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Anjena Seewooruthun: «Signes manifestes de l’émergence d’une troisième force»

21 juillet 2017, 09:36

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Anjena Seewooruthun: «Signes manifestes de l’émergence d’une troisième force»

Anjena Seewooruthun est consultante et formatrice chez KDI Asia Pte Ltd, un prestataire de services dans le domaine du conseil dans diverses filières d’activités, dont la gestion du changement. Elle vient de faire paraître Facilitating Change, qui se veut un livre de chevet pour tout responsable de gestion du changement. Il vise notamment ceux qui accompagnent des projets d’envergure pouvant avoir un impact sur des organisations ou la société elle-même.Interview.

Quels sont les secteurs où des changements qui interviendront auront un impact sur le pays en général ?

Le secteur de la technologie de l’information est certainement celui où des transformations vont intervenir. L’innovation, qui en est une des principales caractéristiques, est synonyme de changement. C’est un phénomène que l’on ne peut éviter. Il faut s’y adapter.

Il faut toutefois que cette adaptation soit de nature stratégique. Ce qui devrait nous permettre de comprendre comment la technologie peut être utilisée et qu’elle soit intégrée à nos problèmes économiques et sociaux. D’où la nécessité d’adopter une approche intégrée dans ce domaine.

Un autre secteur où il va y avoir des mutations est celui des services financiers. Il faut s’attendre à l’arrivée de nouvelles technologies qui vont provoquer une rupture par rapport à ce qui a existé précédemment. La technologie perturbatrice est un phénomène qui va toucher Maurice. Le blockchain est derrière la porte.

Il y a aussi le secteur du transport en commun. C’est un projet de société. C’est une transformation qui va concerner l’ensemble du pays et qui va nécessiter un changement de mentalité.

Comment obtenir l’adhésion d’un contribuable qui, physiquement, ne va pas bénéficier directement de l’entrée en opération d’un tel système de transport en commun ?

Il est possible d’y parvenir si on essaie de lui faire comprendre que même s’il ne profitera pas de ce projet directement et personnellement, il constitue un progrès pour le pays. Puis, il s’agit de trouver un argument susceptible de l’amener à comprendre que si le pays est gagnant, il le sera lui aussi.

Comment Maurice devrait-elle gérer les changements occasionnés par les nouvelles mesures de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de transparence dans le domaine des transactions financières ?

Déjà, il y avait une résistance. Cela a été fait. Quelquefois, une nouvelle procédure nous est imposée et nous place dans une position dans laquelle nous n’aurions pas aimé nous retrouver. Il faut voir le bon côté des choses et ne pas se cantonner aux problèmes. On doit s’adapter.

Face à ces nouveautés, le secteur mauricien des services financiers doit adopter une approche résiliente, doit innover et trouver une alternative à l’ancien système. Le livre de Ryan Holiday, The Obstacle is the way, peut être une source d’inspiration. Il faut rassurer et ne pas effrayer. Maurice doit faire montre de sa position de force même si les opérateurs de l’industrie sont quelque peu déçus. Il faut rechercher une transition qui soit harmonieuse et capable de préserver autant que possible les acquis tout en exploitant les opportunités qui se présentent.

Bien des livres portant sur le changement résultent d’une démarche plutôt académique. Le vôtre, «Facilitating Change», a pour origine votre confrontation avec le changement dans sa phase de mise en œuvre. Quels sont les facteurs qui ont marqué votre parcours professionnel et qui ont contribué à la rédaction de votre livre ?

L’expérience qui a marqué mon parcours est celle que j’ai vécue au Vietnam, au sein de KDi Asia, un prestataire de services dans le domaine du conseil dans diverses filières d’activités, dont la gestion du changement. Le contrat consistait à informatiser les structures des services gouvernementaux du pays. J’ai constaté que même si on dispose d’une méthodologie qui a fait ses preuves, ce n’était pas évident de faciliter le processus d’innovation technologique dans lequel le gouvernement vietnamien était engagé. Le problème de changement ne se présente pas de la même façon dans tous les pays ou dans toutes les organisations. Il n’est pas toujours aisé pour les gens qui vont subir les effets d’une mutation de l’accepter sans faire de la résistance.

Que dites-vous dans votre livre «Facilitating Change» qui n’a pas été dit avant vous ?

Le livre ne parle pas des méthodologies en matière de gestion de changement. Ce livre est destiné à des personnes dont le rôle consiste à assurer la réussite d’un programme de sensibilisation au nouveau projet. Le livre leur fournit des pistes pour atteindre leurs objectifs. Le livre parle de l’importance de tenir compte de tous les facteurs susceptibles d’être affectés. C’est aussi un appel pour que l’on donne à la gestion du changement l’importance qu’elle mérite dans la société moderne.

En quoi consiste le rôle des facilitateurs au changement ?

