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Journée internationale: Vanessa, pute et alors ?

17 décembre 2017, 22:28

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Journée internationale: Vanessa, pute et alors ?

Remisez vos idées reçues : les travailleuses du sexe ne vendent pas toutes leur corps parce qu’elles sont désargentées, sous l’emprise de la drogue ou d’un amant souteneur. La majorité, selon Parapli Rouz, le font par choix. Pour Vanessa, l’une d’elles, c’est un emploi comme un autre. Elle demande, d’ailleurs, qu’on la laisse travailler en paix.

Vanessa, 32 ans, n’est ni droguée, ni alcoolique. Elle paraît frêle. Si bien qu’on a du mal à croire que cette femme, déjà mère de deux garçons, de 14 et 3 ans respectivement, ait accouché d’une petite fille il y a un mois. «Ler pé kas enn ti yen sa, linn vinn enn gro yen», raconte-t-elle en riant à propos de cette grossesse inattendue. Généralement peu loquace, elle a accepté le principe de l’interview en raison des liens qu’elle entretient avec Parapli Rouz, organisation non gouvernementale offrant depuis 2015 un soutien légal et éducatif aux travailleuses du sexe. Des liens solides qui lui font dire que «vo mié gagn zafer ar kamarad ki fami. Mo fami sé isi», dit-elle en désignant le local qui abrite l’ONG.

L’on sent en elle une colère refoulée. Elle le reconnaît. Ce sentiment est motivé par le fait qu’au moment de son accouchement, il y a un mois, l’infirmière a révélé à ses proches qu’elle était séropositive. «Sa finn vinn enn palab. Monn asizé monn ploré. Samem mo éna koler dan mwa», confie-t-elle.

Vanessa est originaire de Port-Louis. Elle et sa soeur ont été élevées par leurs grands-parents paternels car «papa ti fermé. Mama pa koné kot li ti été». Elle a été scolarisée jusqu’en Std VI. C’était son grand-père qui travaillait dans les docks et sa grand-mère qui était employée d’hôpital qui pourvoyaient à leurs besoins jusqu’à l’âge adulte.

À un moment, elle fréquente un homme qui, en sus de la brutaliser, lui fait un enfant avant de la laisser en plan en le découvrant. «Nounn roul ansam ek ler zom-la koné mo ansint, linn alé ni vu, ni connu». À la mort du grandpère, la santé de sa grand-mère se détériore. «Mo grand-mère ti ena 94 an ek ler li tom malad, lerla ki mo koumans trasé.»

Subit-elle l’influence d’amis pour en arriver là ? Pas du tout. «Monn komans fer li par mo prop volonté.» Que savait-elle alors du travail du sexe pour le privilégier plutôt qu’un autre emploi ? «Mo trouvé. Ler mo pas par enn simin, mo trouvé (NdlR : elle voit des travailleuses du sexe attendant des clients). Ler mo al dansé, mo trouvé. Monn trouvé ki mo kapav fer li pou mo gagn mo dipin.»

Elle se rend donc en discothèque à Grand-Baie. Elle a beau trasé depuis neuf ans et avoir eu un nombre incalculable de clients, elle n’oublie pas le premier, un Réunionnais. C’est dans un pensionnat qu’elle ramène ses clients. À force, elle a établi son emploi du temps qui lui permet de travailler et de s’occuper des siens. Ainsi, elle tras de jeudi à dimanche, levant des clients dans une discothèque du nord de l’île. Les mauvais jours, elle ne se fait qu’un client. Ce qui lui rapporte environ Rs 1 500. Les jours de chance, cela peut aller jusqu’à trois clients par nuit. Le montant le plus important qu’elle ait ramené après une nuit de travail intense est Rs 10 000. Une autre idée reçue, c’est que ce sont des pervers et autres sadiques qui font appel aux travailleuses du sexe. «Pa zis ti dimounn ki vinn get nou. Éna zom maryé, éna dimounn ki travay dan gran biro. Sé tou dimounn ki koné ki apel gagn bon»

Elle sait qu’elle pratique un métier à haut risque mais elle refuse de prendre un souteneur, préférant le travail en solo. «Klian inn déza violan. Éna dé fason zot violan. Éna ki pa lé met préservatif. É sa mo réfizé. Éna ki rod baté. Monn fini aranz mwa ar Misié lor résepsion. Monn dir si tann mwa kriyé, to servi to doub laklé, to ouver laport ek vinn tir mwa.» N’a-telle jamais craint pour sa vie ? «Mo pa per. Mo dimann Bondié kouraz.»

Elle a déjà eu maille à partir avec «enn gro lapolis», qui a débarqué matraque en main alors qu’elle était assise, en bonne compagnie, sur la plage de Trou-d’Eau-Douce. «Nou zis ti pé asizé. Sa gro lapolis-la inn zour nou ek inn rod bat nou ar son matrak. Nounn oblizé sové.»

