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Dominique Chan Low: «1 713 personnes emprisonnées à cause d’une amende impayée…»

26 juillet 2017, 22:25

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Dominique Chan Low: «1 713 personnes emprisonnées à cause d’une amende impayée…»

Les ex-détenus ont du mal à se trouver un emploi et être réinsérés dans la société. Notamment, car les stéréotypes et le certificat de caractère jouent contre eux. Dominique Chan Low est d’avis que les programmes de réinsertion peuvent aider ces individus à se faire accepter et ainsi baisser le taux de récidive.

Les derniers chiffres de Statistics Mauritius démontrent qu’en 2016, 67 % des prisonniers étaient des récidivistes. Quelle analyse en faites-vous ?
Si on compare les chiffres depuis 2010, on voit que la récidive a baissé. Le taux est passé de 90 % à 67 %. Le chiffre était le même l’année dernière. C’est resté stable. En 2015 aussi. La population rajeunit, certes, mais avec les programmes en prison, moins de détenus récidivent. Des personnes qui ont été condamnées, à un an ou deux ans de prison, ont toujours des procès en cour. Même si elles ont fini de purger leur peine, quand elles sortent, l’autre procès est entendu. Les procès sont en attente. Ils reviennent pour ces procès-là.

C’est toujours un gros chiffre…
En effet. En 2016, 46 % de détenus ont été condamnés pour vol, 9 % pour des délits liés aux drogues, 5 % pour agressions, 2 % pour des délits sexuels, 2 % pour fraude. Les récidivistes sont des personnes qui commettent des vols parce qu’ils n’arrivent pas à trouver leur place dans la société. Ils n’ont pas de certificat de caractère, donc pas d’emploi stable dans la plupart des cas. Pas de travail, pas d’argent pour se nourrir. Mais ça n’excuse pas le vol.

Le traitement «princier» – logé, nourri, blanchi – n’est-il pas aussi un facteur qui encourage la récidive ?
Ils ne sont pas aussi bien nourris et blanchis qu’on le dit. Ils ont une routine où ils doivent se réveiller très tôt. Le repas est servi à 10 heures. Ce n’est pas du riz frit, mine frit. Il peut y avoir également du poisson salé. C’est toujours la même portion. C’est presque la même nourriture toutes les semaines.

Pour Rs 775 dépensées au quotidien pour la prise en charge d’un détenu ?
Ce montant comprend la nourriture des détenus, le salaire des officiers, la maintenance de la prison et la rémunération des détenus quand ils travaillent. Cela englobe toute l’opération à la prison.

L’entretien de liens d’amitié avec d’autres détenus, l’influence des pairs ne sont pas des raisons de récidiver ?
Il y a, certes, l’influence des pairs, mais beaucoup se méfient des autres détenus. Ils n’ont plus confiance. Ils ont été influencés par des amis. La plupart ne cherche pas à avoir des ennuis. Ils essaient de passer leur séjour en prison le plus tranquillement possible. Certains cherchent à avoir d’autres amis pour compenser la solitude.

Quel est le profil du récidiviste ?
La plupart vit dans l’extrême pauvreté, est sans emploi et est consommateur de drogue.

Bien souvent, un détenu commet un délit mineur mais retourne en prison pour d’autres délits plus graves…
Beaucoup de délits mineurs devraient passer par le service communautaire. Sauf que ces personnes sont envoyées en prison. Au total, 1 091 personnes ont fait de la prison parce qu’elles n’ont pas payé une amende de moins de Rs 1 000. Ceux qui n’ont pas payé des amendes de moins de Rs 5 000 sont au nombre de 622. Au lieu de faire de la prison, il fallait proposer comme peine des travaux d’intérêt général pour qu’ils n’aient pas ce frottement avec le milieu carcéral. Une prison, ça change une personne même si c’est pour un jour. Que ce soit négatif ou positif.