Dans tout projet, il y a deux aspects : celui qui concerne la vision affichée par le management et celui qui tient compte de la posture des personnes à qui ce changement est adressé. Toute modification des habitudes de fonctionnement occasionnée par la mise en place d’un projet n’a pas la même importance pour la direction et les membres du personnel. Ces derniers ont tendance à donner priorité à l’impact de la modification sur eux plutôt qu’au changement lui-même. Notre rôle consiste à concilier ces deux objectifs.

À quel moment du calendrier de réalisation d’un projet, un programme de sensibilisation aux implications qui y sont associées doit-il intervenir ?

Ce programme de sensibilisation doit démarrer bien avant qu’un projet ne soit mis en œuvre. Bien souvent, toute la question liée à des changements intervient presque au moment même où le projet qui les provoque est mis en place. C’est une erreur.

Combien de temps faut-il entre la phase d’explication des changements à venir et la mise à exécution d’un projet en tant que tel ?

Cela dépend de la nature et de l’ampleur du projet. Six mois à un an serait une période raisonnable. Il s’agit de comprendre la raison d’être de la crainte de ces personnes qui seront directement affectées par des transformations. Cette période permettra à la direction d’identifier les causes qui poussent les gens à faire de la résistance même si, de manière générale, il y aura de la résistance au changement dans tous les cas. Au-delà de l’identification des craintes et de leurs répercussions sur le projet, cette période permettra de développer la stratégie et le plan d’action pour faciliter la transition.

Quel type de résistance est susceptible de barrer la route à des changements ?

La résistance peut être d’origine émotionnelle. Celle-ci peut être liée à la peur de l’incertitude, qui peut être fondée ou non fondée. Il y a une forme de résistance qui provient des craintes dues aux nouvelles procédures qui vont se manifester au niveau des opérations.

Qu’est-ce qui justifie qu’on consacre autant de temps pour gérer les changements occasionnés par un projet ?

C’est pour repérer les frayeurs qui envahissent les employés et pour identifier les remèdes appropriés. Ainsi on peut commencer à avoir le buy-in des employés et les mobiliser pour s’assurer du succès du projet. La résistance qui se manifeste au début de tout projet de changement est un processus naturel.

À quoi peut-on s’attendre si l’adhésion des personnes concernées directement par des changements n’a pas été obtenue préalablement à la mise en chantier d’un projet ?

Il s’agit de se rendre compte que la réussite au niveau de la concrétisation d’un projet n’a pas débouché sur les bénéfices escomptés et que l’explication réside dans l’absence de préparation du personnel à amorcer le virage proposé. Les gens en première ligne constituent, de toute évidence, les éléments auxquels on doit donner priorité lorsqu’on envisage d’introduire un changement quelconque. Autrement, on risque de perdre d’importantes ressources humaines qui partent parce qu’elles ont le sentiment qu’elles n’ont plus leur place dans l’organisation. L’absence d’une préparation peut potentiellement renforcer la tendance à la résistance. Cela peut compromettre la réussite d’un projet.

S’il y a un domaine qui a su faire de la résistance au changement, c’est celui de la politique. Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce phénomène ?

Jim Rohn, entrepreneur et conférencier en matière de motivation, dit ceci : «On change pour une ou deux raisons, par inspiration ou par désespoir.» Si en politique, le pays n’est pas parvenu à se doter d’une troisième force, c’est peut-être parce qu’on n’est pas arrivé à ce point de désespoir. Cependant, si je devrais m’appuyer sur l’attitude des gens que je croise, je peux sentir l’imminence de cette troisième force.

Les signes de son émergence sont manifestes. À Maurice sur le plan de l’idéologie, il n’y a pas de grandes différences (NdlR, entre les partis). Il est temps qu’on ait une nouvelle force qui se positionne clairement et qui milite pour que Maurice dans son ensemble grandisse sur le plan socio-économique. Un pays qui ne se focalise pas sur les mesquineries et les dénonciations sommaires – ce que les gens de ma génération n’apprécient pas. On n’aime pas les scandales. On souhaite une direction qui tient compte de l’ensemble de l’intérêt de la nation dans tous les secteurs. Cette nouveauté va apparaître.

Pourquoi le passage à la prochaine étape tarde-t-il à se matérialiser ?

Ce qui manque, c’est l’engagement des jeunes. L’autre obstacle c’est le confort relatif dont jouit une large proportion de la population qui se situe dans la classe moyenne. Difficile de les inciter à des manifestations de rue aussi longtemps que cette classe est dans un bien-être relatif. On n’a pas atteint le point de désespoir et le niveau d’inspiration nécessaire pour provoquer une évolution sur le plan politique.

Les électeurs plus âgés sont prêts à entrer de plain-pied dans le cadre de cette troisième force mais, au moment de voter, par manque d’inspiration, ils votent pour les partis traditionnels. Il faut donc un parti qui inspire cette génération plus mûre qui, en même temps, répond aux besoins de la jeune génération.