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Croissance économique: des solutions pour atteindre plus de 4 %

9 juillet 2017, 13:36

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Croissance économique: des solutions pour atteindre plus de 4 %

Avec une croissance prévisionnelle de 3,9 %, des projets d’infrastructures non concrétisés et le manque d’investissement, Maurice peut-elle se positionner comme un pays à revenu élevé ? Pourtant, le Budget 2017-18 ambitionne de générer un taux de croissance supérieur de 4,1 %. Comment réaliser cet objectif ? Explications.

Économiste et opérateurs sont catégoriques. Une croissance de 4,1 %, telle que préconisée dans le Budget 2017-18, ne sera pas réaliste dans la pratique. Encore moins l’accession au statut de pays à revenu élevé d’ici 2023. Sachant que cela générerait un revenu annuel par habitant de $ 13 600 (environ Rs 485 600), contre $9 740 (environ Rs 347 800) actuellement. Un rapport économique publié ce mois-ci, évoquant le risque de faibles performances et une amélioration économique dite modérée dans le futur, vient appuyer leurs observations. Parallèlement, Statistics Mauritius prévoit un taux de crois- sance de 3,9 % pour 2017.

Croîtra, croîtra pas ? Le pessimisme semble palpable chez la plupart des observateurs économiques. Selon eux, plusieurs facteurs entravent la croissance économique actuelle du pays. Parmi ceux-ci figurent un manque de productivité, l’inefficience du budget des dépenses en capital, la faible concrétisation des projets publics, le manque d’entrepôt pour le fret aérien à l’aéroport et la lenteur administrative ou encore la lenteur des travaux liés aux projets d’infrastructures. «On ne voit pas de force culturelle pour aider les entreprises à produire plus. C’est comme si on a enclenché le pilotage automatique. On laisse l’économie évoluer comme ça», avance Eric Ng, économiste. Ikbal Joonas, directeur général du groupe Joonas AG et ancien président de l’Association of Mauritian Manufacturers, constate une stagnation de la croissance forte d’une vision économique trop courte.

Lilowtee RajmunJooseery, directrice de la Mauritius Export Association (MEXA), constate, elle, une régression : «Le secteur peine. Entre 2015 et 2016, nous avons enregistré une perte de 9 %. Pour la période de janvier à mars 2017, comparée à la même période l’an dernier, la chute est de 11 %. La tendance est que la perte perdure dans divers secteurs.»

Rendre le secteur public plus attractif

Qu’est-ce qui entrave la croissance économique actuelle ? Selon nos interlocuteurs, quatre facteurs sont indissociables du développement économique : l’investissement public et privé, la consommation ainsi que l’exportation. Or, dans la première catégorie, Eric Ng décèle déjà un système de rigidité culturelle et un manque de productivité : «Le secteur public doit être plus attractif et actif dans ses procédures

L’économiste souligne également l’inefficience du budget des dépenses en capital, servant aux projets de développement. Il affirme ainsi qu’en 2016- 2017, ce montant était de Rs 14,5 milliards. Dans la réalité, Rs 10 milliards ont été dé- pensées. Cela implique un implementation rate de 69 %. Or, en 2012, l’État disposait d’un taux de 92 %, indiquant que la quasi-majorité des projets se concrétisait.

Moderniser le port

La faible concrétisation des projets publics, voire la non-concrétisation, est décriée par plusieurs agents du secteur. C’est précisément sur le plan des infrastructures que le bât blesse. Pour Eric Ng et Ikbal Joonas, l’état actuel du port (voir texte ci-joint) freine les exportations. La modernisation du port et des équipements ainsi que la création d’un cargo village, entre autres, se font toujours attendre (voir ci-contre).

 «Un retard considérable a été accumulé depuis les trois dernières années. Il fallait faire des aménagements pour pouvoir accueillir des bateaux à 19 mètres de profondeur. Hélas, nous demeurons à 14 mètres depuis longtemps. Les grues n’ont pas été renouvelées non plus», confie le directeur général du groupe Joonas AG. Il observe la même stagnation à l’aéroport, qui, bien que modernisé à forts coûts, ne dispose toujours pas d’entrepôt pour le fret aérien. Une mesure annoncée mais mise aux oubliettes, la faute aux guerres fratricides des opérateurs tiraillés par la quête de contrôle d’un tel système.

Concrétiser les projets d’infrastructures

La route est également égratignée par des observateurs. D’ailleurs, le rapport économique cible précisé- ment le projet de décongestion routière qui n’a pas généré les effets escomptés. «Regardez l’autoroute Terre-Rouge – Verdun. On voit maintenant des travaux mal faits ou qui prennent trop de temps. Cela peut être un fardeau qui empêche la croissance. Il ne suffit pas de rêver. Il faut agir», déclare Pierre Dinan, économiste. Comme lui, la directrice de la MEXA affirme qu’il est impératif de concrétiser les projets d’infrastructures tels que les routes et le Metro Express.

Pour l’heure, bien d’autres mesures peinent à être appliquées, observe Eric Ng, telles que la distribution d’eau et les énergies renouvelables, en particulier pour la production électrique. Cette contribution énergétique est présentement de 23 %. La visée est d’atteindre 30 % d’ici 2030.

