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Histoire de Maurice, destins métissés dessinés.

1 mai 2017, 22:00

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Histoire de Maurice, destins métissés dessinés.

Raconter l’histoire de Maurice en bande dessinée (BD). Un projet qui ressemble à un défi. Il rassemble l’écrivain Shenaz Patel, l’historien Jocelyn Chan Low et les illustrateurs Laval Ng et Christophe Carmona. Le premier tome a été lancé la semaine dernière.

Une BD pour bousculer. Sortir des cases. Celles qui nous présentent habituellement l’histoire de Maurice comme une succession de départs et d’arrivées. Un ballet, où les uns et les autres, tous venus d’ailleurs, ne se seraient pratiquement pas croisés avant le 19e siècle. 

Pour dessiner un relief plus exact de l’étendue et surtout de l’ancien- neté de nos métissages, la BD a fait appel à la caution historique et intellectuelle de Jocelyn Chan Low, ancien doyen de la faculté de Social Studies and Humanities à l’université de Maurice. Le scénario est signé l’écrivaine et journaliste Shenaz Patel. Les illustrations, commencées par le bédéiste Laval Ng, ont été achevées par Christophe Carmona. 

Le premier tome de Histoire de Maurice 1598-1767, Premiers pas de la colonisation d’une île-carrefour a été lancé mercredi dernier. Il est coédité par l’Imprimerie et Papeterie Commerciale et les Éditions du Signe, de Strasbourg en France. 

Ce premier tome - il y en aura quatre en tout d’ici mars 2018 - nous parachute en plein dans «l’île-carrefour». À la rencontre du premier citoyen de l’île Maurice, Simon van der Stel, né le 14 octobre 1639. Devinez quoi : il est métis. Son père est Adriaan van der Stel, gouverneur pour le compte de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (VOC) entre 1639 et 1645. Sa mère est Maria Lievens, fille d’une esclave indienne libérée, Mai Monica de Costa, mariée à Hendrik Lievens, un capitaine hollandais. 

C’est à la vénérable Carnegie Library à Curepipe que deux jeunes, un garçon et une fille sans noms mais représentatifs de la jeunesse mauri- cienne, tombent sur Simon van der Stel. Ou plutôt, c’est lui qui leur tombe dessus, grâce à la magie de la BD. Les vieux livres de la Carnegie, combinés aux nouvelles technologies de la tablette tactile de la jeune fille, donnent vie à ce premier citoyen mauricien. Jolie métaphore pour dire que l’histoire peut s’apprendre sur tous les supports. 

Voilà que Simon van der Stel saute hors du monde virtuel, pour accompagner les deux jeunes, dans un voyage autour de Maurice, autour du monde. Ils croisent les Portugais, les Hollandais, Louis XIV, des pirates, de riches musulmans se rendant à la Mecque, des marins lascars. On comprend que ce qui se passe au Cap, dans les comptoirs en Inde ou à Versailles, influe directement sur le sort de Maurice. 

En 1677, pendant la période hollandaise, «12 esclaves indiens capturés dans le sud de l’Inde» arrivent, nous dit la BD. Plus de trois décennies auparavant, en 1641, le père de Simon van der Stel a déjà ramené «105 esclaves pris dans la baie d’Antongil» à Mada- gascar. En «mai 1654 sont débarqués à Maurice trois forçats chinois capturés par les Hollandais. À cette époque, Hollandais et Chinois se battent pour le contrôle de l’île de Formose, aujourd’hui Taïwan». Avec un peu d’ironie, la jeune fille de la Carnegie fait remarquer «mais le livre dit que c’est au 19e siècle que le gros du contingent chinois débarquera dans l’île». 

La démonstration du melting pot faite, retour à la réalité. Une préposée de la Carnegie dit que la bibliothèque ne va pas tarder à fermer. Vivement les prochaines aventures.

Esclave :  pas un état passif 

<p>Le premier tome de<em> &laquo;Histoire de Maurice&raquo;</em> rend concret des réalités de l&rsquo;esclavage. <em>&laquo;L&rsquo;esclavage est un état juridique, transmis de la mère à l&rsquo;enfant.&raquo; </em>Ce qui fait dire à Simon van der Stel, qui a été gouverneur du Cap : <em>&laquo;si ma grand-mère n&rsquo;avait pas été affranchie par un acte légal, ma mère et moi serions nés esclaves.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p>La BD illustre aussi la contribution des esclaves qui <em>&laquo;ne se limite pas au travail physique&raquo;.</em> Histoire de Maurice explique que les esclaves ont une <em>&laquo;culture plus appropriée aux pays tropicaux que les Blancs. Ils amènent de Madagascar la tradition des trois pierres du foyer. Ils amènent dans la cuisine l&rsquo;arouille, le sonz, le voehm, la culture du brûlis, des techniques de construction, la pêche au casier, des chants et musiques&raquo;. &nbsp;</em>&nbsp;</p>

<p>Les esclaves ont aussi des origines diverses : les Comores, l&rsquo;Afrique de l&rsquo;Est, de l&rsquo;Ouest, l&rsquo;Inde et l&rsquo;Insulinde. <em>&laquo;En 1756, l&rsquo;île reçoit une cargaison de femmes esclaves de la côte de Malabar, Bengale, Pondichery. Le nombre restreint de femmes dans la population blanche entraîne concubinage et métissage.&raquo; &nbsp; &nbsp;</em></p>

<p>Si l&rsquo;on associe le plus souvent les révoltes d&rsquo;esclaves à Toussaint l&rsquo;Ouverture et à l&rsquo;Amérique, à Maurice aussi la main-d&rsquo;œuvre servile n&rsquo;est pas impassible. Il y a l&rsquo;épisode de l&rsquo;incendie du Fort Frederick Hendrik à Vieux Grand-Port. Point de départ : l&rsquo;esclave Aaron d&rsquo;Amboine est accusé d&rsquo;avoir volé du lait et du beurre. Craignant de cruels châtiments, il s&rsquo;enfuit, revient et incite ses camarades à la révolte. <em>&laquo;Dans la nuit du 11 juin 1695, Anna de Bengale, Espérance, Aaron (...) mettent le feu à la loge du Fort Hendrik.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p>Dès leur arrivée dans la colonie, beaucoup d&rsquo;esclaves s&rsquo;enfuient.<em> &laquo;Il est estimé qu&rsquo;il y eut 12 % d&rsquo;esclaves en marronnage à tout moment&raquo;,</em> dit la BD. Pour ceux qui viennent de Madagascar,<em> &laquo;ils doivent être enterrés dans le tombeau de leurs ancêtres, sinon leur âme va errer éternellement&raquo;. </em>&nbsp; &nbsp;</p>