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Jayen Chellum: «On fera dérailler le projet de Metro Express»

30 mai 2017, 21:50

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Jayen Chellum: «On fera dérailler le projet de Metro Express»

Surcoût, appauvrissement du Mauricien, manque de transparence… Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM), part en guerre contre le Metro Express.

Le projet Metro Express vous rase-t-il à ce point ?

Je suis contre. D’abord, en 1994, quand le ministre des Travaux publics d’alors est venu de l’avant avec le métro léger, nous avions commandé une étude comparative de Maurice avec 15 pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Europe.

À l’époque, un tracé de 16 km nécessitait une population de 2 millions pour être rentable à Maurice. Déjà, ça n’allait pas le faire ! Une autre recherche, en 1998, comparant l’autobus et le métro, démontrait que la première option était la meilleure pour Maurice. Hélas, le gouvernement a choisi le métro.

Deuxièmement, pour gérer la congestion routière, entre Curepipe et Port-Louis, il ne faut pas sauter sur un mode de transport alternatif. Qu’a fait le gouvernement pour résoudre ce problème ?

Que faudrait-il faire alors ?

Il faudrait réduire le goulot d’étranglement, revoir le blocage de Pont-Fer, à Phœnix, agrandir les routes et les ponts, etc. Ces solutions sont moins coûteuses. En 2017, après 19 ans suivant l’étude comparant l’autobus et le métro, le métro est maintenu.

Nous ne comprenons pas pourquoi. Sur le plan financier, quelle est la référence pour évaluer les frais ? Il y aura un surcoût de 65 %. Et, fondamentalement, il y a un manque de transparence dans le projet.

«Le Metro Express va plutôt déboucher sur la modernisation de la pauvreté»

Pourquoi ce manque de transparence ?

Toute bonne pratique demande la participation de la population et des principaux acteurs. Or, tel n’est pas le cas. Si le choix doit être fait, on a des consultants qui peuvent proposer des moyens de minimiser les risques.

À chaque fois, le gouvernement mauricien fait appel aux Singapouriens. Quand une personne est malade, elle ne va pas immédiatement en chirurgie. On lui administre des médicaments. Avec le métro, on passe directement à l’intervention.

D’ailleurs, le présent gouvernement avait fait sa campagne électorale en se positionnant contre le métro. Maintenant, il fait le contraire. Ce n’est pas normal !

Il n’y a pas une politique nationale de transport, à l’exemple d’une stratégie d’analyse du pays dans son ensemble, les futures demandes des consommateurs ou encore les options à choisir. On choisit un projet censé moderniser le pays sous prétexte de régler la congestion routière. Avec cette décision, le Metro Express va plutôt déboucher sur la modernisation de la pauvreté.

«Pour payer les frais, il faudra augmenter la taxe, supprimer le système de l’État providence, à savoir, les services gratuits comme la santé, le transport, l’éducation et la pension»

Comment appauvrira-t-il le Mauricien ?

Ce sera un désastre financier pour les consommateurs… Qui va payer pour tout ça ? Maurice ne pourra pas respecter le seuil des Rs 17 milliards. Aucun pays au monde ne le pourrait avec cette somme ! Nous allons devoir importer du matériel, comme des rails, avec les assurances et le fret, entre autres. Globalement, pour un tracé de 27 km, cela coûtera Rs 40 milliards, soit deux fois et demie de plus.

Moi, je suis intéressé par un système peu coûteux, confortable et qui contribue au développement intégral du pays. Pensons aux conséquences et au pire scénario. Pour payer les frais, il faudra augmenter la taxe, supprimer le système de l’État providence (welfare state). À savoir, les services gratuits comme la santé, le transport, l’éducation et la pension. Il faudra réduire les services gouvernementaux.

Singapour est aussi bien plébiscité par les défenseurs du projet que par l’État mauricien. Est-ce donc une référence qui dérange ?

Le modèle singapourien est comme un joli gâteau qui se vend en vitrine. Il n’y a pas de similarité avec Maurice. Ce pays a débuté avec une population de 300 000 personnes. Puis, l’immigration s’est popularisée pour atteindre une population de trois à quatre millions. C’est un chiffre critiqué par les Singapouriens d’origine qui ne se sentent plus chez eux. Proposer Singapour ne tient pas…

«À La Réunion, le projet de métro a été refusé alors qu’il aurait été financé en euros. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas rentable !»

Quel modèle serait alors idéal ?

Peut-être se rapprocher d’un pays d’Afrique ? Je ne sais pas. Mais voyons à côté. À La Réunion, le projet de métro a été refusé alors qu’il aurait été financé en euros. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas rentable ! La plupart des métros font des pertes…


 

Pourtant, les défenseurs du métro mentionnent profits et réduction des coûts d’importation du pétrole.

