
Kabir Ruhee, Chief Executive Officer (CEO) de Rogers Capital.
Le Mauritius Blockchain Center of Excellence (MBCE) est une des toutes premières initiatives visant à promouvoir l’éducation dans le domaine de la technologie blockchain. Kabir Ruhee s’explique sur la pertinence de cette technologie innovante.
Qu’est-ce que le MBCE offrira-t-il comme services ?
Le MBCE sera par exemple amené à organiser des conférences sur des thématiques telles que l’expérience client, la transparence ou encore l’inclusion. Le centre d’excellence pourra également faciliter l’organisation de sessions de travail regroupant des personnes complémentaires visant à développer des cas d'usage et des programmes pilotes.
«Maurice constitue un environnement idéal pour jouer le rôle de laboratoire blockchain. Le pays, qui représente le monde en miniature, dispose d’un écosystème très diversifié.»
Il est, en effet, essentiel que celui qui maîtrise les aspects techniques de la technologie blockchain puisse échanger et travailler avec celui qui comprend le modèle économique visé et aussi avec celui qui maîtrise les aspects légaux et règlementaires associés à cette technologie. Une blockchain existe dans un réseau, qui peut être ouvert (comme Bitcoin ou comme Internet) ou qui peut être fermé ou privé (comme un groupe privé ou un intranet).
À partir de là, toutes les procédures qui s’appuient sur des vérifications ou des validations par des métiers spécialisés, comme par exemple un notaire, un courtier d’assurance ou une banque centrale, peuvent avoir une application s’appuyant plutôt sur une blockchain. Bitcoin repose sur une blockchain publique, ouverte à tous.
Qu’est-ce qui pourrait justifier votre intérêt pour que Maurice soit partie prenante de l’avènement de la technologie blockchain ?
Maurice constitue un environnement idéal pour jouer le rôle de laboratoire blockchain. Le pays, qui représente le monde en miniature, dispose d’un écosystème très diversifié avec la présence d’industries très variées et une société dense et riche culturellement. Cela ouvre les portes à de très nombreuses possibilités de prototypes, qui restent néanmoins faciles à mettre en œuvre dans un environnement où tout est à petite échelle.
Maurice peut rayonner bien au-delà de ses frontières, notamment en validant de tels prototypes pour les appliquer à plus grande échelle à d'autres régions.
«Cette initiative s'adresse à tous ceux, individus ou entreprises, qui trouvent dans le concept de trust as a service une amélioration de leur fonctionnement au quotidien.»
À quel facteur attribuerez-vous le succès du Bitcoin ?
Le succès du Bitcoin réside essentiellement dans le fait que le réseau soit le plus résilient, le plus décentralisé, le plus ancien et sans doute le mieux maîtrisé à ce jour.
«Grâce aux pseudonymes, et en fonction des implémentations, un acteur étatique peut avoir les moyens de connaître les identités des participants à une blockchain publique.»
La technologie blockchain est jusqu’ici connue pour sa capacité à créer la crypto-monnaie qu’est le bitcoin. Que se propose donc de faire le MBCE sur le marché mauricien ?
Bitcoin s'appuie en effet sur la technologie blockchain. Il s'agit du cas d'usage le plus connu. Le MBCE pourrait accompagner le développement des projets liés à des blockchains publiques, mais également à celles qui sont privées, voire hybrides. Les cas d'usage sont infinis. Il n’y a pas encore de réelle visibilité sur l'étendue des possibilités découlant de cette technologie.
Prenons un exemple. Que peut faire la technologie blockchain par rapport à la lutte contre le blanchiment d'argent ?
Cette technologie pourrait à terme permettre de développer des bases de données susceptibles de simplifier les processus itératifs de connaissance des clients. Elle pourrait également automatiser l'exécution des smart contracts dont les conditions sont clairement déterminées à l'avance et stockées dans la blockchain.
Par exemple, les contrats d'assurance et les transferts de propriétés pourraient se faire dans une blockchain. Depuis cette année, des initiatives semblables réalisées par des opérateurs privés aux États-Unis et en Europe mettent en production des programmes pilotes intégrant des techniques de blockchain pour les industries de la protection financière et du droit.
Les technologies innovantes coûtent cher. Qu’en est-il de la blockchain ?
Le coût dépend de l’usage qu’on veut en faire. Dans certains cas, il devrait être comparable à celui des ressources informatiques classiques. Il y a même des gens qui font de la blockchain as a service. La blockchain est alors hébergée à distance et disponible dans un cloud.
Quelle est l’implication financière de l’investissement dans des blockchains publiques ?
Les blockchains publiques sont conçues autour d'un aspect «compétition» indispensable qui fait partie intégrante de la sécurisation des consensus au sein du réseau. Les blockchains publiques peuvent avoir des mécanismes gourmands en ressources. C'est le cas de bitcoin, par exemple, où la sécurisation du réseau repose sur la résolution de calculs artificiellement complexes. Ce processus requiert une gigantesque capacité de calcul et, par conséquent, une consommation très importante de ressources.
Dans un système ouvert, n'importe qui peut décider d'entrer dans la compétition avec comme motivation une récompense au bout de l'opération. Par exemple, les mineurs bitcoins résolvent des problèmes mathématiques complexes et sont rémunérés en bitcoins pour leur travail. C'est une caractéristique propre aux blockchains publiques où la compétition est vertueuse dans la sécurisation du système.
Qu’en est-il au niveau d’un système fermé ?
