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Mélissa Isaure et Jasmine Toulouse, du Charles Telfair Institute: diplômées, elles font la peau aux clichés

28 mai 2017, 23:30

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Mélissa Isaure et Jasmine Toulouse, du Charles Telfair Institute: diplômées, elles font la peau aux clichés

Être né dans une cité ouvrière ne vous condamne pas à toutes les tares qui y sont souvent associées – alcool, promiscuité, grossesse précoce, drogue. Ce sont ces clichés que Mélissa Isaure, de la cité Lumière à Pointe-aux-Sables, et Jasmine Toulouse, issue de la cité EDC à Rivière-Noire, veulent contrer. Diplômées de l’Institut Charles Telfair, elles ont trouvé leur voie…

Jasmine Toulouse et Mélissa Isaure ne se connaissent que de vue. Ces deux jeunes femmes de 27 et 21 ans respectivement ont pourtant plusieurs choses en commun. À commencer par un diplôme de la même institution d’enseignement supérieur – la première en management et la seconde en logistique – décerné le même jour, soit le 12 mai. La vie dans une cité ouvrière leur est aussi très familière.

C’est à la cité EDC, à Rivière-Noire, que Jasmine – qui a désormais une jolie carrière de chanteuse populaire – est née d’une mère blanchisseuse et d’un père casseur de sel. «Les parents ont dû se débrouiller. Nous avions à manger sur la table au quotidien mais beaucoup de choses matérielles nous ont fait défaut», confie Jasmine, qui a trois sœurs. Mélissa est née à la cité Lumière, à Pointe-aux-Sables, la benjamine de cinq enfants. Sa mère est employée de maison et son père était chauffeur, employé dans le secteur de la construction. «Mon enfance a été heureuse mais difficile. Les priorités étaient l’alimentation et le remboursement des dettes. Mais ma famille m’a appris à vivre honnêtement, même si elle gagnait peu.»

Malgré ce manque criant de moyens, les deux s’accrochent à leurs études. Jasmine étudie jusqu’en Form V et prend part aux examens, même si elle ne réussit pas dans toutes les matières. Mélissa, qui est scolarisée à l’école primaire de la localité, école tombant sous la Zone d’éducation prioritaire, s’applique et apporte de très bons résultats. Si bien que le President Education Trust, bras financier du Comité sur la pauvreté, lui offre tout son matériel scolaire. Elle est première dans son école à l’examen de fin de cycle primaire et fait la fierté de ses parents.

Elle est admise dans un collège secondaire d’État à Port-Louis et là, elle vit l’enfer sur terre. Les élèves, comme les enseignants, lui font se sentir différente. «Se faire ignorer des enseignants et être constamment placée à l’arrière de la classe était une forme d’ostracisme et de racisme. Quelques-unes de mes semblables et moi, nous vivions cela.» N’y tenant plus, sa mère l’a fait admettre dans une école secondaire privée de Port-Louis. «Le monde parfait», dit-elle. L’encouragement n’y est pas un vain mot. Mélissa opte pour les matières techniques.

Jasmine, de son côté, est contrainte d’abandonner l’école et de prendre de l’emploi comme vendeuse dans des magasins avant de dénicher un poste de secrétaire-réceptionniste dans une agence immobilière. «Les propriétaires de la boîte m’ont aidée et j’ai pris confiance en moi.» Elle croit rencontrer l’âme sœur et se met en couple. Puis, elle donne naissance à la petite Mélody dont la santé se révèle fragile. Jasmine se voit même obligée de démissionner pour s’occuper de sa fille. Quand l’enfant est remise, elle reprend le chemin du travail, ayant été embauchée comme secrétaire à l’École des Techniciennes de Maison, projet de Caritas île Maurice.