Elle n’a jamais été embarquée par les flics. «Mo pankor koné ki sa lé dir kaso. Mé pa kapav dir zamé», dit-elle philosophiquement. De toutes les façons, elle n’aime pas les flics en raison de ce qu’elle entend ses semblables raconter et ce dont elle a été témoin dans le pensionnat qu’elle fréquente. «Éna bann rékins (NdlR : des policiers) ki ler sa aranz zot, zot pran twa ek zot amenn twa dan lasam. Zot fer santaz ar twa : fer zot enn short e si to réfizé to al dan kaso. Parfwa to fer tou mé sa pa anpes zot fou twa andan. Éna kout, zot ras kas ar bann tifi la ek to al koumsa mem. Trouv zot boukou ler la fin di mwa aprosé, ver le 25, 26, 27 parla.» Sont-ils en uniforme ? «Non, zot an sivil.» Comment savoir s’ils sont vraiment des policiers ? «To get zot stil to fini koné. Zot éna figir ki res dans latet.»

Vanessa n’a pas dit au père de sa fille qu’elle était une travailleuse du sexe. Et même si cet homme voulait l’épouser, elle refuserait. «Mil fwa mo éna kat-sink mouton ki mo éna enn gro bef sinyan ar mwa é ki bat mwa.» Ses fils non plus ne savent pas comment elle gagne sa vie. «Mo dir zot mo pé al travay ek travay mo fer pa konsern zot.»

Et dans sa tête, il s’agit d’un métier comme d’un autre. «Li parey kouma tou travay. Éna al vann légim lor lagar, mwa mo vann mo lékor, mo pa gagn drwa ?» Elle se dit fière de son travail et d’elle. «Mo marsé latet ot. Ler dimounn dir mwa p… lor simin, mo riyé. Éna ki dir : Ki manier p… ? Mo dir : Korek sa. Ler dimounn dir mwa mo pé al donn f…, mo dir : Korek sa, to lé mo amenn to mama ! Mo anvi dir dimounn les nou travay an pé. Mo pé travay kouma tou dimounn, mo pa pé kokin. Zot bizin sanz zot régar lor nou… »

«Certains policiers harcèlent les travailleuses du sexe»

<p>La Journée internationale pour mettre fin à la violence envers les travailleurs du sexe est organisée en mémoire de la centaine de travailleuses du sexe assassinées entre les années 80 et 90 aux États-Unis par le tueur en série <em>Gary Leon Ridgway</em> et est destinée à dénoncer et sensibiliser à propos des violences subies par ces femmes.</p>

<p>Shameema Boyroo, <em>Outreach Worker</em> chez <em>Parapli Rouz</em>, déclare que malgré la sensibilisation effectuée, la violence est encore très présente. Les plus gros problèmes rencontrés par les travailleuses du sexe en 2017 sont avec des policiers, notamment avec une unité appelée Tornado, mise sur pied pour mettre de l&rsquo;ordre à Port-Louis. Selon Shameema Boyroo, certains membres de cette unité font des descentes armés de tazers et de fils électriques et n&rsquo;hésitent pas à les utiliser sur les travailleuses du sexe. Elle dit avoir vu six à sept policiers en civil et un en uniforme débarquer un soir avant 20 h 30 au jardin de la Compagnie alors que Parapli Rouz y effectuait une prévention.<em> &laquo;Nou ti dan véikil Parapli Rouz é bann polisié-la inn vinn dir nou ki nou pé fer rasanbléman ilégal. Ler monn sonn nou avokt, zot inn met difil kouran-la deryer zot lédo.&raquo;</em></p>

<p>Les travailleuses du sexe se plaignent aussi à Parapli Rouz des refus systématiques qu&rsquo;elles essuient lorsqu&rsquo;elles essaient d&rsquo;obtenir une maison de la National Empowerment Foundation. La version officielle est que le moment n&rsquo;est pas approprié pour faire de telles démarches <em>&laquo;alors ki zot koné sé parski zot pé trasé&raquo;. </em>Elles font aussi face au refus de la direction de certaines écoles d&rsquo;admettre leurs enfants<em> &laquo;parski zot mama trasé&raquo;</em>, de l&rsquo;interdiction très audible par un membre du personnel hospitalier qu&rsquo;une mère baigne son bébé dans la baignoire de l&rsquo;hôpital parce qu&rsquo;elle est travailleuse du sexe. Ou encore de cette travailleuse du sexe battue régulièrement par son compagnon et dont la plainte n&rsquo;est pas enregistrée par les policiers parce qu&rsquo;ils estiment qu&rsquo;elle est de facto en tort. Les commentaires méchants des internautes après des reportages sur les travailleuses du sexe postés sur les réseaux sociaux sont aussi mentionnés. Interrogé quant à l&rsquo;attitude de l&rsquo;unité Tornado, l&rsquo;inspecteur Shiva Coothen, <em>Police Press Officer</em>, a déclaré que la police reçoit quotidiennement des plaintes du public concernant le comportement des travailleuses du sexe et de leur souteneur dans des lieux publics à Port-Louis et à Rose-Hill. <em>&laquo;La police ne peut faire la sourde oreille à ces plaintes et doit faire respecter la loi. On envoie une équipe pour leur demander de vider les lieux. Mais la police n&rsquo;utilise pas de tasers, ni de fils électriques.&raquo;</em> Par rapport aux policiers racketteurs, il dit n&rsquo;avoir reçu aucune plainte formelle à ce sujet. <em>&laquo;Tout crime doit être rapporté. La police n&rsquo;a pas le droit d&rsquo;abuser de son pouvoir.&raquo;</em></p>