Dans un tel système, il y a par définition un nombre déterminé et limité de participants. Le consensus est obtenu par le biais d'un droit de vote distribué au départ, à la création du groupe. Les blockchains privées peuvent s'appuyer sur une autre méthode moins coûteuse, permettant d'arriver à un consensus au moyen d'ordinateurs contemporains présents dans tous les bureaux, grâce entre autres aux logiciels ou à des bases de données.
Dans cette configuration, seulement certaines machines sont autorisées en amont à valider les blocs, et donc à produire la blockchain. La puissance de calcul nécessaire est «normale». C’est l’équivalent de ce qui est aujourd'hui disponible sur le marché
Quelles implications techniques et technologiques l’installation d’une plateforme basée sur la technologie blockchain pourraient-elles occasionner ?
Cela dépend du projet. En fonction de la caractéristique blockchain, qu’elle soit ouverte, fermée ou hybride, du nombre d'utilisateurs, du volume d'utilisations prévu ou de la bande passante nécessaire, cela peut être très variable. La technologie blockchain s’appuie sur un écosystème déjà connu comprenant logiciel, processing power et connectivité.
Quid de ceux qui feront partie de la chaîne de service, des individus et/ou des sociétés ?
Cela peut être un individu ou une organisation. Cette initiative s'adresse à tous ceux, individus ou entreprises, qui trouvent dans le concept de trust as a service une amélioration de leur fonctionnement au quotidien. La recherche d’un service disponible sur une plateforme établie sur la technologie blockchain est destinée à des personnes avides de progrès, qui sont tournées vers l'innovation et capables de se remettre en question, et qui font preuve d’ouverture d’esprit.
Je vais me permettre d’établir trois catégories d’utilisateurs. D’abord, les clients finaux qui peuvent être transformés par cette technologie et qui ont envie de l'être. Ensuite, il y a ceux qui comprennent les concepts et les enjeux et qui souhaitent l'expliquer. Enfin, il y a ceux qui sont capables de l'implémenter et de construire les programmes. Ce sont entre autres les architectes et les ingénieurs-métiers.
Comment avoir accès à un service blockchain ?
En fonction du projet, c'est le cas d'usage qui en définit le coût. Par exemple, pour avoir accès à une base de données portant sur la connaissance d’un client, on peut avoir un coût mensuel ou un coût à l'entrée, ou encore une émission de mini bons, des tokens. Pour d'autres cas, on peut prélever une commission sur chaque transaction effectuée au sein de la blockchain.
Ces conditions financières sont définies à l'avance par les membres de la blockchain. Elles peuvent être réajustées par la suite, si tout le monde parvient à un accord par consensus. Les modèles économiques potentiels sont multiples.
Quelles sont les compétences de base requises pour faire son entrée dans l’univers de la technologie blockchain ?
Une blockchain est un programme informatique, qui découle du domaine du software engineering. Or, d’éventuelles failles peuvent remettre en cause l'ensemble d’un système. Elles sont plus difficiles à mitiger que si elles s’étaient manifestées dans un système informatique classique.
Prenons l’exemple d’un smart contract qui est un programme stocké et exécuté par une blockchain. Une fois déployé, il n’est en principe pas modifiable. Donc, si un smart contract contient un bug, cela peut être catastrophique.
C’est ce qu’il s’est passé avec la DAO, un fonds d'investissement décentralisé sur Etherum. Une faille de conception a permis à un hacker de détourner des dizaines de millions de dollars. Il faut donc avoir de solides compétences techniques et opérationnelles en développement logiciel.
La technologie blockchain est-elle cantonnée qu’au monde des affaires et à ses implications ?
Pas seulement. La blockchain peut résoudre des problématiques de gouvernance, d'administration publique ou privée, de transfert d'argent rapide et sécurisé entre particuliers. Tous les secteurs seront impactés, depuis l’agriculture, en passant par la logistique, la santé ou encore le secteur financier.
Un des défis que pose la technologie blockchain est son mode de fonctionnement associé à la protection des identités par le biais de l’utilisation de pseudonymes, considérée à tort ou à raison comme de l’opacité. Comment l’obligation de bien cerner l’identité d’un utilisateur va-t-elle se faire ?
Grâce aux pseudonymes, et en fonction des implémentations, un acteur étatique peut avoir les moyens de connaître les identités des participants à une blockchain publique. En effet, la «théorie des graphes», qui est une théorie mathématique, permet de suivre une transaction de bout en bout et de retracer les échanges entre pseudonymes, ce qui apporte une certaine transparence.
Il existe certes une certaine opacité, mais une opacité relative. Aujourd'hui, la plupart des vendeurs professionnels du bitcoin ont des procédures de vérification des identités très similaires à celles des banques. À la Maison du Bitcoin, à Paris, chaque client qui souhaite acheter ou vendre des bitcoins est soigneusement répertorié. Ces informations sont laissées à la disposition des autorités, dont l'Autorité des marchés financiers ou autre administration fiscale, en cas de contrôle.
Comment la question de contrôle sera-t-elle gérée vu que Maurice ne dispose pas encore d’un organisme régulateur de toutes les sociétés qui proposent des activités basées sur le potentiel des technologies innovantes ?
Certains sites centralisent et mettent en relation les vendeurs et les acheteurs. Et avant de les autoriser à utiliser leur plateforme, qui est une place de marché, ces sites vont appliquer des procédures régulatrices classiques. Le contrôle se fait aujourd’hui au niveau du point d'entrée.
De tels sites devraient porter la responsabilité de mettre en place des procédures susceptibles de retracer les identités et de prévenir contre les risques de délit de blanchiment d’argent notamment, ainsi que toute autre procédure de contrôle.