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Squatters de Tranquebar relogés à Pointe-aux-Sables: un toit, mais à quel prix…

11 juin 2017, 22:58

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Squatters de Tranquebar relogés à Pointe-aux-Sables: un toit, mais à quel prix…

Quatre-vingt-deux familles de squatters de Tranquebar attendaient, depuis des années, d’être relogées à Pointe-aux-Sables. Si elles le sont depuis janvier, vivant en sécurité dans une petite maison en béton à la cité Jean Blaize, elles considèrent tout de même avoir perdu au change. 

Bianca Désiré, dit Mémé, 35 ans, a l’air épuisée après sa journée de travail pour le compte d’une compagnie de nettoyage. La trentenaire, qui est née à Tranquebar de parents squatters, n’a connu que cette vie. Du moins jusqu’en janvier, lorsqu’elle a obtenu les clés d’une petite maison en béton, surmontée d’une toiture en tôle, et comprenant une petite chambre, un salon étroit, des toilettes attenantes, le tout raccordé à la fourniture électrique et à l’eau courante. Elle ne vit plus avec le sentiment d’insécurité qui l’animait lorsqu’elle habitait à Tranquebar. 

«Ici, je suis à l’abri de la pluie, des inondations, des cyclones. Nou pa mizer dilo osi. Li koulé enn lazourné. Nou éna kouran osi. J’y vis assez confortablement, même si la maison semble avoir été conçue pour accueillir un couple sans enfant et que je doive céder la chambre aux miens et dormir sur un matelas posé à terre dans le salon.» 

Un avis partagé par sa sœur Madonna, 29 ans, mère de trois enfants âgés de 13, 12 et deux ans, mais également par leur voisine Neeran, 22 ans, mère de deux enfants d’un an et de quatre ans. Les conditions de vie à Tranquebar étaient difficiles, avouent-elles. «À Tranquebar, nos maisons étaient en tôle et nous étions plusieurs à partager l’électricité. De plus, nous n’avions pas d’eau courante. Nou ti bizin lévé katrer, sot larivier pou rampli dilo dan robiné, fer de-trwa voyaz pou gagn dilo pou servi enn semenn.» 

Par temps de pluie, leurs misères étaient décuplées : «Dilo rant partou ar so labou ek so bebet ek so salté ki sorti la montagn Dauguet e ki dilo saryé dan nou lakaz. Ler soley sorti, moustik donn bal ek zanfan gagn bouton», raconte l’une des mères. 

Ces soucis domestiques sont loin de leurs préoccupations aujourd’hui. D’ailleurs, elles sont reconnaissantes envers une certaine Bernadette de la National Empowerment Foundation pour ses démarches ayant permis leur relogement à la cité Jean Blaize à Pointe-aux-Sables. Toutefois, ces familles ne sont pas tout à fait satisfaites. Elles estiment que les autorités se sont jouées d’elles. Bianca et Madonna Désiré racontent que ces petites maisons construites par des travailleurs étrangers sous le gouvernement sortant, leur avaient été promises contre paiement de mensualités de Rs 500. «Il n’était nullement question de dépôt à fournir», insiste leur frère Jean-Noël.  

«Pour pouvoir y accéder», poursuit-il, «nous avons dû manifester notre mécontentement. Lerla nou tann koz péman enn dépo Rs 10 000 par personn.» Après une nouvelle protestation, les modalités de paiement sont revues – un premier montant de Rs 5 000 payable d’une traite pour accéder au logement et le reste rajouté à leurs mensualités dont le montant est calculé en fonction de l’âge de la retraite.

Évaluée à RS 250 000

Une dizaine de familles ayant investi les maisons qui leur ont été allouées par tirage au sort, ont eu la surprise de constater qu’elles n’étaient pas les premières occupantes de ces maisonnées. Des travailleurs étrangers qui les bâtissaient, auraient séjourné-là et laissé des traces de leur passage. Jean Noël Désiré parle de «bol lavabo ki ti kasé» et pour lequel il a dû dépenser Rs 250 pour les réparations alors que Madonna évoque une chasse d’eau défectueuse qui inonde sa salle de bains. 

