays

Le 30 janvier 1968, ni l’express ni les autres titres de l’époque ne paraissent, ce qui explique l’absence de photos de ce jour-là.

50 ans après son Indépendance, Maurice est aujourd’hui présente aux quatre coins du monde grâce à des ambassades dans vingt pays. Une centaine de Mauriciens sont employés au sein des ambassades. 

Si elles font généralement le pont entre deux pays, il existe certaines exceptions. La pré- sence de Maurice à New York par exemple, sert à faire le lien entre les Nations unies et notre île. 

Notre présence à Genève est à la fois bilatérale et multilatérale car il s’agit non seulement d’une liaison directe entre Maurice et la Suisse mais aussi entre Mau- rice et, encore une fois, les Nations unies. En Éthiopie, outre la relation entre les deux pays,l’ambassade de Maurice assure aussi sa pré- sence au sein de l’Union africaine.

«Notre territoire pas totalement décolonisé»

Pour Milan Meetarbhan, ancien ambassadeur aux Nations-unies, on ne peut pas parler de l’Indépendance de Maurice sans un clin d’œil à l’excision des Chagos de notre territoire. «Il y a une partie du territoire colonial qui a été détachée de Maurice avant l’Indépendance. Il s’agit là d’une violation du principe d’autodétermination car Maurice n’a donc pas été totalement décolonisé. L’ensemble du territoire mauricien n’a donc pas accédé à l’indépendance», dit-il. 

Selon lui, le dossier Chagos est très lié à notre histoire pour l’accession au statut d’État indépendant. «Notre combat pour retrouver la souveraineté sur les Chagos est basé sur un principe, il s’agit de la protection de notre intégrité territoriale.» 

Notre position géographique a-t-elle généré d’autres convoitises en 1968 ? Milan Meetarbhan explique que s’il est vrai que Maurice s’étend sur une grande zone maritime dans l’océan Indien, à l’époque, l’aspect géographique était un facteur important mais elle n’était pas prise en compte sur la décision d’établir des liens diplomatiques.

Extraits des propos de Vijay Makhan

Vijay Makhan, ancien secrétaire aux Affaires étrangères et ancien secrétaire général adjoint de l’Union africaine, a su trouver les mots exacts pour décrire les grands moments de la diplomatie mauricienne. Voici quelques-uns des extraits les plus pertinents. 

“African unity at 50: Trials and Tribulations” (l’express-mai 2013) 

When the Organisation of African Unity (OAU) was formed in Addis Ababa, 50 years ago, (...) the continent was in the midst of a fierce ideological debate as to the thrust the ‘unity’ should take. (...) A number of very important declarations and resolutions have been adopted, covering a variety of sectors in the political, economic, social and cultural fields. The Cairo Agenda for Action of 1995, the outright condemnation of any unconstitutional change of government adopted in 1997 in Harare, Zimbabwe are, perhaps, among the most far-reaching declarations and decisions adopted and taken by the OAU, reconfirmed in the Constitutive Act of its successor, the African Union, launched in 2002. The erstwhile OAU principle of non-interference in internal affairs of member states has been replaced by a right to intervene in cases of gross violation of human rights and genocide. The AU is exponentially involved as facilitator and mediator in a number of conflict situations. 

«La Grande Trahison!» (l’express-décembre 2014) 

Cinq candidats étaient en lice pour le poste de Secrétaire général de l’OIF. Certes, tous pouvaient se vanter d’avoir des atouts solides, certains évidemment plus que d’autres. Mais celui qui avait émergé du lot, il ne faisait aucun doute, c’était bien Jean Claude de L’Estrac. (...) Il avait trouvé le bon filon pour élever l’organisation qu’il ambitionnait de diriger à un niveau supérieur tout en consolidant l’héritage de l’illustre Abdou Diouf (...) Mais au final c’était la politique, voire la géopolitique, qui allait prendre le dessus ! (...) 

Une première conclusion? L’Afrique a été trahie et s’est encore une fois désolidarisée! Et en finalité, la perfidie n’est nullement une exclusivité de la Blonde Albion! 

Forum à discours ou partenariat concret ? (l’express-novembre 2017) 

En cette fin de mois, plus précisé- ment les 29 et 30 novembre, le sommet de l’Union africaine et l’Union euro- péenne (UE) se tiendra à Abidjan, Côte d’Ivoire. Ce sera la cinquième version de ce «partenariat»(…)Au fil des années, cette relation donateur-récipiendaire se consolidait davantage. L’UE était devenue la source incontournable de fonds de roulement et accessoirement de dé- veloppement. Les États africains, eux, étaient devenus pourvoyeurs de matières premières essentielles à l’économie européenne. Les rencontres collectives se faisaient principalement au niveau de l’UE–Afrique– Caraïbes–Pacifique, en se servant des instruments prévus dans les conventions successives.