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François de Senneville: «Il ne faut pas se précipiter pour la renégociation des conventions bilatérales»

1 septembre 2017, 19:45

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François de Senneville: «Il ne faut pas se précipiter pour la renégociation des conventions bilatérales»

D’origine mauricienne, vous visitez souvent le pays. Quel est l’objet de votre visite actuelle ?
Je suis venu représenter un de mes clients pour une acquisition immobilière dans un projet résidentiel mauricien. J’ai aussi répondu à l’invitation de Rogers Capital, qui a organisé une manifestation pour son French desk, mardi dernier. Ce, devant un parterre d’investisseurs français, incluant des représentants de PME, de personnes et de grands groupes. Je suis en charge du groupe Afrique du cabinet Fieldfisher et, à ce titre, je voyage régulièrement entre Maurice et Paris pour aider mes clients à structurer leurs projets en Afrique.

Quel aspect du développement réalisé par Maurice vous frappe le plus ?
Puisque je viens régulièrement à Maurice, il n’y a pas de rupture mais une continuité par rapport à mon appréciation de ce qui se passe au pays. Je relève surtout l’effort des autorités locales pour les infrastructures. 

Je lis la presse mauricienne et je constate que c’est un sujet considéré comme prioritaire pour les autorités et un thème majeur pour nos gouvernants. Lorsque vous arrivez au nouvel aéroport et que vous empruntez l’autoroute de Verdun, qui traverse la chaîne de montagnes sur la partie nord de l’île, il faut reconnaître qu’un effort substantiel a été déployé pour mettre en place une telle infrastructure.
 
Maurice fait partie des dix juridictions qui ont obtenu la mention conforme dans le cadre d’un test réalisé par le Forum mondial sur l’échange des renseignements. Quelle est la portée de ce résultat pour le secteur mauricien des services financiers ?
Cette information est importante car elle permet de communiquer les atouts de la destination mauricienne pour y faire des affaires. Au niveau mondial, un combat majeur est mené pour lutter contre la fraude, le blanchiment et l’accès à l’information des pays. Le fait que les États aident les juridictions des pays investisseurs à comprendre ce qui s’y passe nous évite de faux procès, de mauvais débats sur la qualité de notre juridiction.

Maurice se prépare à renégocier les conventions bilatérales qui n’ont pas été incluses dans la liste soumise à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Quels sont les éléments de ces conventions dont il faut se débarrasser, qu’il faut retenir et les éléments qu’il faut absolument inclure dans ces conventions fiscales ?
Il ne faut pas se précipiter sur cet exercice de renégociation. Je ne suggère pas d’éviter la renégociation. Lorsqu’on est dans une phase de négociation avec des partenaires, il y a plusieurs façons de s’y prendre. Il y en a qui ne ressemblent pas à des négociations. D’autres qui le sont de façon plus équilibrée. La France, qui est parmi les moteurs pour cette renégociation, s’est engagée sous réserve de confirmation. Il ne faut pas essayer d’être plus royaliste que le roi ou d’aller plus vite que les initiateurs de ces projets.

Quelle serait la meilleure stratégie à adopter ?
Partager l’information avec les acteurs locaux, les management companies, les experts de la fiscalité et aller pas à pas. Il n’y a rien de mauvais dans les conventions fiscales existantes, une convention dont l’objectif consiste à éviter la double imposition est un instrument gagnant-gagnant parmi les États concernés. C’est la façon dont on l’utilise qui peut poser problème.

Quel mauvais usage peut-on faire d’une convention ?
C’est lorsqu’on l’utilise pour faire du treaty shopping. Un certain nombre d’acteurs économiques utilisent ces conventions rien que pour tirer profit des avantages fiscaux qu’elles permettent. Ce qui est répréhensible. À chaque fois qu’on parvient à réfréner le treaty shopping, c’est une bonne chose.

Comment s’y prendre pour éviter d’être taxé de juridiction là où l’on ne fait que du «treaty shopping» ?
Il faut évidemment que les projets des investisseurs soient accompagnés par l’expertise voulue, qui combine à la fois, dans mon cas, le droit français et le droit mauricien. C’est lorsque l’accompagnement pose problème que votre projet peut être contesté.

En quoi consisterait votre conseil ?
Allons-y pas à pas. Prenons le temps d’échanger. Maurice a une bonne image de fonctionnement entre ses secteurs public et privé et les opérateurs. Ne nous passons pas de cet atout. Car lorsqu’on appose sa signature au bas d’un traité qui a pris une décennie pour être conclu et qui représente un des arguments de notre compétitivité en Afrique, il faut tout faire pour ne pas mettre de côté un tel avantage et perdre en compétitivité.

La nécessité pour les investisseurs d’honorer leurs obligations à l’égard des pays où leur principale activité est effectuée n’est pas souhaitée seulement par l’OCDE mais aussi par les pays africains. Comment le secteur mauricien des services financiers devrait-il s’y prendre pour qu’il ne soit pas perçu comme un pilleur des ressources du continent africain ? 
L’Afrique francophone représente plus de 40 % du territoire du continent africain et les États indépendants, de nos jours, ont pris du bon et du moins bon de la métropole.

Qu’est-ce qu’ils ont retenu dans la catégorie des pratiques moins correctes ?
La fiscalité. Il y a eu une opération de copier-coller de ce qui existe en France, y compris l’ambition d’avoir des taux importants. Je parle en tant qu’Africain et en tant que Mauricien, avec une volonté d’un développement commun Sud-Sud. C’est notre agenda, notre destinée et c’est bien sûr là-dessus qu’il faut progresser.

Cela vous choque-t-il lorsque les pays africains réclament leur part du gâteau ?
C’est une revendication tout à fait naturelle. Cependant, la question est comment on y parvient. Il y a beaucoup de bonnes nouvelles sur l’Afrique mais il y a une qui est très mauvaise.

Laquelle ?
Le record mondial d’imposition des PME.

Quel est le taux qui y est imposé ?
Un taux effectif de plus de 53 %.

Quelle est la moyenne mondiale ?
Elle est de 48 %.

En quoi le taux élevé d’imposition peut-il être préjudiciable à l’Afrique ?
Sa fiscalité trop importante est un des freins majeurs à son développement. Maurice en est l’illustration. Lorsque Maurice a décidé de baisser ses impôts, on n’a jamais obtenu une manne fiscale aussi importante que depuis qu’on l’a fait. On a un best practice à partager avec nos amis africains.

C’est donc la manne fiscale qui justifie le recours à un taux d’imposition élevé ?
En l’absence d’une manne fiscale pour appliquer un taux important, cela ne peut générer des recettes fiscales très importantes.

Quels sont les problèmes qui peuvent surgir en Afrique avec un taux important ?
Il y a une administration fiscale qui est embryonnaire et qui manque de moyens avec des phénomènes de corruption. Un fonctionnaire mal payé a souvent tendance à se payer lui-même. Cette approche fiscale du continent a montré ses limites.

Quelle devrait être la posture de Maurice dans une telle situation ?
Nous devrions, avec nos pays frères africains, opter pour un partage du gâteau. Je me méfie lorsqu’on décide de nous aider, qu’on se précipite de l’Europe et l’Occident. Le continent est en train de démarrer, Maurice aussi. On est indépendant. Je suis obligé d’avoir un oeil critique en m’interrogeant sur cet engouement récent. Est-ce pour lutter contre la fraude et l’évasion pour lesquelles on s’était longtemps accommodé ? On devient de réels compétiteurs de ces pays occidentaux endettés et qui ont besoin de récupérer une manne fiscale, même lorsque l’opération ne se passe pas dans ces pays-là.