En 1994, une étude a révélé que seuls 13 % des conducteurs seraient prêts à s’orienter vers le métro. À Maurice, ce taux sera inférieur en réalité parce que la voiture symbolise le confort. Les gens ne vont pas la délaisser. Il y a beaucoup d’exagération dans les bénéfices du projet et de sous-estimation des problèmes qui y sont associés.

Justement, les personnes en faveur du métro évoquent une démocratisation du transport, une meilleure gestion de la congestion routière et le développement économique. Quel poids donnez-vous à ces arguments ?

Quand on fait un projet de cette envergure, tout doit se baser sur des preuves. Là, c’est flou, opaque. Cela manque de transparence. L’État est le seul gestionnaire. Je suis sûr qu’il va solliciter l’aide du secteur privé après.

Pourquoi ne pas choisir le bus way avec un système plus moderne ? D’autant plus qu’en autobus, 90 % des passagers sont assis. En métro, 70 % restent debout à l’heure de pointe. Cela peut être inconfortable. Les gens sont-ils prêts à ça ?

En ce qui concerne le développement économique, les zones urbaines seront privilégiées. Par contre, avec l’autobus, il y aurait un développement intégral des villes et villages. Pour la congestion routière, le métro peut la délocaliser vers les zones regroupant les stations. Par exemple, il y aura une concentration de passagers qui prendront le métro. Puis, les conducteurs auront à attendre que traverse le métro pour continuer leur route.

Des risques sur l’environnement et l’absence de relocalisation des commerçants et habitants sur le tracé inquiètent d’autres dissidents au projet. Qu’en est-il de ces bouleversements ?

Un bouleversement environnemental est le delisting de l’Environmental Impact Assessment par le gouvernement. Le projet ne se pose pas dans un cadre légal pour réaliser une étude de l’impact sur l’environnement. C’est grave. Cela va causer des inconvénients en termes de bruit, d’eau, d’électricité, sans oublier le trafic.

En avril 2017, l’ACIM a écrit au Premier ministre pour attirer son attention sur les aspects environnementaux. Maintenant, le cabinet a pris la décision de commander une étude, encore une fois, par la Singapour Corporation Enterprise.

Mais il y a un conflit d’intérêts car cette compagnie traite déjà d’autres aspects du projet. Comment peut-elle évaluer l’environnement ? A-t-on aussi pensé au réseau électrique qui alimentera le métro ? Et les coûts additionnels pour le pétrole quand les voitures s’arrêtent en donnant la priorité au passage du métro ? L’émission de CO2 va augmenter. Les répercussions seront visibles dans toutes les villes. On ne parle pas de ces coûts !

De plus, l’État entame désormais une campagne nationale sur ce mode de transport. Pour moi, c’est un signe de faiblesse. Il y a un manque de débat national. C’est un projet qu’on est en train d’imposer à la population malgré toute la résistance qui s’organise dans les milieux au sein du syndicalisme, des consommateurs, de la société civile, des taximen, des travailleurs, etc.

Le projet semble déjà en bonne voie. Quelles actions pouvez-vous entreprendre à ce stade ?

Nous avons créé la Plateforme anti métro, un front commun avec des syndicalistes, des membres de la société civile, des individus concernés et leaders d’opinion. Nous commençons une campagne de sensibilisation avec les travailleurs et l’étendrons dans les régions pour continuer à nous opposer au Metro Express.

Nous avons écrit une lettre au haut-commissariat indien afin qu’elle soit acheminée au Premier ministre indien dans le cadre de la visite de Pravind Jugnauth dans la Grande péninsule. Une autre lettre lui a été adressée pour ne pas aller de l’avant avec le projet.

Je suis confiant que l’on va faire dérailler ce projet. Il est vrai que les gens s’éveillent plus lentement. Une résistance se construit. Nous sommes prêts à faire des manifestations…


 

«Ce n’est pas trop tard»

N’est-il pas déjà trop tard au vu du budget indien alloué et des travaux qui commencent ?

Non, il est encore temps. Quand il fallait faire la route de Terre-Rouge–Verdun, le gouvernement avait alloué le contrat à une firme étrangère pour Rs 3,2 milliards. Après, il y avait eu maldonne. Un appel d’offres a été de nouveau lancé et le coût a été ramené à Rs 1,7 milliard.

Ce n’est pas trop tard. Même si le gouvernement finalise les choses, il y aura encore trois à quatre mois d’attente. Nous allons maximiser la sensibilisation.