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Éric Ng Ping Cheun, économiste : «Le Métro Express ne sera pas viable financièrement»

7 juin 2017, 21:57

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 Éric Ng Ping Cheun, économiste : «Le Métro Express ne sera pas viable financièrement»

À 24 heures de la présentation du Budget 2017/2018, Éric Ng Ping Cheun brosse un tableau général des enjeux de cet exercice : l’endettement, le Métro Express, la fiscalité.

Pravind Jugnauth, Premier ministre et ministre des Finances, nous donne-t-il les bons chiffres sur l’endettement du pays ?

L’endettement public selon les paramètres définis par le Fonds monétaire international (FMI) a atteint 65,6 % du Produit intérieur brut (PIB) en mars 2017. De manière générale, lorsque le taux d’endettement dépasse la barre des 60 % du PIB, la situation économique d’un pays devient inquiétante. Depuis que ce gouvernement est au pouvoir, le taux d’endettement du pays a été à la hausse.

Il y a une autre formule pour calculer l’évolution de la dette publique qui implique de ne pas tenir compte des dettes qui ne sont pas garanties par le gouvernement. Même en se basant sur cet autre mode de calcul, l’endettement actuel s’élève à 56 % du PIB. Il est supérieur au plafond de 50 % fixé par la loi. L’échéance pour atteindre cet objectif est décembre 2018.

Si rien ne change, le gouvernement ne disposera que d’un seul exercice budgétaire pour revenir au plafond de 50 %. Y parviendra-t-il ?

J’en doute fort ! Même si, vers la fin de son mandat, le ministre des Finances s’en donne les moyens en ayant recours à deux exercices budgétaires, il serait quasiment impossible de ramener la dette publique à 50 % du PIB en 2018.

Maurice étant un État souverain, rien ne l’empêche de changer la loi pour repousser cette échéance au-delà de décembre 2018…

Tout à fait. D’ailleurs, le gouvernement a déjà repoussé l’échéance une fois.

S’il le faisait, quel serait l’impact sur la réputation de Maurice ?

Si cela se produisait, trois dangers potentiels menaceraient la réputation du pays. Maurice enverrait un mauvais signal aux institutions internationales. Le gouvernement serait perçu comme n’ayant pas été capable de gérer efficacement la dette publique. De plus, un report de l’échéance pourrait signifier que le gouvernement pourrait potentiellement augmenter les impôts. Si une telle mesure est prise, cela signifierait que la dette publique pourrait augmenter davantage.

Le FMI peut-il objecter à la démarche de Maurice de ne pas inscrire cette ligne de crédit de l’Inde comme dette de l’État ?

Oui, le FMI peut dire son désaccord même si le pays n’est pas sous la coupe du FMI. Le gouvernement aurait été plus prudent si le pays était sous perfusion financière du FMI. Cette organisation va faire son rapport sur la manière dont Maurice a comptabilisé la ligne de crédit obtenue auprès du gouvernement indien. Les investisseurs lisent les rapports du FMI avant de s’implanter dans un pays. Autrement dit, le point de vue du FMI aura un poids aux yeux des investisseurs étrangers.

 

Si Maurice peut faire la démonstration qu’elle a les moyens de rembourser ses dettes, où est le problème ?

On peut s’endetter à condition qu’on ait la capacité de rembourser. On s’endette pour investir dans des projets productifs et qui vont soutenir la croissance économique. On ne s’endette pas pour rembourser des souscripteurs de polices d’assurance. On a recours à un endettement pour investir dans des projets qui réalisent un rendement susceptible de rembourser la dette.

L’installation du Métro Express pourrait occuper une place importante dans le discours du Budget. Est-ce un projet nécessaire et viable ?

Le Métro Express n’est pas indispensable. De mon humble avis, le Métro Express ne sera pas viable financièrement. Un ex-ministre des Infrastructures publiques a déclaré à l’Assemblée nationale que, pour assurer la viabilité d’un projet de transport de masse, il faudrait au moins 15 000 passagers par heure. À Maurice, il n’y a que quatre heures de pointe, deux heures le matin et deux heures l’après-midi. Que se passera-t-il pendant les autres tranches de la journée ? Nous n’avons pas la masse critique pour assurer la viabilité d’un projet de l’envergure du Métro Express. Si on tient compte de la gratuité du transport pour les personnes âgées et l’alignement du coût du ticket du Métro Express sur celui du ticket d’autobus, on compromet davantage la rentabilité du projet. Le gouvernement présente des arguments et des explications qui ne tiennent pas la route. Il va de l’avant pour une question de prestige. Les revenus que le Métro Express va générer ne suffiront même pas à couvrir ses coûts opérationnels.

Y a-t-il une alternative à ce système de transport ?

Une des alternatives serait de remplacer des ronds-points par des autos-ponts. L’auto-pont du Caudan, à l’entrée Sud de Port-Louis en est la parfaite illustration. Si le coût d’aménagement d’un auto-pont est estimé à Rs 100 millions, on peut en construire une bonne dizaine avec un budget d’un milliard de roupies. L’installation d’autos-ponts peut s’accompagner d’un vaste programme d’élargissement des routes, d’aménagement de couloirs destinés à la circulation d’autobus, ceux-ci pouvant être utilisés par des voitures les jours fériés. C’est moins cher mais rentable.