De son côté, Mélissa réussit sa Form VI et veut poursuivre ses études. Elle qui a vu des amis être emprisonnés pour de graves délits, veut étudier pour obtenir une licence en criminologie. L’Open University propose ce cours, mais sa famille n’a pas les moyens de s’acquitter de ses frais d’admission. Cursley Goindoorajoo, responsable du secours d’urgence à Caritas île Maurice lui conseille d’aller frapper à la porte du Comité sur la pauvreté. Le président de l’organisme, François de Grivel, est prêt à lui financer une année d’études supérieures à condition qu’elle change de filière. Il estime que la criminologie ne lui offrira pas de débouchés à Maurice. Résignée, Mélissa opte pour la logistique à l’Institut Charles Telfair.

«Il y a des jours où je pleure de rage»

Jasmine, de son côté, a mal à son couple. Elle connaît même la violence. Elle est obligée d’emprunter de l’argent pour faire construire une petite maison à côté de celle de ses parents à la Cité EDC. Les murs sont faits et le toit posé mais il manque les ouvertures et autres finitions. Jasmine est sans le sou. Une travailleuse sociale du mouvement Foi et Vie, qui démolit son campement au même moment, l’invite à venir se servir chez elle. C’est ce que, reconnaissante, elle fait.

Mais l’idée de poursuivre ses études ne la quitte pas. Cursley Goindoorajoo lui fait rencontrer Thierry Goder, directeur général de l’agence de recrutement Alentaris afin que ce dernier évalue son potentiel. Même sans Higher School Certificate, Thierry Goder la juge apte à entamer des études supérieures. Elle choisira le management à l’Institut Charles Telfair, Caritas île Maurice s’acquittant des frais pour le premier trimestre.

Jasmine et Mélissa rencontrent à un moment le même problème de transport vu qu’il s’agit de cours du soir et que l’établissement est très éloigné de chez elles. Jasmine doit trouver Rs 500 au quotidien pour le trajet retour jusqu’à Rivière-Noire et Mélissa Rs 300 pour regagner Pointe-aux-Sables. Jasmine qui continue à travailler, rogne sur le budget alimentaire «mais il y a des limites. Souvent, lorsque j’arrive en cours, j’ignore comment je vais regagner Rivière-Noire et j’ai du mal à me concentrer. Il y a des jours où je pleure de rage tant je me sens impuissante. Ma volonté de réussite est intacte mais les finances ne suivent pas.»

Mélissa puise dans ses économies pour se payer un taxi et, parfois, un ami qui habite dans le Nord la dépose au Caudan. Après quoi, un parent qui a une vieille voiture la récupère pour la ramener à la maison. «M. Charoux, le directeur de l’institut, m’a beaucoup écoutée et aidée aussi», raconte Mélissa.

Pour Jasmine, rien n’est gagné car elle ne sait pas comment payer ses deuxième et dernier trimestres de cours. Heureusement qu’elle peut compter sur la générosité du groupe ENL et sur Foi et Vie de Rose-Hill. Conscientes qu’elles n’avaient pas le droit à l’échec, ces deux jeunes femmes ont étudié d’arrache-pied et la réussite les attendait en fin de parcours. Épreuve de plus pour Mélissa : trois mois avant son examen, elle perd son père.

Elles font la fierté de leurs proches mais aussi des habitants des cités où elles vivent. Jasmine a conservé son travail et Mélissa en a trouvé un dans son domaine à Port-Louis. Mais toutes deux ambitionnent d’aller encore plus loin dans leurs études. Mélissa, qui veut accomplir le rêve que son père avait pour elle, c’est-à-dire la voir exercer à la douane, souhaite embrayer avec une licence en Supply Chain Management. Elle s’est fixé comme objectif la rentrée de février 2018 afin d’avoir le temps de faire des économies, du moins l’espère-t-elle.

Jasmine, de son côté, a reçu beaucoup de messages des jeunes de la cité EDC. Ce qu’ils lui disent ? Qu’elle leur a redonné espoir et que son succès signifie qu’il n’est pas trop tard pour eux La jeune femme veut à présent s’orienter vers la sociologie et le travail social. «Il me faudra une fois de plus trouver des parrains pour financer le cours et mon transport afin que je puisse retrouver ma fille de dix ans qui a encore besoin de moi. Si j’ai pu provoquer ce sentiment d’émulation chez les jeunes et si je peux leur apporter quelque chose, ce serait super.»