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Barcelone : «Si nous instaurons une république plus égalitaire, je veux bien perdre en pouvoir d'achat»

10 octobre 2017, 00:45

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Barcelone : «Si nous instaurons une république plus égalitaire, je veux bien perdre en pouvoir d'achat»

A la veille d'une possible déclaration unilatérale d'indépendance de la Catalogne, sur le campus de l'université de la capitale catalane, les étudiants semblent défendre majoritairement la rupture avec l'Espagne.

A la veille d’une décision qui pourrait changer le destin de la Catalogne, et alors que la maire de Barcelone, Ada Colau, s’est prononcée dans la soirée contre une déclaration unilatérale d’indépendance du gouvernement de la région, on ne ressent aucune tension particulière dans les rues du centre, peut-être parce que l’hyper-centre de la capitale, entre les Ramblas et la plaça de Catalunya, est un espace cosmopolite et commerçant, dédié pour une grande part au tourisme. Plus tôt dans la journée, tout près de là, une fois poussées les portes de l’université, une immense bâtisse de style néogothique, le calme est encore plus grand. Un patio avec une fontaine, de petits jardins ombragés colonisés par les chats, des amoureux sur les bancs de fer et des étudiants les yeux rivés sur l’écran du smartphone. C’est l’heure du déjeuner, certaines et certains ont sorti leur taper (diminutif de Tupperware), car une salade bio à 4 euros, comme on en trouve à proximité, c’est encore trop cher pour le budget de beaucoup d’étudiants.

Adria, 23 ans, est inscrit en philo. Son tee-shirt annonce la couleur : «antifeixista sempre» («antifasciste toujours») écrit en blanc sur fond noir. Le 1er octobre, il est allé voter lors du référendum convoqué par l’assemblée régionale, jugé illégal par l’autorité centrale. «C’était très beau, commente-t-il, de voir tous ces gens unir leurs efforts dans une forme d’autogestion. La police nationale avait confisqué quatre urnes au petit matin, nous en avions caché deux qui nous ont permis de voter.» Le jeune homme habite la Barceloneta, ancien quartier de pêcheurs devenu attraction touristique, et se définit comme proche de la Candidature d’unité populaire (CUP), le parti anticapitaliste qui représente l’extrême gauche du camp indépendantiste. Ce mardi, il espère que Carles Puigdemont, le président de la Catalogne, proclamera l’indépendance, comme le lui permet une loi votée par cette même assemblée. «C’est son devoir vis-à-vis des militants, dit Adria, une promesse qu’il faut maintenant tenir.»

Mais il n’exclut pas qu’une position plus modérée, qui reculerait l’échéance de la séparation, soit adoptée : «Puigdemont peut bien sûr dissoudre l’assemblée et convoquer de nouvelles élections, mais à quoi bon ? Elles donneront une majorité encore plus large aux indépendantistes.» L’autogouvernement, pour lui, «serait une façon de tout remettre à plat. De revenir sur la Constitution de 1978, si peu satisfaisante, avec une monarchie que personne n’a approuvée». Le Parti populaire de Mariano Rajoy, au pouvoir à Madrid, est, selon Aria, «un anachronisme, un héritage du franquisme». Il est pourtant conscient que les deux parties devront négocier. Mais l’issue ne peut être que la séparation : «La Catalogne et l’Espagne sont un couple divorcé qui partage un appartement, et ça ne peut pas durer éternellement.»

«La peur des représailles»

Sofia étudie l’anglais. La journée de mardi lui inspire «un peu de crainte. La peur des représailles, des charges de police». Le scrutin du 1er octobre a été son premier baptême électoral : elle a 18 ans. Sa famille vient du sud de l’Espagne, elle-même a appris le catalan à l’école : «L’indépendance ne m’a pas concernée jusqu’en 2012, avec la loi Wert. Le ministre de l’Education de Rajoy voulait faire adopter un texte qui aurait mis hors la loi le modèle d’immersion linguistique.» Une remise en cause des cours de l’école publique donnés en catalan. Une Catalogne indépendante hors UE, plus pauvre après le départ de nombreuses entreprises, ne va-t-elle pas assombrir son avenir professionnel ? La remarque la fait sourire : «Avec des études littéraires, je vois ma quel emploi je peux décrocher, indépendance ou pas. Un niveau de vie plus modeste ? Pour moi, qui ne viens pas d’un milieu aisé, je doute qu’il y ait une grande différence.»

Noelia suit des études de littérature espagnole et latino américaine. Elle a 30 ans et travaille depuis ses 16 ans. En ce moment, dans un restaurant italien. Mardi, elle souhaite que Carles Puigdemont fasse un pas en arrière : «Qu’il parle de l’indépendance mais qu’il ne la proclame pas tout de suite, ce n’est pas le moment.» Vivre dans un pays moins prospère ne l’effraie pas : «Si nous instaurons une république plus égalitaire, avec un projet de société plus respectueux des droits de chacun, je veux bien perdre en pouvoir d’achat. Sans hésitation.»

Arrière-goût amer

Victor, 21 ans, est inscrit à la fac de communication et espère devenir journaliste «dans la presse écrite, c’est-à-dire sur Internet, car le journal imprimé est condamné à disparaître. Et tant mieux, ça épargnera les arbres». La manifestation de dimanche lui laisse un arrière-goût amer : «Des symboles franquistes, des saluts nazis, chez nous à Barcelone, je ne pensais pas voir ça un jour.» Ce mardi, il souhaite pour sa part que le pas vers l’indépendance soit franchi : «La menace de la paupérisation, je suis prêt à courir le risque. Nous sommes un marché de 7 millions d’habitants, plusieurs pays d’Europe survivent avec moins d’habitants, même hors de l’UE. Bien sûr, mon père ne pense pas comme moi. Il se sent plus catalan qu’espagnol, mais il s’inquiète pour sa future retraite.»

De la dizaine d’étudiants rencontrés lundi après-midi, tous se disent indépendantistes et ont participé au vote du 1er octobre. L’université est-elle un fief séparatiste ? «En cherchant bien vous finirez par trouver un ou une unioniste, nous dit très sérieusement Victor. Mais à la fac, mais nous sommes en effet très majoritaires. Peut-être parce que les études supérieures supposent un certain niveau intellectuel.»