Quels sont les autres projets d’infrastructure qui auraient pu avoir priorité sur le Métro Express ?

La modernisation des facilités portuaires existantes. Elle est sur la liste des projets du gouvernement mais prend du temps. L’aménagement d’un village cargo à l’aéroport, l’élargissement des routes, l’amélioration du système de distribution d’eau, l’amélioration du réseau de distribution d’électricité sont autant de projets qui ont été annoncés mais qui tardent à se concrétiser. Il ne sert à rien d’annoncer d’autres projets pour s’assurer d’une bonne couverture médiatique quand ces projets ne seront pas mis en oeuvre. C’est une situation qui décrédibilise le gouvernement.

On attend également des mesures pour relancer les exportations dans le contexte du Brexit et de la montée du protectionnisme dans le monde. Le pays aurait besoin de mesures lui permettant d’entrer de plain-pied dans la quatrième révolution industrielle, ainsi que de mesures fiscales pour informatiser les activités industrielles et rehausser le niveau de compétitivité et de productivité.

Le taux de l’épargne est en baisse. Que faire pour inciter les Mauriciens à retrouver leur instinct d’épargne ?

Une inflation basse va aider les gens à épargner plutôt qu’à consommer. Il faut parallèlement une roupie qui ne se déprécie pas de façon volontaire et de manière délibérée. Sinon, le prix des produits à la consommation augmentera et le pouvoir d’achat des consommateurs diminuera. Je ne dis pas qu’il faut faire apprécier la roupie. Mon argument est qu’il ne faut pas déprécier délibérément la roupie. Une éducation financière de la population est utile. Il est nécessaire de lui expliquer l’importance de l’épargne, la nécessité de maintenir ses dépenses dans la limite de ses moyens, l’impératif de souscrire à des plans de pension. En revanche, une augmentation des impôts risque de décourager la population à épargner.

Faut-il revoir le système actuel d’impôt sur le revenu pour le rendre plus progressif et plus équitable ?

L’argument en faveur de relever le taux d’imposition des plus riches sous prétexte que le présent système les favorise ne tient pas la route. Car, dans le système actuel, les riches sont déjà taxés davantage en absolu. Si un taux de 15 % est perçu sur un revenu imposable de Rs 10 000, l’impôt payable sera de Rs 1 500. Si le revenu imposable est de Rs 100 000, l’impôt sera de Rs 15 000, soit 10 fois plus. Le taux imposable est certes uniforme, mais le montant absolu de taxes payées est proportionnel au revenu imposable. D’autre part, si l’on tient compte des déductions fiscales, les contribuables au bas de l’échelle paient un taux effectif de 4 % de leur revenu brut alors que ceux à l’échelle supérieure paient 14 % de leur revenu brut. Il existe donc un élément de progressivité dans le système.

Ne faut-il pas introduire un deuxième niveau d’imposition qui ciblerait davantage les bénéficiaires de hauts salaires ?

Cette mesure rapporterait certes de l’argent dans les caisses de l’État mais risquerait de décourager les plus productifs et les plus compétents à travailler davantage. Cette mesure pourrait même pousser certains à partir pour l ’étranger . Un système d’imposition progressif permettrait à l’État d’engranger plus de revenus, mais au prix d’une croissance économique amoindrie et d’une perte de productivité. Par ailleurs, il est inexact de dire qu’en appliquant un taux de taxation progressif, on réduirait l’inégalité des revenus. Ceux qui gagnent Rs 10 000 par mois continueront de toucher le même salaire brut, de même que ceux qui en gagnent Rs 100 000 en brut gagneront toujours Rs 100 000 en brut.

 Comment alors réduire les inégalités de revenu ?

C’est possible si on procède à une redistribution directe. Ce qui veut dire que ce qu’on prélève aux salariés les plus riches soit donné directement aux petits salariés, et non dépensé dans des projets publics.

Le Budget 2017/2018 sera présenté dans un contexte où l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) resserre l’étau sur les juridictions qui favorisent l’évasion fiscale. Comment ce dossier doit-il être géré ?

Il faut légiférer pour contraindre les sociétés enregistrées dans la juridiction mauricienne à dépenser un certain montant par an dans le pays, comme c’est le cas à Singapour. C’est une façon pour le pays de démontrer qu’il exige de ces sociétés de la substance dans leurs activités.

Cependant, nous devons éviter de subir le diktat de l’OCDE. Si nous avons le devoir de bien préparer notre dossier afin de mettre en évidence ce que nous faisons contre le blanchiment d’argent et pour le partage automatique d’informations avec les institutions internationales, nous devons aussi absolument, dans nos négociations avec l’OCDE, mettre en exergue notre souveraineté. Notre politique fiscale ne peut être dictée par une organisation internationale. Nous ne sommes pas les seuls à adopter une fiscalité légère. Les États-Unis, de même que certains pays de l’Union européenne, devraient balayer devant leur porte. On comprend que les pays développés ont un gros problème de dette publique, et c’est pourquoi ils font tout pour recueillir le plus de revenus possible. Pour sa part, Maurice est encore un pays en développement, et il doit attirer des investissements étrangers en utilisant l’arme fiscale pour assurer son développement.