Publicité

Au Cachemire indien, le conflit se prolonge sur les réseaux sociaux

28 avril 2017, 15:40

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Au Cachemire indien, le conflit se prolonge sur les réseaux sociaux

 

Au Cachemire indien, en proie à une vague de violences, les réseaux sociaux sont devenus un nouvel espace de contestation contre New Delhi, poussant les autorités à ordonner un blocage inédit d'applications comme Facebook, Whatsapp ou Twitter.

Le gouvernement local de l'État du Jammu-et-Cachemire, dans le nord de l'Inde, a ordonné cette semaine au nom de «l'ordre public» le blocage de 15 services de réseaux sociaux pour une durée d'un mois au moins dans la vallée de Srinagar. Si l'internet mobile est régulièrement coupé en période de troubles, cette décision constitue en revanche une première dans cette zone poudrière.

La capacité de ces canaux de communication à organiser des rassemblements contestataires, dans cette région où les scènes de lanceurs de pierres masqués sont familières, «inquiète davantage les forces de sécurité que l'insurrection armée», confie un haut responsable de la police sous couvert d'anonymat.

«Les réseaux sociaux sont utilisés à mauvais escient pour mobiliser la jeunesse durant des opérations (militaires) contre les rebelles» séparatistes, dit-il à l'AFP.

Depuis début avril, le Cachemire indien connaît un nouvel épisode d'intenses violences avec des heurts quasi-quotidiens entre manifestants et forces de l'ordre.

Le plateau himalayen du Cachemire est divisé entre l'Inde et le Pakistan, qui en revendiquent chacun la totalité. Depuis la Partition de 1947, New Delhi et Islamabad se déchirent pour le contrôle de la région, un conflit qui nourrit une insurrection séparatiste dans la partie indienne.

Dans la vallée de Srinagar, où le ressentiment à l'égard de l'Inde - souvent perçue comme une puissance occupante - est profond, la jeunesse technophile s'est progressivement emparée ces dernières années d'internet pour extérioriser sa colère.

«Les médias sociaux sont nos médias, les médias de tout le monde. Nous y sommes présents pour montrer au monde ce que l'on nous fait génération après génération», explique un activiste étudiant, selon qui la sphère virtuelle est l'un des rares espaces d'expression permettant de manifester pacifiquement.

«Les politiciens indiens et les médias donnent une fausse image de nous. Il faut que cela cesse. Comment protester sinon sans être appelés des terroristes ?», lance-t-il avec rancoeur.

Pour le politologue Noor Ahmed Baba, le conflit au Cachemire se joue désormais aussi bien sur internet que dans les rues.

Avec ce blocage, «le gouvernement actuel veut faire taire le peuple», estime ce professeur de l'université du Cachemire.

 Vidéo de bouclier humain

Parmi les sites bloqués figure notamment Youtube, où les Cachemiris ne pourront plus mettre de vidéos. La célèbre plateforme vidéo a vu fleurir des clips amateurs, enregistrés au téléphone portable, montrant les abus des forces de sécurité indiennes.

Les autorités ont ainsi dû ce mois-ci ouvrir une enquête, fait rare, après un tollé déclenché par une vidéo de bouclier humain utilisé par l'armée.

Sur ces images apparues sur Twitter, on voit un artisan cachemiri ligoté à l'avant d'une jeep d'un convoi militaire pour dissuader les jets de pierre.

Aucune arrestation n'a eu lieu à ce jour dans cette affaire. Le haut conseiller juridique du gouvernement indien a même défendu le recours à cette pratique par l'armée en déclarant: «si c'est à refaire, ce sera fait à nouveau».

Pour l'expert en sécurité Ajai Shukla, le blocage des réseaux sociaux «est peu susceptible de contrôler ou désamorcer la situation» explosive.

«Au mieux, c'est une solution temporaire» mais qui d'un point vue militaire «ne mène à rien», explique-t-il.

L'insurrection armée au Cachemire, l'une des régions les plus militarisées du monde, s'est considérablement affaiblie depuis son apogée pendant les années 1990.

Mais des dizaines de jeunes ont rejoint les rangs de la rébellion depuis la mort l'année dernière d'un charismatique jeune leader clandestin, abattu par les soldats.

Le décès de Burhan Wani, qui donnait une touche de glamour à la lutte armée contre l'Inde à travers ses très suivis messages et photos sur les réseaux sociaux, a déclenché une vague de violences qui a replongé la vallée dans ses âges les plus sombres.

Plus de 100 personnes sont mortes et des milliers ont été blessées dans des affrontements entre manifestants et forces gouvernementales l'année dernière, pire épisode de violences depuis 2010.