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Saveurs d’antan

26 avril 2017, 22:25

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Saveurs d’antan

Debout sur le seuil de sa porte, Hilda nous accueille avec ce sourire chaleureux qui met tout de suite à l’aise. La vieille dame est connue dans le quartier pour être une excellente cuisinière. Le bon fumet qui s’échappe librement de sa cuisine ne laisse aucun doute planer sur ses talents culinaires. À plus de 80 ans, elle est fière de pouvoir encore régner sur sa cuisine. De sa voix enrouée, elle nous raconte avoir connu ‘letan margoz’. Cette période d’austérité économique a fait que les denrées alimentaires étaient rares et précieuses. Chaque famille devait nourrir sa tribu avec les produits du terroir.

Au beau milieu de la guerre, quand les denrées n’arrivaient pas, le manioc trouva une place de choix dans la cuisine des Mauriciens. Pour la petite histoire, cet arbrisseau originaire d’Amérique centrale a été introduit sous Mahé de La Bourdonnais pour nourrir le bétail. Le tubercule est alors utilisé pour confectionner différentes types de plats. Selon Hilda, certaines personnes consommaient aussi les jeunes feuilles comme des légumes. Ceux qui élevaient du bétail, le cuisinaient avec de la viande. Une idée de recette bien simple, nous dit-elle.

Mais le plat à base de manioc qui était largement consommé était sans doute le fameux Kat kat manioc. Selon la vieille dame, la recette est d’une simplicité. Dans sa recette à elle, elle épluche et coupe le manioc en petits dés et les fait bouillir dans de l’eau salée. Le manioc doit être cuit mais ferme, précise-t-elle. Elle fait ensuite revenir l’ail, le gingembre et l’oignon dans l’huile. Elle y met ensuite des morceaux de viande et assaisonne le tout avec un peu de sel et de poivre, et laisse cuire cette préparation. Elle y parsème ensuite de la pomme d’amour hachée, mélangea le tout et y ajoute le manioc et des feuilles de brède. La cuisson, elle, prendra environ vingt minutes. Une fois le plat prêt, quelques feuilles de cotomili hachées peuvent être parsemées dessus.

Les épices occupent une place prépondérante dans lacuisine traditionnelle. Incontournables à la préparation des mets, ce sont de délicieux mélanges qui donnent aux plats cette puissante mais subtile saveur Kat kat manioc, curry la peau banane, salmi yev, kolkoté… Notre cuisine traditionnelle regorge de trésors et de saveurs dont on ne soupçonne même pas l’existence… Petite incursion dans cette cuisine qui immanquablement fait saliver.

Le manioc était aussi cuisiné en dessert. Les galettes manioc étaient préparées avec du beurre, de la vanille, du sucre roux, des œufs. Certains y ajoutaient même un peu de rhum. Ces petites douceurs accompagnaient délicieusement le thé et pouvaient servir de goûter aux enfants.

Curry, achards, fruits confits

La banane est un autre fruit qu’affectionne Hilda. Elle utilise aussi bien le fruit que sa peau pour du curry. Pour la préparation de son curry, elle n’hésite pas à écraser son massala sur sa ‘ross kari’ installée tout près de sa cuisine. Pour un curry de banane, elle épluche le fruit pour ensuite le couper en rondelles. Celles-ci sont ensuite lavées dans de l’eau assaisonnée de sel. Elle y prépare son massala et le laisse roussir, y ajoute les rondelles de banane et un peu d’eau, et laisse cuire le tout. Elle souligne que souvent elle ajoute du poisson salé qu’elle aura au préalable frit. Et des fois encore, c’est de la pomme d’amour qui s’intègre à son massala. Pour son curry de peau de banane verte,elle procède de la même façon. Les peaux de banane sont coupées dans le sens de la longueur et sont placées dans un récipient d’eau assaisonnée de sel. La cuisson se fait dans le massala. Et là également, du poisson salé peut s’y retrouver.

Les produits de la mer sont également au cœur de cette cuisine traditionnelle qui donne tant de plaisir au palais. La vieille femme nous parle de la salade d’ourite, plat qu’elle prépare souvent en amuse-bouche. «La recette est simple; notez-la», nous commande-t-elle. Pour ceux qui veulent la réaliser, il vous faudra bien laver votre ourite, que vous mettrez ensuite à bouillir. Une fois cela fait, y ajouter un demi-oignon coupé en rondelles, une branche de coriandre hachée, une pomme d’amour coupée en lanières, une cuillère à bouche d’huile, une cuillère à café de zeste de citron, une cuillère à bouche de vinaigre et une pincée de poivre et de sel. Bien mélanger et servir sur des morceaux de pain. Certaines personnes y ajoutent même quelques gâteaux piment émiettés.

Les épices occupent une place prépondérante dans la cuisine traditionnelle. Incontournables à la préparation des mets, dans la cuisine d’Hilda ces délicieux mélanges donnent aux plats cette puissante mais subtile saveur. Nous ne pouvons ne pas remarquer les différents petits pots sagement alignés contenant du poivre, de la cannelle, du cumin, de la cardamome, de la muscade, des clous de girofle, des graines de coriandre, des feuilles de combava, du safran, du tamarin, des piments secs et plein d’autres condiments.

 Peut-on parler de la cuisine traditionnelle sans évoquer les achards et les fruits confits ? Les achards sont des légumes ou des fruits (chou-fleur, chou, carotte, aubergine, olive, mangue…) qu’on fait sécher ou cuire pour les attendrir avant de les mélanger dans une sauce préparée avec de la moutarde, du safran, des piments verts, des oignons, du vinaigre. Là également, la vieille dame s’y connaît. Achards de fruit de Cythère, confit d’olive, achards de carambole, achards de mangue… tout y est dans sa cuisine. Assise dans cette chaleureuse pièce, elle glisse devant nous une assiette composée de riz, d’un bouillon de ‘brède mouroum’ avec du ‘poisson salé blanc’, un chutney de pomme d’amour et d’achards de fruit de Cythère préparés l’année dernière. Ce plat simple, méticuleusement préparé nous taquine les sens et réveille nos papilles pour nous entraîner dans une délicieuse expérience sensorielle…