Tant qu’ils n’ont pas fini de payer leur maison évaluée à Rs 250 000, ils ne peuvent ni envisager d’ajouter une pièce ou un étage ni même planter un clou pour y accrocher un miroir ou une photo. 

Mais le sentiment qui les mine, c’est celui d’avoir été «parachutés» là sans que provision ait été faite pour les services annexes. À commencer par l’éclairage des rues de la cité, qui y est inexistant. Ce qui engendre un problème de sécurité. Sans compter que l’on s’y perd, la nuit. «Dé mortalité inn gagné isi. Inn bizin al fer lavéyé Tranquebar pou enn, Terre- Rouge pou lot parski péna kouran lor simin ek dimounn riské perdi.» Le service de voirie s’arrête à Camp Firinga à Pointe-aux Sables. «Kamion salté inn pasé zis trwa fwa dépi ki nou isi. Enn fwa kan minis Alain Wong inn vinn distribié poubel. De lézot fwa se ler nounn sonn Xavier-Luc Duval pou explik li sitiasyon ek linn sonn minisipalité. Lerla kamion salte inn vini. Sofer la dir li pankor gagn kontra avek la méri. Pa kapav tou kout bizin sonn XavierLuc Duval. Nou oblizé saryé gro gro salté ki nou met dan bal ou dan kales kasé ek al zet zot akot larivier.» Les chiens éventrent ces sacs, extrayant les couches-culottes et d’autres ordures qu’ils traînent sur plusieurs mètres ou qu’ils ramènent un peu plus loin chez d’autres habitants. «Lerla bann dimounn la dir ki nou ki pé sali landrwa parski nou bann skwater ek zot menas pou sonn lapolis. Ou truv sa zis ou ?»  

Autre injustice selon nos interlocuteurs : la seule boutique du coin vend les produits de consommation courante à deux fois plus cher qu’ailleurs et ce n’est pas avec leurs maigres salaires ou allocations versées par la Sécurité sociale qu’ils peuvent se permettre de telles dépenses. Ils doivent tout de même aller beaucoup plus loin pour faire leurs courses et cela signifie des dépenses supplémentaires en tickets de bus. «Érézman, Cursley Gooindoorajoo, dépi Caritas amenn bann danré alimanter asé souvan ek séki gagné gagné. Otreman personn pa éd nou. Nou tou dan mem bato isi.» 

Autre problème de taille : bon nombre de femmes ayant des enfants en bas âge sont incapables, malgré leur bon vouloir, d’aller travailler car il n’y a pas de garderie aux alentours pour surveiller leurs enfants. «Kan nou ti dan Tranquebar, nou ti ena kat sant minisipal gratwi kot nou ti kapav kit nou zanfan, al travay ek ramenn kas dan lakaz. Ici nou péna li. E kan ou gagn gardri pli lwin, li pou dimann ou pey lor Rs 2 000, éna dimann Rs 3 000. Ou péna sa kas-là pou met ladan. Donk ou oblizé pa al travay ek res lakaz pou gard piti ek viv lor alokasion sékirité sosial alor ki mo tia kontan gagn enn travay part-time dan Porlwi», avoue Madonna. «Boukou fam isi bizin fié lor zot mari», ajoute-t-elle. 

Tous rigolent lorsqu’on leur fait remarquer que, selon les autorités, ils habitent la cité Tanzanite. «Nou nou konn li Cité Jean Blaize», dit Mémé en exhibant sa facture d’électricité sur laquelle figure effectivement le nom de Jean Blaize, écrivain mauricien née en 1860 et mort en France en 1937. Madonna demande ce que signifie Tanzanite. Lorsqu’on lui explique qu’il s’agit d’une pierre précieuse bleue-violette découverte en Tanzanie, elle éclate de rire. «Sirman gouvernma kinn met sa nom-la ! (encore des rires) Nou pa dan enn pier blé isi. Inn met nou dan pier nwar… »