Miser sur l’investissement public et privé

Pourquoi ces projets, pourtant significatifs à la relance économique, restent-ils à quai ? Ken Poonoosamy, directeur général du Board of Investment, attribue cela à la lenteur administrative. «Il faut que tous les projets soient concrétisés. Il y a une vraie lenteur administrative, par exemple en ce qui concerne l’allocation des appels d’offres. Il faut l’accélérer afin de booster la capacité à accroître

Comment y parvenir ? Il faut miser sur les quatre principaux déterminants de la croissance économique, soutiennent nos interlocuteurs. Cela passe par l’instauration d’un climat de confiance dans le pays avec la mise sur pied des mesures budgétaires annoncées, suggère Eric Ng. Et d’ajouter que des secteurs comme l’offshore et la fiscalité sont à surveiller, alors que d’autres comme la manufacture et l’exportation nécessitent plus d’investissement.

Capitaliser sur l’économie bleue

«Depuis deux ans, on parle d’économie bleue. On attend toujours», lance-t-il. Néanmoins, c’est un domaine sur lequel il faut capitaliser, estime Pierre Dinan. En effet, celle-ci représente 1,3 million de kilomètres carrés, ce qui est non négligeable. «On n’a sans doute pas les connaissances nécessaires. Il faut aller les chercher. L’implication des politiques est aussi vitale. Les décideurs devraient se concentrer dessus au lieu de perdre leur temps avec des discussions stériles. L’exemple vient d’en haut

Investir dans les secteurs traditionnels

De son côté, Ken Poonoosamy souligne que face à une population mauricienne de 1,3 million et des visites touristiques annuelles de 1,2 million de personnes, il faut inciter à la consommation. «Il faut un marché captif. On doit investir dans les secteurs traditionnels comme l’agriculture, la manufacture, les PME, le tourisme, la technologie, les finances, mais en y apportant plus de productivité, d’efficience, de technologie et d’innovation. On va davantage vers l’agriculture verticale.

«En manufacture, on doit monter en gamme. Dans le domaine des technologies, on a commencé avec la base : les centres d’appels. Maintenant, il faut aller vers les services à valeur ajoutée comme les data centres, la disaster recovery, la legal process outsourcing, les cloud services, le design 3D, etc. Il faut intégrer plus de technologie et de savoir-faire.»

Prioriser l’achat des biens productifs

Quant à Ikbal Joonas, il mentionne une meilleure accessibilité aux finances et au capital humain pour atteindre la croissance. Par exemple, en donnant la priorité à l’achat des biens productifs comme une maison, un espace d’éducation pour les enfants. En termes de ressources humaines, il évoque des initiatives pour encourager les jeunes à fonder leurs entre- prises et la révision du système éducatif. «Les écoles anglophones et francophones sont aux normes internationales. Dubaï et Singapour ont davantage instauré ce type d’établissement et cela les rend plus compétitifs», conclut-il. 

Le taux décortiqué

<p>Qu&rsquo;est-ce que la croissance ? D&rsquo;après l&rsquo;économiste Eric Ng, il s&rsquo;agit de la production nationale, et plus particulièrement de la valeur ajoutée pour produire. Celle-ci est obtenue à partir de la somme des valeurs ajoutées par tous les agents économiques, explique Pierre Dinan. Notamment les services gouvernementaux, les entreprises publiques et privées ou encore les individus.</p>

<p>&laquo;<em>En somme, chaque membre de la population travaille pour produire un gros gâteau avec des ressources spécifiques</em>&raquo;, lâche-t-il. Et comment mesure-t-on le taux de croissance ? Ce calcul est effectué par des statisticiens. Plusieurs sources sont évaluées, indique Pierre Dinan. Notamment les exportations et importations, la consommation, le salaire des habitants et les profits des entreprises. Ces données sont ensuite compilées pour des estimations à partir du produit intérieur brut. Selon les chiffres provisoires de Statistics Mauritius, le pays affichait un indice de croissance de 3,5 % en 2015 et de 3,7 % en 2016. En 2017, cette prévision est de 3,9 %.</p>

<p>Pour la petite histoire, en 1985, ce taux était de 6 %. C&rsquo;était le boom économique. Puis, de 1995 à 2010, la croissance a chuté à 5 %. Et au-delà de cette période, la crise économique a frappé, portant l&rsquo;indicateur à entre 3 et 4 %.</p>

<p>Cependant, ce taux un tant soit peu régressif n&rsquo;est pas si alarmant, estime Pierre Dinan. &laquo;Il y a des pays européens qui ne font même pas 1 %. Pourquoi ? Parce qu&rsquo;ils sont déjà développés&raquo;, indique-t-il. Qu&rsquo;en est-il de notre île ? &laquo;Maurice n&rsquo;est pas au stade de développé ni au stade de sous développé.&raquo; En fait, le pays est au stade d&rsquo;&laquo;<em>upper-middle income country</em>&raquo;, c&rsquo;est-à-dire au quatrième stade sur une échelle de cinq catégories définie par la Banque mondiale. Celles-ci incluent des pays dotés de faible revenu, faible revenu intermédiaire, revenu intermédiaire, revenu intermédiaire supé- rieur et haut revenu. Maurice est plutôt bien positionné d&rsquo;après ce modèle. Il reste maintenant à capitaliser sur les facteurs de production et à considérer des éléments externes de la mondialisation, tels que le Brexit et le terrorisme, qui pourraient influer sur la croissance.</p>