Le fait que le nombre de récidivistes reste stable, avec un chiffre élevé, n’est-il pas un indicateur que les plans de réinsertion, réhabilitation ne fonctionnent pas ?
Tout le programme que la prison et les ONG peuvent faire entre les murs et en dehors pour la réinsertion est bloqué à cause du certificat de caractère. S’il y a davantage de contrôle dans la façon dont les employeurs embauchent ces personnes, les choses vont changer. La plupart de ces personnes n’a pas terminé sa scolarité. Elles cherchent de petits emplois. Or, ce sont ces jobs qui requièrent le certificat de caractère. Si on donne la chance à ces personnes de trouver un emploi stable, le nombre de récidives va baisser. L’État va dépenser moins d’argent à la prison et sur la réhabilitation et plus d’argent vers d’autres ressources nécessaires pour le pays. C’est la barrière numéro un.

«Les prisonniers ne sont pas aussi bien nourris et blanchis qu’on le dit. Le repas est servi à 10 heures. Ce n’est pas du riz frit, mine frit. Il peut y avoir également du poisson salé...» 

Quelles sont les autres barrières ?
Tout d’abord, la famille qui ne veut pas pardonner. Ensuite, la société qui, elle non plus, ne veut pas pardonner. Il y a la prolifération de la drogue et, finalement, les détenus peuvent devenir une barrière à eux-mêmes pour la réinsertion. Il leur faut beaucoup de bonne volonté pour s’en sortir.

Ce n’est pas toujours le cas ?
Ça dépend de la personne. La réinsertion et la réhabilitation sont un long processus et il y a beaucoup de rechute. Certains ont besoin de rechuter plusieurs fois pour s’en sortir.

N’est-il pas difficile pour un prisonnier de se réhabiliter ?
Avec un bon encadrement et une loi qui n’est pas répressive, la réhabilitation n’est pas impossible. Nous avons un taux de 95 % qui réussissent à trouver leur place dans la société. Seulement 5 % des 500 détenus et ex-détenus récidivent. On fait en sorte que pas plus de 5 % ne retournent en prison.

En quoi consiste la réinsertion d’un prisonnier ?
Les problèmes diffèrent. Nous traitons chaque prisonnier différemment. Nous faisons une séance de conseils. Nous regardons le plan qu’ils ont pour leur autonomie. Leurs difficultés s’ils travaillent. Nous les guidons. Ils font 90 % du boulot et nous 10 %. Nous suivons aussi la famille. Les membres ont assisté à l’emprisonnement du conjoint. Un suivi de l’enfant pour qu’il ne devienne pas un délinquant plus tard. La réinsertion commence à l’intérieur de la prison. Pour certains, cela se fait à l’extérieur quand ils ont terminé de purger leur peine.

Partagez avec nous une «success story».
Il y a un sans domicile fixe qui a fait le va-et-vient entre la prison et la rue pendant 20 ans. C’était un ancien consommateur de drogue. Il a voulu entrer dans notre programme. Depuis deux ans et demi, il n’a plus fait de prison. Il a un emploi stable, touche un salaire et a un toit pour dormir. Il y a même des femmes qui sont aujourd’hui des entrepreneurs. Sur 100 personnes interviewées, 80 sont stables et n’ont pas besoin d’aide. Vingt sont toujours en train d’être suivies pour avoir une stabilité.

L’ancien commissaire Jean Bruneau croyait, lui, à la réhabilitation. Le programme marche-t-il vraiment ?
Ce programme marche et continue à marcher. Le programme est resté le même. Ce n’est pas juste les officiers, le welfare, c’est aussi les ONG pour encadrer les détenus et les officiers. Ce sont des programmes volontaires. C’est aux prisonniers de choisir s’ils veulent venir ou pas. S’ils se sentent prêts pour la réinsertion, ils viendront. On ne peut pas les forcer. S’ils se sentent forcés de suivre le programme, ils ne vont pas le prendre au sérieux. Il faut avoir une bonne dynamique de groupe. Nous le faisons deux fois par semaine à la prison de Melrose et Beau-Bassin.

Ce système qui marche, peut-on le rendre encore plus efficace ? Comment ?
Oui. Nous voulons employer plus de personnes. On n’a pas suffisamment de staff et de moyens financiers. Nous avons un programme pour toucher toutes les prisons et tous les détenus et ainsi diminuer les récidives et encadrer les personnes à l’extérieur. Sans financement, c’est impossible. 80 % de notre budget c’est pour les bénéficiaires et 20 % pour le salaire des employés de l’ONG. Les fonds ne proviennent que de la Corporate Social Responsibility.